Les comportements d’adoption du système de vote par Internet aux assemblées générales des actionnaires : entre isomorphisme et légitimation
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Résumé
Le papier s’intéresse aux comportements d’adoption du système de vote par Internet (VI) aux assemblées générales des actionnaires (AGA) par les dirigeants des sociétés françaises et aux forces en présence influençant ces comportements. Il examine comment le VI est adopté en France et quelles sont les forces/pressions susceptibles d’influencer son adoption. Reconnaissant l’importance des dimensions institutionnelles, le papier mobilise les concepts d’isomorphisme et de légitimation. Sur la base d’une étude qualitative et longitudinale, l’analyse des comportements d’adoption du VI reflète des stratégies de légitimation pour faire face aux différentes pressions institutionnelles. Les résultats mettent en lumière le rôle et le degré d’importance des trois mécanismes d’isomorphisme institutionnel ainsi que ceux des cinq stratégies et des différentes tactiques de légitimation. Un des principaux apports de cette recherche est de faire émerger une relation d’interdépendance entre les stratégies de légitimation et les mécanismes d’isomorphisme institutionnel. L’isomorphisme normatif explique les stratégies d’acquiescement (tactique de conformité) et de manipulation. L’isomorphisme coercitif favorise la stratégie de compromis. Quant aux stratégies d’acquiescement (tactique d’imitation), de défiance (tactique de rejet) et d’évitement (tactiques de dissimulation et de fuite), elles sont expliquées, par l’isomorphisme mimétique.
Mots clés : Vote par Internet, assemblées générales des actionnaires, adoption, isomorphisme institutionnel, stratégie de légitimation
1. INTRODUTION
Le système vote par internet aux assemblées générales d’actionnaires (VI aux AGA) est un système d’information (SI) basé sur la technologie Internet. Il est proposé aux actionnaires, en tant qu’outil supplémentaire, pour exercer leurs droits de vote en AG (Latham, 2000 ; Lattemann, 2005 ; Van der Burg et Prinz, 2006). Le système de VI aux AGs d’actionnaires est rendu possible et optionnel par les dispositions de la loi sur les nouvelles régulations économiques (loi NRE) en France du 15 mai 2001 et de son décret d’application du 3 mai 2002. Les règles de la loi NRE en France concernant la modernisation de la participation aux AGs sont soutenues par l’entrée en vigueur en août 2009 de la Directive européenne 2007/36/EC sur l’exercice des droits des actionnaires des sociétés cotées. Si des dispositions légales ont contribué à ce que le VI voit le jour, il demeure que son adoption par des sociétés cotées est loin d’être élucidée. Compte tenu de la crise financière et de gouvernance à l’échelle nationale et internationale, il importe d’étudier en profondeur l’adoption de ce nouveau système, qui est censé contribuer à l’amélioration des modes de gouvernance (ex. Lattemann, 2005 ; Van der Burg et Prinz, 2006). Ceci est l’esprit même de la loi et du décret l’ayant autorisé.
Selon Meyer et Rowan (1977), dans un contexte incertain et influencé par certaines pressions, les organisations tendent d’adopter des pratiques considérées comme légitimes par leurs homologues (Meyer et Rowan, 1977). Elles tendent alors, dans un même environnement, d’être isomorphes (DiMaggio et Powell, 1983). Elles ne suivent pas un comportement rationnel, en cherchant la maximisation du profit et l’amélioration de leur performance, mais elles se contentent de se conformer aux normes et d’être isomorphes. L’intervention de plusieurs grandes sociétés émettrices souligne le potentiel de diffusion de la pratique du VI dans le contexte français. Toutefois, il demeure que le taux d’adoption est inférieur aux pronostics des promoteurs du système. Le faible taux d’adoption du VI par les sociétés émettrices, ne dépasse pas au total, à notre connaissance en 2010, une vingtaine de grandes sociétés émettrices cotées. Après quelques années de son émergence en 2003, la pratique du VI n’est pas encore diffusée en France. Les sociétés ont préféré jouer la prudence et attendre que la pratique du VI soit institutionnalisée et légitimée.
L’objet de ce papier est de s’intéresser aux entreprises qui ont initialement adopté le VI pour comprendre leur comportement pionnier et expliquer pourquoi cette pratique ne s’est pas encore diffusée dans le contexte français. L’objectif du papier est d’interpréter et de discuter comment les dirigeants adoptent le système de VI. Il s’agit, plus précisément, d’expliquer les
comportements des dirigeants vis-à-vis du système de VI par des facteurs contextuels et institutionnels. Ces comportements sont approchés par les mécanismes d’isomorphisme, ce qui permet (1) de comprendre les pressions institutionnelles exercées sur les dirigeants et (2) d’appréhender jusqu’où ces acteurs sont impliqués dans l’adoption et la mise en place du système de VI. Nous cherchons à comprendre in fine les stratégies de légitimation utilisées par les dirigeants des sociétés émettrices pour faire face à ces pressions.
Afin d’expliquer les comportements d’adoption du VI par les dirigeants, d’un point de vue institutionnaliste, il est intéressant de mobiliser les théories institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 et 1991) et de légitimité (Oliver, 1991 ; Suchman, 1995). La revue de la littérature révèle que l’exploitation de l’approche néo-institutionnelle, afin de mobiliser des concepts adaptés (Orlikowski et Barley, 2001) tels que l’isomorphisme (DiMaggio et Powell, 1983) et la légitimation (Oliver, 1991 ; Suchman, 1995), demeure limitée (Orlikowski et Barley, 2001, Salmeron et Bueno, 2006 ; Currie, 2009 ; Weerakkody et al., 2009). Une des propositions centrales de la théorie institutionnelle est que l’isomorphisme organisationnel augmente la légitimité recherchée par l’organisation (Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983). A travers l’étude des mécanismes d’isomorphisme et des stratégies de légitimation, cette recherche vise à répondre à la double question suivante : Quels sont les mécanismes institutionnels influençant l’adoption du VI par les sociétés émettrices et quelles sont les stratégies de légitimation utilisées pour y répondre ?
Pour répondre à cette problématique, nous adoptons une démarche qualitative. L’étude repose principalement sur l’analyse approfondie des entretiens réalisés avec les participants clés du processus de légitimation. Dans cette recherche, nous n’étudions pas les formes de légitimité et les stratégies de légitimations correspondantes, mais nous nous intéressons à l’interdépendance entre les stratégies de légitimation et les mécanismes d’isomorphisme institutionnel. Le papier vise à analyser les pressions institutionnelles expliquant les comportements isomorphes des organisations pour adopter le VI et examiner les stratégies de légitimation utilisées pour faire face à ces pressions. L’analyse des discours des dirigeants a permis de mieux comprendre les concepts d’isomorphisme et de stratégies de légitimation et de déceler leur interdépendance. La figure n°1 suivante représente le cadre conceptuel retenu dans cette recherche.
Cadre conceptuel : analyse des comportements institutionnels d’adoption du VI par les dirigeants
Ce papier comporte quatre parties. En premier lieu, nous commençons par expliciter le cadre théorique en étudiant le rôle des mécanismes d’isomorphisme institutionnel et des stratégies de légitimation utilisés dans le cadre de l’adoption des technologies et des systèmes d’information (2), ensuite, nous exposons le dispositif méthodologique (3) et nous présentons les résultats de cette recherche en dernier lieu (4).
