186. L’association est licite dès sa constitution, en
vertu du principe de liberté d’association[158]. Dès lors, l’association non
déclarée, ou déclarée mais non publiée, dispose d’une capacité « de
fait » qui lui
est reconnue par la pratique ou la jurisprudence[159]. Toutefois, en dépit de cette
reconnaissance, l’association non déclarée ne constitue qu’un groupement de
fait, elle n’est pas véritablement une entité en droit[160]. A l’égard des tiers, les actes
accomplis par cette association sont en principe nuls[161] ; de même elle ne peut
assigner ni être assignée en justice[162].
187. Cette situation de l’association non déclarée,
rappelle étrangement celle des sociétés non personnifiées[163]. En effet, nonobstant l’absence de
personnalité juridique, elles existent par la force de l’acte juridique qui les
crée. Certaines de ces sociétés sont occultes[164] car la société a vocation à
acquérir la personnalité morale[165]. Au demeurant, ces sociétés
existent dans leurs rapports internes, mais leurs actes sont inopposables aux
tiers. Elles se retrouvent donc dans la même situation que l’association non
déclarée : existence interne mais inopposabilité du groupement aux tiers.
188. L’attribution de la personnalité morale devient alors
dans un cas comme dans l’autre une nécessité aux fins d’opposabilité du
groupement aux tiers[166]. Désormais, la personne morale est
représentée auprès des tiers par des dirigeants dont la responsabilité
personnelle peut être engagée par ces derniers.
189. Il a été justement démontré que la personnification
du groupement ne vient pas modifier son régime juridique[167]. « Cela
signifie donc que la personnalité morale n’est pas source des règles gouvernant
la personne morale. Plus exactement, l’ensemble de son régime juridique trouve
sa source dans l’acte constitutif […] du groupement personnifié »[168].
190. En attribuant la personnalité morale à l’association
et à la société le législateur en a fait des personnes morales. Toutefois la
personnalité juridique dans un cas comme dans l’autre n’a malheureusement pas
la même portée[169].
En effet, à la différence de la société, l’association
personnifiée dispose toujours d’une capacité limitée[170]. C’est en ce sens qu’on a pu dire
qu’elle ne disposait que d’une « petite personnalité[171] ». Mais est-ce bien la
personnalité juridique qui est effectivement réduite et variable d’un
groupement à l’autre ?
191. Répondant à cette question, un auteur[172] a justement démontré que la
personnalité juridique en soi ne varie pas, seule la capacité de la personne
morale peut se trouver réduite par le législateur pour des raisons d’ordre
public.
192. Dès lors, la personnalité juridique emporte bien des
conséquences identiques quelque soit la personne morale considérée. L’examen de
la transposition jurisprudentielle qui va suivre permet de rendre compte des
conséquences de la personnification. Il s’agit certes d’appliquer le droit des
sociétés dans le silence de la loi de 1901 aux associations, mais il s’agit
surtout de relever que ces groupements sont aussi des personnes morales
auxquelles les mêmes règles ou principes[173] trouvent ou peuvent trouver à
s’appliquer.
193. La jurisprudence reconnaît ainsi des effets liés à la
personnification de l’association (Chapitre 1) et l’existence d’un régime de
responsabilité civile des dirigeants de l’association personnifiée (Chapitre
2).
Chapitre 1 : Les effets liés à
la personnification de l’association
194. L’attribution de la personnalité morale pour
l’association comme pour la société se réalise après accomplissement d’une
formalité légale[174].
195. Dans le même temps, leur personnification emporte un
certain nombre d’attributs, dont le plus important est certainement
l’individualisation de la personne morale. Le groupement devient alors un être
à part entière, distinct de ses membres. Il aura dès lors un intérêt distinct
de l’intérêt de ses membres.
195-1. L’individualisation de la personne morale suppose
qu