2. REVUE DE LITTERATURE
2.1. LE ROLE DES MECANISMES D’ISOMORPHISME INSTITUTIONNEL DANS L’ADOPTION DES TECHNOLOGIES ET DES SYSTEMES D’INFORMATION
Dans un contexte d’incertitude et de fortes pressions environnementales, les organisations tendent à adopter des pratiques considérées comme légitimes par leurs homologues (Meyer et Rowan, 1977 ; Jepperson, 1991). Ce type de comportement est qualifié d’isomorphe (DiMaggio et Powell, 1983). DiMaggio et Powell (1983, p. 149) définissent le concept d’isomorphisme comme « un processus contraignant qui force une unité d’une population à ressembler aux autres unités qui sont confrontées aux mêmes conditions environnementales ». A l’instar de Desreumaux (2005, p.240), nous considérons que l’isomorphisme est lié à « la structuration du champ organisationnel », à « l’intensité de l’interaction entre les
organisations » constituant ce champ, à la « conscience mutuelle » de ces dernières, à leur
« engagement commun », ainsi qu’à l’émergence de « nouvelles structures inter- organisationnelles ». Les organisations isomorphes suivent des normes sociales sans forcément avoir une véritable réflexion rationnelle (Tolbert et Zucker, 1996). Elles ont un comportement institutionnel puisque adoptant des pratiques jugées incontournables et s’alignant sur les normes sociales en vigueur (Suchman, 1995). L’organisation dépend de différentes institutions qui ont un double rôle, à la fois permissif et contraignant. En effet, les institutions fournissent aux entreprises des pistes pour poursuivre leurs activités de manière cohérente avec des modèles de conduite prédéfinis, mais qui pourraient étouffer leur innovation et leur créativité en excluant certaines pratiques (Scott, 1995).
Liao (1996) suggère que l’investissement dans les SI est une réponse aux pressions institutionnelles dont l’objectif est le maintien de la légitimité et la réduction de l’incertitude. L’auteur précise que l’investissement technologique est le résultat de l’isomorphisme institutionnel. Rejoignant cette réflexion, Salmeron et Bueno (2006) indiquent que la théorie institutionnelle est une approche pertinente pour comprendre l’adoption des SI à travers la notion d’isomorphisme institutionnel. L’isomorphisme des organisations est une réponse aux pressions qu’elles subissent en étant similaires. Ici, les institutionnalistes prévoient qu’aucune organisation ne peut exister indépendamment de son contexte social et culturel. L’environnement crée les infrastructures – régulatrices, normatives et cognitives – qui restreignent et/ou soutiennent les actions organisationnelles. Généralement, les acteurs d’une même industrie partagent une problématique commune (Hoffman, 2001) et une même compréhension des pratiques appropriées (Greenwood et al., 2002). Le VI aux AGA relève d’un problème commun aux sociétés cotées, à savoir l’amélioration de la gouvernance et de la relation dirigeants-actionnaires. Dans le cadre institutionnel, l’isomorphisme est véhiculé par trois types de mécanismes ou de forces en présence. Le tableau n° 1 présente les mécanismes ou formes d’isomorphisme.
Tableau 1. Caractérisation des formes d'isomorphismes (adapté de DiMaggio et Powell, 1983 et 1991)
Types
Critères de mesure théoriques
L’isomorphisme mimétique
- Faire face à l’incertitude
- Imiter et copier les pratiques qui ont montré leur succès
L’isomorphisme normatif
- Se conformer aux normes professionnelles
- S’aligner sur les normes culturelles
- Constituer des réseaux professionnels
- S’intéresser à l’influence des organisations pionnières sur les productions du champ institutionnel
L’isomorphisme coercitif
- Respecter les règles légales formelles
- Se conformer aux influences coercitives informelles
- Eviter les sanctions
Scott (2001) affirme que les trois mécanismes d’isomorphisme influencent l’institutionnalisation d’une pratique ou d’une règle dans un champ donné. Teo et al (2003) ont confirmé l’influence des trois mécanismes (mimétique, coercitif, et normatif) sur l’institutionnalisation de l’EDI. Lai et al . (2006) étudient l’impact de ces mécanismes sur les décisions d’adoption des TIC. Liao (1996) considère aussi que l’organisation devient isomorphique à travers les trois mécanismes. De plus, l’auteur note que les forces mimétiques et coercitives sont les plus pertinentes parmi les trois quant aux décisions d’investissement en TIC. Hu et al. (2007) démontrent le rôle des trois mécanismes pour développer un SI de sécurité d’une multinationale. Néanmoins, ils relèvent (1) la difficulté de distinguer les influences normatives de celles mimétiques ainsi que (2) l’importance des forces coercitives. D’autres auteurs mettent davantage l’accent sur l’isomorphisme mimétique (Haverman, 1993 ; Tingling et Parent, 2002). En effet, pour faire face aux changements continus et accélérés de la technologie, les organisations peuvent se trouver contraintes de suivre la tendance et imiter leurs homologues ayant le mieux réussi. Salmeron et Bueno (2006) montrent que l’imitation des autres organisations ayant les mêmes caractéristiques conduit à une possible stabilité, en développant des routines qui renforcent la performance organisationnelle. Ces auteurs ajoutent que des facteurs, tels que la légitimité, le prestige ou les normes, peuvent forcer l’organisation à adopter une TIC. En outre, des facteurs tels que la vitesse des changements technologiques, l’incertitude quant aux futurs développements des technologies ainsi que l’absence occasionnelle de décisions objectives, peuvent influencer l’adoption des TIC (Lee et al. 1999).
Le rôle des dirigeants dans l’assimilation des forces institutionnelles par l’organisation est un facteur impactant l’institutionnalisation des pratiques de SI (Liang et al., 2007 ; Hu et al, 2007). Swanson et Ramiller (1997) soulignent que les managers sont engagés dans un
processus de construction sociale d’une « vision organisante » quant à l’adoption d’un nouveau système. C’est dans ce sens que les premières adoptions surviennent lorsque les processus institutionnels manifestent la création d’une image collective de l’innovation, qualifiée de « vision organisante » (Swanson et Ramiller, 1997 ; Ramiller et Swanson, 2003). Cette image sert à donner du sens à la nouvelle pratique innovante, à préciser son utilité et sa valeur ajoutée. Elle permet aussi de faciliter l’interprétation, de donner une légitimité managériale à sa mise en œuvre (Carton et al., 2003) et de soutenir la légitimation de la nouvelle pratique (Swanson et Ramiller, 1997 ; Isaac et al., 2006). En absence de cette communication, les actions et l’innovation deviennent incompréhensibles pour les acteurs.
2.2. LA LEGITIMATION ORGANISATIONNELLE COMME CONSEQUENCE DIRECTE DE L’ISOMORPHISME
L’une des propositions importantes de la théorie néo−institutionnelle est que l’isomorphisme tend à accroître la légitimité organisationnelle (Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983). Dans cette logique, l’isomorphisme augmente la légitimité organisationnelle, puisque en homogénéisant leurs actions et structures à travers l’adhésion aux mêmes normes, les organisations améliorent ainsi leur légitimité. La recherche de légitimité est la raison pour laquelle les organisations répondent stratégiquement aux pressions institutionnelles (Suchman, 1995). Selon Pichard-Stamford (2002), les comportements managériaux de légitimation tiennent compte des contraintes formelles (législations) et informelles (normes professionnelles) et s’appuient, principalement, sur les trois mécanismes (externes et internes) suivants : (1) l’imitation des pratiques existantes des entreprises les plus prestigieuses ;
(2) l’adoption de comportements collectifs de coopération et mise en place de structures de coordination entre rivaux ; (3) l’imitation des propres pratiques développées en interne qui ont montré leur preuve dans le passé.
Il existe toutefois des comportements opportunistes et non collectifs qui s’opposent à ces mécanismes et qui s’inscrivent dans un processus de désinstitutionalisation managériale. Les réponses organisationnelles aux pressions environnementales peuvent varier, de conformistes à résistantes, de passives à actives, de « préconisantes » à « contrôlantes », et d’ « impuissantes » à « influençantes ». Oliver (1991, p.151) considère que le fait d’insister sur le potentiel de variation de ces différentes dimensions du comportement organisationnel est une préparation conceptuelle pour identifier les stratégies alternatives en réponse à l’environnement institutionnel. Le choix d’une stratégie est influencé par le type de pressions institutionnelles subies par l’organisation. Une organisation doit donc mener une analyse de
son environnement afin de se situer par rapport aux pressions institutionnelles et d’en décoder leurs caractéristiques majeures pour ensuite choisir une stratégie qui soit adaptée et pertinente.
La théorie néo-institutionnelle stipule que le comportement organisationnel n’est pas souvent rationnel (recherche de performance), mais qu’il est fonction des pressions subies par l’organisation (DiMaggio et Powell, 1983). Les acteurs institutionnels adhèrent aux pratiques légitimées pour répondre aux pressions institutionnelles. Ils adhérent inconsciemment aux normes, lois, règles et valeurs en vigueur dans leur champ institutionnel. Ils disposent aussi d’une palette de stratégies plus riche. Ils peuvent utiliser des stratégies de compromis, d’évitement, de provocation, ou de manipulation (Oliver, 1991).
En somme, la perspective institutionnelle permet de comprendre le processus d’adoption d’une technologie innovante. Les mécanismes d’isomorphisme révèlent les forces institutionnelles susceptibles d’impacter le processus de légitimation de la technologie. Les organisations sont capables de répondre aux influences venant de l’environnement de manière créative et stratégique (Scott, 1995). En agissant avec d’autres organisations rencontrant des pressions similaires, elles peuvent parfois contrôler, éviter ou redéfinir les demandes des parties prenantes (Oliver, 1991).
2.3. LES STRATEGIES DE LEGITIMATION UTILISEES DANS LE CADRE DE L’ADOPTION DES TECHNOLOGIES ET DES SYSTEMES D’INFORMATION
On entend par légitimation, le processus qui aboutit à la légitimité (Suchman, 1995). Les actions et les décisions des acteurs sont motivées par leur recherche de légitimité. Selon Baum et Oliver (1991), le processus de légitimation dépend des interactions entre l’organisation et son environnement. L’organisation se conforme aux règles institutionnelles de manière à assurer sa légitimité et la reconnaissance des autres. Selon Oliver (1991), une organisation peut décider, sous la pression institutionnelle qu’elle subit, d’y répondre stratégiquement en choisissant l’une des cinq stratégies suivantes : 1) acquiescer, 2) faire des compromis,
3) éviter une situation où elle aurait à se conformer, 4) défier l’institution ou 5) manipuler l’institution. Ces cinq réponses stratégiques varient de la passivité à la résistance active croissante : de l’adaptation, au compromis, à l’évitement, ensuite au défi, et enfin à la manipulation. On note que l’organisation n’utilise pas une seule de ces stratégies, mais les combine en fonction des circonstances (Clemens et Douglas, 2005). Oliver (1991) propose une typologie de réponses stratégiques possibles et de tactiques associées pour répondre aux pressions institutionnelles. Cette typologie est exposée dans le tableau n° 2 :
Tableau 2. Les réponses stratégiques aux pressions institutionnelles
(adapté selon les travaux de Oliver, 1991, p. 152)
Stratégies
Définition
Tactiques
Exemples
Acquiescement
Stratégie traditionnelle : l’acteur qui adopte une pratique tenue pour acquise et respecte une norme par habitude correspond à l’acteur institutionnel
traditionnel
Habitude Imitation Conformité
Suivre les normes
Imiter des modèles institutionnels Obéir aux lois et accepter les normes
Compromis
L’acteur fait des compromis pour promouvoir ses propres intérêts
Compensation Apaisement Négociation
Combiner les attentes de plusieurs parties
Apaiser et accommoder les influences institutionnelles Négocier avec les parties prenantes
institutionnelles
Evitement
L’acteur cherche à éviter une situation où il aurait à se conformer
Dissimulation Tampon/buffer
Fuite
Dissimuler la non-conformité Atténuer l’importance des contraintes institutionnelles
Changer d’objectifs, d’activités ou de domaine
Provocation
L’acteur cherche à défier l’institution et à la provoquer. La provocation peut s’opérationnaliser dans
les tactiques de rejet, de défi ou d’attaque
Rejet Défi Attaque
Ignorer les normes et les valeurs explicites
Contester les règles et les exigences Monter à l’assaut des sources de pressions institutionnelles
Manipulation
L’acteur cherche à manipuler l’institution. La
manipulation comporte trois tactiques opportunistes
Cooptation Influence Contrôle
Importer des éléments nouveaux influents
Modeler les valeurs et critères Dominer les éléments et processus
institutionnels
3. DISPOSITIF METHODOLOGIQUE
3.1. DEMARCHE DE LA RECHERCHE
L’adoption du VI aux AGA est un thème récent et les recherches qui s’y rapportent sont rares. Ceci favorise le déploiement d’une approche qualitative permettant de cerner les contours de l’objet de l’étude. Le choix de cette approche s’explique aussi par la nécessité de saisir les particularités et la richesse des comportements de légitimation et d’institutionnalisation du VI (Lawrence et al., 2002). De plus, notre démarche est longitudinale, couvrant la période de 2003 à 2009.
3.2. COLLECTE ET ANALYSE DE DONNEES
Nous avons procédé par combinaison de plusieurs méthodes de recueil de données : l’observation non participante et les entretiens semi-directifs au niveau des sociétés de
conception/développement (concevant et utilisant le VI en même temps) ; les entretiens semi- directifs et l’étude documentaire au niveau des sociétés émettrices ; ainsi que l’observation non participante et l’analyse documentaire au niveau des instances institutionnelles. Concernant la sélection de l’échantillon, nous avons opté pour la méthode de choix raisonné. L’échantillon regroupe les responsables ayant joué ou susceptibles de jouer un rôle moteur dans l’adoption du VI. Il importe de souligner l’intérêt porté par les interviewés au sujet du VI aux AGA (la durée d’un entretien varie entre 1h 30 minutes et 4 heures). Le tableau n° 3 présente la stratégie de recueil de données.
Tableau 3. Stratégie processuelle de recueil des données
Acteurs
concernés
La méthode de recueil des
données
Source de données / Période
Echantillon
Sociétés de conception/ développement
- Observation non participante (ingénierie technico-commerciale pour le lancement des nouveaux produits web)
- BNP Paribas Securities Services (BPSS)
(octobre 2002 - février 2003)
- Responsables produits, responsables informatique, chargés d’affaires
- 7 Entretiens semi-directifs
- Crédit Agricole Investors, Lagardère (2), Election- Europe, Voxaly, Orsid, Line Data Services
(juin 2003 – septembre 2007)
- Responsable service actionnaires, directeur titres, directeur général adjoint
Sociétés émettrices
- 10 entretiens semi-directifs
- Etude documentaire
- Alstom (2), Air Liquide (2), Danone (2), France Télécom (2), Imerys (1), Suez (1)
(juin 2003- mai 2008)
- Rapports et comptes rendus de réunions de groupe de travail, réponses à la
consultation européenne sur la modernisation du vote
- Les responsables directs ayant joué un rôle moteur dans l’adoption du VI (directeurs juridique, actionnariat, communication etc.)
- AMF, ANSA, Commission Européenne, etc.
Instances institutionnelles
- Observation non participante (élaboration du
« Rapport annuel sur les assemblées générales 2004 des sociétés cotées »)
- Cabinet de conseil de vote pour les actionnaires institutionnels
(octobre 2004 – février 2005)
- Directeur et collaborateurs
- Etude documentaire
- Documents de presse et sites Internet (Période : 2003-2009)
- Instances de régulation, (AMF, ANSA, AFTI) et
cabinets de gouvernance d’entreprise
Nous avons commencé l’étude empirique en conduisant une observation non participante au sein d’un organisme bancaire qui fut la première institution proposant le système de VI à ses clients émetteurs. Ceci s’est réalisé dans le cadre de sa stratégie de « Produits web ». Nous
avons conduit, par la suite, une observation non participante au sein d’une société spécialisée dans le conseil de vote pour le compte de clients institutionnels (gestionnaires de fonds). Cette société a expérimenté une plate-forme de VI destinée à ses clients actionnaires institutionnels. En outre, tel que présenté dans le tableau n° 3, des entretiens semi-structurés ont permis de recueillir le point de vue, notamment de responsables des sociétés émettrices, ayant adopté ou non le VI, sur des questions telles que : « Le degré d’importance du vote en assemblée générale » ; « Les raisons principales (dé)favorisant l’introduction du VI aux AGA », etc. Des études documentaires ont été faites tout au long du processus de recherche (ex. des documents internes, des comptes rendus de réunions et de groupes de travail). La documentation a permis, par exemple, d’identifier les acteurs institutionnels concernés par le vote et leur point de vue sur l’adoption et le développement du VI en France.
La méthode d’analyse de données est l’analyse de contenu. Cette méthode est adaptée à notre objectif de recherche (identifier des concepts d’isomorphisme er de légitimation) et à la nature des données collectées (discours de personnes et documents). Comme préconisé par Miles et Huberman (2003), une liste de thèmes de départ a été établie. Cette liste a été enrichie et ajustée au fur et à mesure de l’interaction avec le terrain. L’objectif est de faire émerger des liens hiérarchiques entre un ensemble de thèmes issus à la fois de la littérature et de l’observation empirique. En conséquence, le codage des données a été, principalement, un codage sélectif. Cette hiérarchisation des relations entre thèmes est le soubassement de notre visée de fournir une lecture institutionnelle de la pratique de VI aux AGA.
4. RESULTATS
4.1. L’ISOMORPHISME INSTITUTIONNEL CARACTERISANT LES COMPORTEMENTS INSTITUTIONNELS D’ADOPTION DU VI EN FRANCE
Dès les premières investigations empiriques, nous avons noté l’importance du cadre institutionnel qui précise les dispositions techniques et juridiques du processus de vote en AG d’actionnaires. L’analyse approfondie des entretiens effectués au niveau des dirigeants, responsables de sociétés émettrices et concepteurs/développeurs du système de VI montre les comportements isomorphes d’adoption du VI. Ces responsables ont insisté sur la difficulté de mettre en œuvre un système de vote électronique unique standardisé pour toutes les sociétés. Ils ont souligné la mobilisation généralisée des acteurs institutionnels appartenant à des institutions et associations professionnelles afin de se concerter et résoudre les problèmes juridiques et techniques visant, à la fois, à améliorer l’exercice des droits de vote des
actionnaires et à simplifier le processus de VI dans les AGs. L’intérêt des dirigeants rencontrés porte, en premier lieu, sur les moyens utilisés afin d’augmenter la participation des actionnaires dans les AGs, tout en développant leur propre légitimité et celle de l’organisation.
L’étude souligne que l’adoption du VI aux AGA est régie par un champ institutionnel circonscrit. C’est une pratique qui tend à être progressivement légitime et institutionnalisée (Greenwood et al., 2002). A l’instar de Tolbert et Zucker (1996), nous considérons que l’adoption du VI ne relève pas d’un comportement rationnel, mais plutôt d’un comportement institutionnel. En effet, l’adoption du système de VI par les sociétés émettrices n’est pas une réponse aux demandes des actionnaires quant à des dysfonctionnements pouvant affecter les AGAs : « La décision de proposer le VI n’a absolument pas été prise pour régler des problèmes que l’on avait rencontrés sur de précédentes assemblées générales » (directeur juridique, société émettrice ayant adopté le VI). L’analyse empirique montre que de fortes pressions institutionnelles ont secoué le champ de la gestion des AGs introduisant ainsi le VI. Elle révèle que des forces institutionnelles affectent conjointement l’adoption du VI par les sociétés émettrices. Le tableau n° 4 illustre la coexistence des trois mécanismes d’isomorphisme de Powell et DiMaggio (1983).
Tableau 4. Les mécanismes d’isomorphisme influençant la légitimation du VI aux AGA
Mécanismes
Critères théoriques (DiMaggio et Powell,
1983)
Items empiriques & extraits de verbatim
L’isomorphis me mimétique
- Faire face à l’incertitude
- Imiter et copier les pratiques qui ont montré leur succès
- Faire face au risque technologique et adopter des modalités technologiques utilisées par les homologues : « Quand vous avez une fausse bonne innovation, très rapidement, le marché se rend compte qu’on est sur une mauvaise voie… Le système n’a tellement pas marché cette année que je ne suis pas sûr que l’année prochaine les sociétés soient incitées à l’utiliser » (directeur juridique, émetteur)
- Suivre le mouvement et imiter les organisations ayant adopté le VI : « on va suivre le mouvement (VI)… c’est un outil qu’on manipule avec prudence … non pas cette année peut être l’année prochaine. On verra en fonction de ce que vont proposer
les prestataires de services » (directeur actionnariat, émetteur)
L’isomorphis me normatif
- Se conformer aux normes professionnelles
- Se conformer aux normes professionnelles de vote : appliquer les procédures de vote reconnues par l’AFTI : « les non résidents n’ont pas voté parce qu’ils sont habitués au système Swift … Le Swift n’est pas un support pour voter en France. Ce n’est pas du tout immédiat. Donc beaucoup de travail pour nous ramener l’expression de vote par Swift pour qu’il soit tolérable en
France » (responsable produits, concepteur, banque)
- S’aligner sur les normes culturelles
- S’aligner aux normes culturelles en matière de gouvernance d’entreprise : respecter les principes de gouvernance d’entreprise (recommandations de l’AFG), faire face aux pressions des cabinets spécialisés en gouvernance, des agences de notation et de communication financière et extra-financières et des journaux financiers : « Aujourd’hui on est regardé par le journal Investir, Le Revenu, les journaux dits financiers et les associations des actionnaires individuels. Et puis il y a des personnes qui veulent faire de la pression type Deminor, Proxinvest. Et puis toutes ces organisations nous notent. Il y a le concours des AGs … On est vraiment scrutés, examinés, jugés par la place (directeur juridique, société ayant adopté le VI).
- Se conformer aux normes culturelles technologiques en vigueur en termes d’utilisation d’Internet par les professionnels et les actionnaires
- Collaborer et interagir au niveau intra et inter- organisationnel avec les partenaires (notamment les établissements bancaires, les gestionnaires des titres) : « On va travailler beaucoup avec le groupe » (directeur produit, concepteur) ; « Ce n’est pas un système que nous avons créé. On s’est associé avec notre partenaire » (directeur actionnariat, émetteur) ; « La négociation n’a pas eu lieu vraiment non plus, ça était fait vraiment en collaboration » (directeur juridique, émetteur)
- Adhérer aux réseaux professionnels spécialisés : participer aux comités et groupes de travail pour améliorer le processus de vote et résoudre les difficultés juridiques et techniques du système :
« Le fait d’être les premiers à adopter le VI nous a donné une notoriété vis- à- vis de la place par rapport aux actionnaires, aux techniciens, aux gens qui développent ce produit. On est
devenu une référence» (directeur juridique, émetteur)
- Constituer et développer des réseaux professionnel
- Désigner des organisations pionnières pour influencer les productions du champ institutionnel
L’isomorphis me coercitif
- Respecter les règles légales formelles
- Se conformer aux règles légales (loi NRE et LSF, décrets) et aux exigences émanant des instances de régulation (règlements AMF) : « notre principal argument commercial, c’est qu’on est dans l’esprit de la loi, on respecte la loi c’est ça l’énorme
ligne » (responsable produits, concepteur, banque) ;
«objectivement et sincèrement on ne l’avait pas envisagé avant la loi » (directeur actionnariat, émetteur).
- Se conformer aux recommandations et au vade-mecum de l’ANSA, rapport de synthèse de l’AMF (2005), réponses aux consultations de la CE (2004 et 2007 pour l’élaboration de la directive européenne): « c’est l’ANSA qui a écrit le Vade- mecum, qui constitue notre cahier des charges et nous, on a agit dans le respect de ce qui est dit à l’ANSA » (directeur service émetteurs)
- Eviter les sanctions pouvant être suscitées par les défendeurs des droits des actionnaires (régulateur, associations d’actionnaires, actionnaires) : « techniquement, tout est possible, mais ça dépend de tellement de choses, du fait de la contrainte du contentieux ou de l’annulation de l’AG » (directeur général,
société informatique
- Se conformer aux influences coercitives informelles
- Eviter les sanctions
4.2. LES STRATEGIES DE LEGITIMATION UTILISEES POUR ATTEINDRE L’ISOMORPHISME INSTITUTIONNEL INHERENT A L’ADOPTION DU VI
Les thèmes relatifs aux stratégies de légitimation utilisées dans le cadre de l’adoption du système de VI sont issus du cadre théorique. Les retranscriptions des entretiens ont été codées selon un schéma de codage directement dérivé des travaux d’Oliver (1991). Le tableau suivant rend compte de ce codage. Chaque stratégie est mise en œuvre en utilisant trois tactiques. Les cinq réponses stratégiques ont été observées sur le terrain. Nous proposerons une justification de cette constatation, en fournissant, dans le tableau n° 5, les indications observées qui représentent les tactiques utilisées par les dirigeants.
Tableau 5. Guide thématique des stratégies de légitimation utilisées dans le cadre du VI
Thèmes / Les stratégies de légitimation
Sous-thèmes /
Tactiques (Oliver, 1991)
Items / Principaux critères discriminants émergeant du terrain
Acquiescement
- Habitude
- Imitation
- Conformité
- Non présente
- Se comparer et suivre les solutions d’autres concepteurs
- Respecter et interpréter la loi NRE dans un sens strict
Compromis
- Compensation
- Apaisemen
- Négociation
- Rechercher l’équilibre entre les attentes des acteurs institutionnels et les intérêts de l’émetteur, combiner les attentes de tous les actionnaires
- Respecter la procédure de vote par rapport à la loi NRE même si elle a des limites
- Négocier, discuter et se mettre d’accord avec les acteurs institutionnels concernés sur les modalités techniques, juridiques et le
financement du système
Evitement
- Dissimulation
- Fuit
- Tampon/buffer
- Envisager d’adopter le VI dans le futur
- Ne pas renouveler l’expérience du VI les années suivantes
- Non présente
Défiance ou provocation
- Défi
- Rejet
- Attaque
- Contester la faisabilité technique et de mise en œuvre des exigences de la loi NRE
- Ne pas envisager d’adopter le VI, ne pas modifier les statuts en faveur du VI
- Modifier et améliorer les dispositions légales de la loi NRE
Manipulation
- Cooptation
- Influence
- Contrôle
- Afficher l’image de l’entreprise innovante
- Faire partie des comités techniques et juridiques des organismes de régulation pour faire des propositions améliorant le système du VI
- Se construire une notoriété pour être une référence et inciter les suiveurs à adopter les mêmes solutions techniques
Il importe de signaler que les cinq stratégies de légitimation que nous retenons ainsi que les tactiques y afférentes sont présentes dans la littérature. En revanche, les items qui spécifient les tactiques employées n’ont été spécifiés qu’à l’issue de l’analyse de contenu. Les thématiques liées à la légitimité et aux stratégies de légitimation ne sont pas évoquées explicitement lors des entretiens. L’objectif est d’inférer la signification des termes évoqués et non pas de repérer les occurrences dans le discours des interviewés. Il ne s’agit pas de tester des hypothèses théoriques, mais plutôt d’identifier les stratégies de légitimation utilisées. Nous explicitons, dans ce qui suit, chacune de ces cinq stratégies et tactiques associées.
a. Stratégie d’acquiescement
Tactiques
d’acquiescement (Oliver, 1991)
Indications empiriques et Verbatim condensés
Imiter
Suivre des solutions proposées par d’autres concepteurs afin d’améliorer le processus de vote, copier les procédures qui ont fait leur preuve,
comparer les degrés d’utilisation du système
Se conformer
Se conformer aux normes du secteur bancaire, respecter les propositions
de l’ANSA qui constituent quasiment un cahier des charges, respecter la loi, interpréter la loi dans un sens strict
b. Stratégie de compromis
Tactiques de compromis (Oliver, 1991)
Indications empiriques et Verbatim condensés
Marchandage : Négocier avec les parties prenantes institutionnelles et
faire un accord
Négocier, discuter, se mettre d’accord avec les acteurs concernés du vote. « Les banquiers se doivent une adaptation
spécifique pour produire un produit clés en main ».
Compensation :
- Rechercher l'équilibre entre les attentes des parties prenantes et les intérêts de l'entreprise
- combiner les attentes de plusieurs parties prenantes
Prendre peu de risques et apporter un plus aux actionnaires : assurer un système simple et moins couteux ; améliorer la gouvernance et proposer le VI pour faire face aux divers contrôles et observations externes ; avoir un système relativement couteux mais innovant ; inciter au vote tous les
actionnaires.
Apaisement : Apaiser et accommoder les influences institutionnelles
Respecter la procédure de vote par rapport à la loi même si elle est compliquée et le système est « lourd » ; faire face aux pressions institutionnelles (critiques et jugements de la place)
en s’améliorant progressivement
c. Stratégie d’évitement
Tactiques d’évitement (Olivers, 1991)
Indications empiriques et Verbatim condensés
- Dissimulation
Ne pas adopter le VI tout de suite et attendre que le système soit institutionnalisé, par manque de confiance à l’égard du
système due à l’incertitude opérationnelle et au risque technique
- Fuite
Ne pas renouveler l’expérience du VI les années suivantes
(cas Lagardère, Linedata services)
d. Stratégie de défiance
Tactiques de défiance ou de provocation (Oliver, 1991)
Indications empiriques et verbatim condensés
Défi : Contester les règles et exigences
Avis partagés, les règles légales ne sont pas faciles à mettre en place. Elles obligent des
pratiques qui techniquement ne sont pas réalisables
Rejet : Ignorer explicitement les normes
Ne pas modifier les statuts en faveur du VI qui laisse entendre que la société n’envisage pas
d’adopter le VI
Attaque : Monter à l’assaut des sources de pressions institutionnelles
Groupes de travail au sein de l’AMF et l’ANSA, action collective entre les acteurs du système bancaire, les représentants des sociétés émettrices et des prestataires de service pour modifier et
améliorer les dispositions légales et les procédures professionnelles
e. Stratégie de manipulation
Tactiques de manipulation (Oliver, 1991)
Indications empiriques et verbatim condensés
Cooptation : Neutraliser l’opposition institutionnelle
- Afficher l’image de l’entreprise innovante
- Améliorer l’image de l’entreprise en jouant la transparence vis-à-vis des actionnaires
- Faire une action symbolique pour les petits porteurs anonymes dont le vote ne constitue pas le quorum, c’est juste « le coté communiquant du produit »
- Neutraliser les sources d’opposition institutionnelles émanant des cabinets et associations défendant les droits des actionnaires, afin de gagner leur approbation en les persuadant que l’entreprise apporte un plus aux actionnaires
(ex. gagner le prix spécial de l’innovation)
Influence : modeler les normes institutionnelles et redéfinir les critères externes d’évaluation
- Faire partie des comités techniques et juridiques des organismes de régulation pour faire des propositions améliorant le système du VI et changeant la loi.
- Persuader les agences de communication et les journaux financiers afin de gagner leur reconnaissance et améliorer le résultat de leur notation et évaluation ; redéfinir leurs critères
d’évaluation des concours d’AG
Contrôle : dominer les influences institutionnelles
- Du point de vue des sociétés émettrices : avoir un accès sur le futur, être les premiers permet de donner une notoriété vis-à-vis de la place, être une référence par rapport aux développeurs du VI et les techniciens de l’ANSA.
- Du point de vue des concepteurs/développeurs du VI : être pionnier, avoir un argument commercial incontournable en respectant la loi ; les autres concepteurs/développeurs suiveurs se trouvent obligés de suivre la même logique,
même si elle a des limites juridiques et techniques
Pour identifier la coprésence des thèmes du rôle de légitimation, il s’est avéré parfois difficile d’interpréter les stratégies de légitimation à la lumière du cadre théorique d’Oliver (1991). Il semble exister des ambigüités inhérentes à notre interprétation personnelle des discours pour rattacher nettement une tactique à une stratégie de légitimation bien déterminée : comment distinguer par exemple, la cooptation par rapport à la tactique d’influence ou de contrôle.
Les stratégies de légitimation et les mécanismes d’isomorphisme sont étudiés séparément dans la littérature. L’analyse des discours des dirigeants a permis de mieux comprendre ces deux concepts et de déceler leur interdépendance. Les organisations utilisent les stratégies de légitimation pour faire face aux pressions institutionnelles normatives, mimétiques et coercitives et atteindre, en fonction, l’isomorphisme institutionnel correspondant. Les stratégies de légitimation sont considérées comme étant les conséquences ou les moyens utilisés par les organisations pour réaliser le rôle institutionnel du système de VI et atteindre l’une des trois formes d’isomorphisme. Ces stratégies ont, de ce fait, une double fonction : elles constituent les leviers des comportements organisationnels (les moyens) et représentent des manières (formes) de se comporter. Nous estimons que cette conception reflète mieux la pensée d’Oliver (1991) et celle de Suchman (1995) en matière d’utilisation des stratégies de légitimation pour faire face aux pressions institutionnelles.
4.3. MISE EN LUMIERE DE L’INTERDEPENDANCE ENTRE LES MECANISMES D’ISOMORPHISME ET LES STRATEGIES DE LEGITIMATION
D’après Tolbert et Zucker (1996), l’adoption d’une pratique institutionnalisée ne relève pas d’un comportement rationnel, mais plutôt d’un comportement institutionnel. La connaissance de ces deux types de comportements permet de comprendre les comportements développés vis-à-vis de l’adoption (oui ou non) d’une pratique institutionnalisée ou en voie de l’être. L’adoption de la pratique du VI dans les AGs pourrait s’inscrire dans ces deux comportements. Nous pensons qu’il existe deux comportements qui sous-tendent l’adoption de la nouvelle pratique du VI : (1) un comportement rationnel pour la réduction des coûts de fonctionnement des AGs, l’amélioration de la relation actionnariale et de la gouvernance d’entreprise en général et (2) un comportement institutionnel pour se conformer aux normes légales (loi NRE) et pour la quête de la légitimité. Ces comportements s’inscrivent dans l’une de ces trois catégories : (1) adopter le système ; (2) ne pas adopter le système et ne pas avoir l’intention de le faire puisque les statuts de la société ne sont pas modifiés pour autoriser cette action (ce qui correspond à une tactique de rejet) ; (3) ne pas adopter le système tout en envisageant de le faire dans le future où les statuts de la société ont été modifiés pour cette fin (correspondant ainsi à une tactique de dissimulation). Nous cherchons dans ce qui suit à mieux appréhender ces comportements d’adoption. Dans un premier temps, nous mettrons en lumière le degré d’importance de chacun des mécanismes d’isomorphisme et de stratégies de légitimation pour déterminer lequel d’entre eux est dominant dans les discours des dirigeants. Dans un deuxième temps, nous rattachons une stratégie de légitimation à une forme d’isomorphisme bien déterminée. La grille d’analyse thématique suivante synthétise les thèmes et items des deux concepts de légitimation et d’isomorphisme.
Tableau 6. Grille d’analyse thématique des comportements institutionnels d’adoption du système de VI
Catégories : comportements d’adoption du système de VI
Thèmes : mécanismes d’isomorphisme
& stratégies de légitimation
Sous-thèmes :
critères d’isomorphisme & tactiques de légitimation
Comportements isomorphes
I.1.
Isomorphisme normatif
I.1.1. Conformité professionnelle : Se conformer aux normes professionnelles de vote (ex. record date, swift, etc.)
I.1.2. Conformité technologique : Se conformer aux normes culturelles technologiques en vigueur
I.1.3. Collaboration : Collaborer et interagir au niveau intra et inter-organisationnel avec les partenaires
I.1.4. Adhésion aux réseaux professionnels spécialisés : participer aux comités et groupes de travail pour résoudre les difficultés juridiques et techniques du système
I.2.
Isomorphisme mimétique
I.2.1. Gestion de l’incertitude technologique et imitation des modalités techniques utilisées par les homologues en matière de gouvernance
I.2.2. Suivi du mouvement et imitation des organisations ayant adopté le système de VI
I.3.
Isomorphisme coercitif
I.3.1. Conformité aux règles légales et aux exigences émanant des instances de régulation
I.3.2. Réponse aux influences coercitives informelles (vade- mecum de l’ANSA, rapport de synthèse de l’AMF (2005), réponses aux consultations de la Commission européenne
I.3.3. Evitement des sanctions pouvant être émises par les défendeurs des droits des actionnaires
Comportements de légitimation
L.1. Stratégie d’acquiescement
L.1.1. Habitude : non observé
L.1.2. Imitation : suivre, se comparer, copier les succès
L.1.3. Conformité : respecter et appliquer les règles légales et professionnelles, interpréter la loi dans un sens strict
L.2. Stratégie de compromis
L.2.1. Compensation : rechercher l’équilibre entre les intérêts propres et externes, inciter au vote tous les actionnaires, combiner les attentes de parties prenantes
L.2.2. Apaisement : appliquer les règles et procédures même si elles sont complexes, s’améliorer progressivement
L.2.3. Négociation : négocier, discuter, se mettre d’accord
L.3. Stratégie d’évitement
L.3.1. Dissimulation : modifier ses statuts sans adopter le système de VI, attendre, être prudent, élaborer une image conforme aux attentes des parties prenantes sans modifier le comportement organisationnel
L.3.2. Fuite : ne pas renouveler l’expérience du VI
L.3.3. Tampon/buffer : non observé
L.4. Stratégie de défiance ou de provocation
L.4.1. Défi : contester les règles institutionnelles, respecter la culture de gouvernance de l’entreprise
L.4.2. Rejet : ignorer les règles et valeurs institutionnelles quand elles divergent ou sont en conflit avec les objectifs internes, ne pas modifier les statuts et ne pas adopter le VI
L.4.3. Attaque : réussir à faire un accord de place pour changer effectivement les règles institutionnelles (légales et professionnelles)
L.5. Stratégie de manipulation
L.5.1. Cooptation : neutraliser, améliorer l’image de l’entreprise, faire des actions symboliques
L.5.2. Influence : participation aux comités, concours AG
L.5.3. Contrôle : domination, notoriété, référence, accès sur le futur, argument commercial, confiance, obligation
L’annexe n° 1 présente l’importance des mécanismes d’isomorphisme et des stratégies de légitimation utilisées par les dirigeants. Pour mesurer cette importance, nous avons suivi une méthode de codage axial. Les codes sont issus de l’analyse de 15 entretiens (les plus significatifs) réalisés auprès des dirigeants de l’échantillon. Ils ont été regroupés afin de faire apparaître les raisons et les moyens utilisés dans l’adoption du système de VI.
En plus de la technique qualitative de l’analyse de contenu (lecture en profondeur des verbatim et codage axial), nous avons calculé le coefficient d’intensité de chacun des deux comportements institutionnels. L’objectif de l’utilisation de cette méthode de comptage est d’analyser horizontalement les discours des dirigeants. Elle permet de faire apparaître les récurrences et les régularités d’un entretien à l’autre. Cette analyse thématique horizontale est précédée d’une analyse verticale (entretien par entretien) pour faire apparaître les thèmes abordés. Le recours à cet outil de traitement des résultats (calculs de fréquences et coefficients d’intensités) vise à étudier l’importance des thèmes abordés pour l’ensemble des dirigeants de l’échantillon et à faciliter l’analyse de leurs relations. Le nombre réduit des entretiens réalisés ne permet pas d’effectuer des traitements statistiques plus sophistiqués, tels que les analyses factorielles et les diagrammes de causalité.
Nous déterminons le degré de chacun des principaux thèmes qui caractérisent l’isomorphisme et la légitimation. Le thème d’isomorphisme normatif a atteint un coefficient d’intensité de 70 %, suivi par l’isomorphisme coercitif à un coefficient de 62 % et de l’isomorphisme mimétique à 53 %. L’isomorphisme normatif s’avère d’une importance supérieure par rapport à l’isomorphisme coercitif et mimétique, ce qui conforte notre première interprétation empirique présentée dans le point 4.1. de la présente section. L’isomorphisme mimétique est présent dans les discours des dirigeants, à hauteur de 53 % seulement. Néanmoins, la majorité des dirigeants (70 %) a avancé que le système de VI est adopté afin de faire face au risque technologique et d’imiter les modalités pratiques utilisées par leurs homologue (généralement leurs concurrents). La volonté de suivre le mouvement est validée par uniquement 30 % des dirigeants.
Concernant les stratégies de légitimation, elles ont été toutes validées dans les discours des dirigeants, mais à des degrés différents. Deux d’entre elles sont dominantes. Il s’agit de la stratégie de compromis à 76 % de coefficient d’intensité et de la stratégie d’acquiescement à 73 %. Leurs items sont validés auprès de plus de 67 % des répondants (atteignant un taux de validation de 87 %). Elles sont suivies par la stratégie de manipulation avec un coefficient de 58 %. Les stratégies de défiance et d’évitement sont présentes dans les discours des dirigeants plus modestement à hauteur de 20 % et 24 % respectivement. Seules les deux tactiques d’habitude et de tampon/buffer, parmi les 15, relatives respectivement aux stratégies d’acquiescement et d’évitement, n’ont pu être mises en lumière.
Au stade de l’interprétation, nous avons dû faire face à l’absence de critères discriminants permettant de différencier chacune des cinq stratégies de légitimation. De fait, notre étude a mis en avant des similitudes. En effet, pour identifier la coprésence des thèmes de légitimation, il s’est avéré parfois difficile d’interpréter les stratégies inhérentes à la lumière du cadre théorique d’Oliver (1991). Il semble exister des ambigüités inhérentes à notre interprétation personnelle des discours pour rattacher nettement une tactique à une stratégie de légitimation bien déterminée : comment distinguer par exemple, la cooptation par rapport à la tactique d’influence ou de contrôle, puisque nous avons constaté que le fait de réaliser la cooptation a un impact sur la tactique d’influence et de contrôle (la première est une condition pour la seconde).
Néanmoins, l’étude des caractéristiques des thèmes et des sous-thèmes ainsi que de leur pourcentage de validation a permis de mieux cerner l’interdépendance qui existe entre les stratégies de légitimation utilisées pour chacune des formes d’isomorphisme institutionnel. Le tableau n° 7 suivant rend montre cette interdépendance.
Tableau 7. Mise en relation des stratégies de légitimation et des types d’isomorphisme
Stratégies de légitimation
Tactiques
Isomorphisme correspondant
Stratégie d’acquiescement
Habitude (absente) Imitation
Conformité
Non observé
Mimétique Normatif
Stratégie de compromis
Compensation
Apaisement Négociation
Coercitif
Stratégie d’évitement
Dissimulation Fuite
Tampon/buffer (absente)
Mimétique Mimétique
Non observé
Stratégie de défiance ou de provocation
Défi
Rejet Attaque
Coercitif
Mimétique Coercitif
Stratégie de manipulation
Cooptation Influence Contrôle
Normatif
En guise de synthèse, non seulement, les dirigeants sont conscients de l’apport institutionnel de la pratique innovante liée au vote électronique par Internet, mais aussi ils l’utilisent pour cette finalité. Ce système est adopté pour faire face au risque technologique et pour se conformer aux normes légales et professionnelles. Toutefois, des dirigeants ne l’ont pas adopté afin d’éviter les sanctions et ne pas entrer en conflit avec les actionnaires. En somme, les comportements favorables ou défavorables vis-à-vis de l’adoption du système de VI permettent de structurer un isomorphisme institutionnel au sein du champ organisationnel lié à la gestion des AGA. Cet isomorphisme permet l’institutionnalisation et la légitimité de la pratique liée au VI des actionnaires. Pour atteindre cette finalité, les dirigeants utilisent différentes stratégies de légitimation correspondant chacune au mécanisme d’isomorphisme attendu. Le schéma suivant rend compte des résultats de notre recherche :
Analyse du comportement institutionnel de l’adoption du VI
DISCUSSION
L’étude empirique a démontré que l’adoption du VI aux AGA est un cas concret d’isomorphisme institutionnel où différentes pressions coexistent simultanément (Hu et al., 2007). L’isomorphisme normatif a joué un rôle aussi important dans l’institutionnalisation du
VI en France que l’isomorphisme coercitif. L’isomorphisme mimétique est le moins prépondérant. Ceci dévie partiellement des postulats de DiMaggio et Powell (1983), puisque nous avons mis en exergue une ampleur encore plus prononcée des pressions normatives. Nos résultats divergent de ceux d’études précédentes sur l’adoption des TIC (Liao, 1996 ; Tingling et Parent, 2002) puisque montrant que l’isomorphisme mimétique explique le moins l’adoption du VI. En outre, nos résultats s’y opposent puisque mettant en lumière que l’isomorphisme normatif est réellement présent.
Nous avons pu valider les cinq stratégies de légitimation d’Oliver (1991) et les 13 tactiques sous-jacentes parmi les 15, en donnant des indications précises imprégnées du terrain. Seulement deux tactiques relatives à l’habitude et au « tampon/buffer » n’ont pu être mises en lumière. L’analyse des items, liés à chacune des tactiques de légitimation, l’analyse et l’interprétation des données ont permis de cerner le degré d’utilisation des cinq stratégies par les entreprises étudiées. Les cinq stratégies de légitimation d’Oliver (1991) sont utilisées dans le cadre de l’adoption du VI. Les stratégies les plus dominantes sont celles d’acquiescement et de compromis, suivies par la stratégie de manipulation.
Soulignons aussi que les stratégies de légitimation et les mécanismes d’isomorphisme sont étudiés séparément dans la littérature. L’analyse des discours des dirigeants a permis de mieux comprendre ces deux concepts et de déceler leur interdépendance. Ce papier montre que pour acquérir ou maintenir leur légitimité, les sociétés utilisent une stratégie d’acquiescement reflétant un comportement passif (DiMaggio et Powell, 1983; Scott, 2001) pour faire face aux pressions institutionnelles. Elles adoptent également des comportements plus actifs qui se manifestent par des stratégies de légitimation, de compromis et de manipulation (Oliver, 1991). Les organisations utilisent les stratégies de légitimation pour faire face aux pressions institutionnelles normatives, mimétiques et coercitives et atteindre, en fonction, l’isomorphisme institutionnel correspondant. Les stratégies de légitimation sont considérées comme étant les conséquences ou les moyens utilisés par les organisations pour atteindre l’une des trois formes d’isomorphisme. Ces stratégies ont, de ce fait, une double fonction : elles constituent les leviers des comportements organisationnels (les moyens) et représentent des manières (formes) de se comporter. Nous estimons que cette conception reflète mieux la pensée d’Oliver (1991) et celle de Suchman (1995) concernant l’utilisation des stratégies de légitimation pour faire face aux pressions institutionnelles.
Cette recherche a également permis de mieux appréhender le caractère actif des stratégies de légitimation. Nous avons aussi établi une grille d’analyse des comportements organisationnels : l’acquiescement (adoption du VI), l’évitement (non adoption du VI), le compromis, la défiance et la manipulation (adoption du VI sous certaines conditions liées aux facteurs contextuels). L’isomorphisme normatif explique, en partie, les stratégies d’acquiescement (tactique de conformité) et de manipulation ; l’isomorphisme coercitif favorise la stratégie de compromis. Quant aux stratégies d’acquiescement (la tactique d’imitation), de défiance (tactique de rejet) et d’évitement (tactiques de dissimulation et de fuite), elles sont expliquées, en partie, par l’isomorphisme mimétique.
CONCLUSION
L’étude souligne particulièrement que les dirigeants des sociétés émettrices sont engagés dans un processus de construction d’une image collective du VI avec les acteurs institutionnels externes (Swanson et Ramiller, 1997) sans pour autant y associer réellement les actionnaires. Curieusement, les utilisateurs finaux du système sont peu considérés dans ce processus. L’adoption du VI correspond plus à une stratégie de manipulation par les dirigeants qu’une volonté réelle d’implication des actionnaires. Les dirigeants l’adoptent pour suivre leurs homologues, donner une image innovante, asseoir leur légitimité ou neutraliser des sources d’opposition défendant les droits des actionnaires. En adéquation avec la perspective institutionnelle (Orlikowski, 1993), les solutions aux entraves de légitimation se trouvent dans l’environnement externe de la société émettrice. La résolution des difficultés passerait par l’harmonisation des pratiques en vigueur, par une meilleure collaboration entre les acteurs externes, ainsi que par un engagement commun entre ces acteurs (Butler, 2003).
La mobilisation de la théorie de la légitimité a permis d’expliquer le comportement des dirigeants vis-à-vis de l’adoption du système de VI. Un des principaux apports de cette recherche est de faire émerger une relation d’interdépendance entre les stratégies de légitimation et les mécanismes d’isomorphisme institutionnel. Nous avons exploité les théories institutionnelle et de légitimité, tout en les enrichissant. En effet, nous avons cerné les relations existant entre les stratégies de légitimation poursuivies pour chacun des mécanismes d’isomorphisme observé. Suchman (1995) étudie les relations entre les formes de légitimité (pragmatique, normative et cognitive) et les stratégies de légitimation. Les résultats de la recherche suivent cette logique en montrant les liaisons entre les stratégies de légitimation et les mécanismes d’isomorphisme. Les stratégies de légitimation d’Oliver (1991) mises en évidence sont, en effet, contingentes à la conception de l’isomorphisme défendue par
DiMaggio et Powell (1983). Le papier met en lumière le rôle et le degré d’importance des trois mécanismes d’isomorphisme institutionnel ainsi que ceux des cinq stratégies et des différentes tactiques de légitimation. Les stratégies d’acquiescement (tactique de conformité professionnelle) et de manipulation sont utilisées pour atteindre l’isomorphisme normatif. Quant à la stratégie de compromis est expliquée par l’isomorphisme coercitif. Les stratégies d’acquiescement (plus précisément la tactique d’imitation), la stratégie de défiance (tactique de rejet) et la stratégie d’évitement (tactiques de dissimulation et de fuite) sont utilisées pour atteindre l’isomorphisme mimétique.
Ce papier a comme limite la non-généralisation des résultats étant donné l’approche qualitative adoptée. L’utilisation de la méthode du questionnaire, administré à un large échantillon de sociétés émettrices et de conception/développement du système, pourrait contribuer à généraliser les résultats auxquels nous sommes parvenus.
Au final, cette étude pourrait être prolongée en explorant la relation entre les phases du processus d’institutionnalisation du VI et les différentes formes de légitimité ayant émergé dans les discours de nombreux dirigeants rencontrés.
Annexe 1. Mise en lumière de l’importance des comportements institutionnels et de légitimation du système de VI pour les dirigeants 1
Dirigeants
Comprtement institutionnel : les mécanismes d'isomorphisme
Comportement de légitimation: les stratégies de légitimation
I.1.Normatif
I.2.Mimétique
I.3. Coercitif
L.1.Acquiescement
L.2.Compromis
L.3.Evitement
L.4.Défiance
L.5.Manipulation
I.1.1.
I.1.2
I.1.3
I.1.4
I.2.1
I.2.2
I.3.1
I.3.2
I.3.3
L.1.1
L.1.2
L.1.3
L.2.1
L.2.2
L.2.3
L.3.1
L.3.2
L.3.3
L.4.1
L.4.2
L.4.3
L.5.1
L.5.2
L.5.3
1. (E9)
2. (E4)
3. (E28)
4. (E2)
5. (E7)
6. (E5)
7. (E8)
8. (E11)
9. (27)
10. (E29)
11. (E3)
12. (E22)
13. (E16)
14. (E15)
15. (E6)
Total de l'item
Mode d’attribution binaire : 1 si le l’item est validé par le répondant sinon 0. Exemple, 10 sur 15 dirigeants interrogés (soit 67 %) considèrent que l’adoption du système de VI comme un moyen de conformité technologique (pour faire face au risque technologique et imiter des modalités pratiques utilisées par leurs homologues).
1 Pour cerner le sous-thème I.1.4., nous avons procéder par deux moyens : (1) analyser le contenu des discours des dirigeants et (2) consulter la liste des personnes auditionnées et consultées par les groupes de travail qui est généralement fournie dans la plupart des rapports et documents étudiés.
Pour cerner le sous-thème L.4.3., nous vérifions si la société appartient à la composition du groupe de travail présidé par l’AMF en septembre 2005 ayant proposé un nouveau décret relatif au vote et à la signature électronique (annexe 2, page 43 du rapport intitulé « Pour l’amélioration de l’exercice des droits de vote des actionnaires en France » - Com. n° 05-053).
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Annexe 2. Exemple d’analyse du discours d’une société émettrice qui envisage l’adoption du VI (entretien collectif - directeur juridique et directeur des relations actionnaires)
Catégories / Thèmes
Impor- tance
Analyse et interprétation & Extraits de verbatim
Pression institutionnelle
Facteur juridique influençant l’adoption pour les
dirigeants
M
A la question posée sur les raisons qui ont poussé le groupe à adopter le VI dans l’avenir, le facteur juridique est mentionné en premier lieu : « ce système fait partie des réformes du droit des sociétés pour développer l’actionnariat salarié en utilisant des outils de communication par Internet ».
Isomorphisme
Isomorphisme mimétique
E
Se comparer, faire un constat, tirer des conclusions quant aux objectifs à atteindre et les actions à mener pour réaliser ces objectifs : « les échos qu’on a eus, c’est qu’il y a très peu de sociétés qui l’ont fait et surtout que le nombre de personnes qui ont effectivement utilisé le vote pré assemblée par internet est vraiment ridiculement bas. Ce qui montre bien que ce n’est
quand même pas une attente aujourd’hui »
Isomorphisme
Isomorphisme
normatif, conformité aux normes
E
Modifier les statuts pour pouvoir tester dans un premier temps le VI.
Isomorphisme/stra tégie de légitimation
Objectif : assurer l’isomorphisme mimétique, faire face
à l’incertitude
E
Etre prudent, « nous, on va également comme d’autres sociétés se mettre en position de pouvoir utiliser ces nouveaux outils de communication » ; « une fois que les systèmes sont plus fiables et moins coûteux on le mettra en place ».
Action menée ou moyen : stratégie de compromis
E
Une politique d’anticipation, « Comme toute autre société pour qu’on soit près à disposer de la capacité juridique de pouvoir le faire si un jour on juge qu’il faut le faire c’est une saine gestion d’anticiper ».
Ð apaiser les influences institutionnelles et rechercher l’équilibre entre les attentes des pp et les intérêts de l’entreprise
- Assurer l’isomorphisme mimétique (ressembler aux pratiques ayant démontré leur succès)
- Stratégie
d’acquiescement, imiter
E
Il y a un double rôle : les entreprises vont adopter le VI s’il se généralise, dans ce cas, elles vont suivre le mouvement et imiter leurs homologues pour acquérir une légitimité et se conformer aux pratiques existantes, les rôles institutionnels et de légitimation sont inter-reliés : la légitimation et la conséquence de l’isomorphisme. Autrement dit, pour assurer l’isomorphisme, les entreprises doivent mettre en place une stratégie de légitimation. « Il représente quand même très peu de personnes. Nous allons mettre en place le vote par Internet, si jamais ce type de pratique se démocratise et qu’il y en a de plus en plus ».
Stratégie de légitimation
Stratégie de manipulation
I
« ce n’est pas être premier absolument à faire les choses, mettre en place des outils d’accord mais si ça concerne une centaine de personnes pour un coût de 30 000 euros, je ne vois pas très bien l’intérêt » une absence totale de stratégie de manipulation (ce n’est pas pour élaborer des actions symboliques et créer une image). Ce choix est supporté par un mode de raisonnement
s’appuyant sur une rationalité purement substantive.
Degré d’importance du thème : Elevé (E), Modéré (M), Faible (F), Inexistant (I)
E : Si répété plus de deux fois ou dit une seule fois d’une manière approfondie M : Si dit deux fois d’une manière non développée
F : Si dit une seule fois d’une manière non développée
I : Si le discours montre clairement la négation vis-à-vis de ce thème
27
Références
Butler T., (2003), “An institutional perspective on developing and implementing intranet and internet- based information systems”, Information Systems Journal, Vol. 13, n° 3, pp. 209-231.
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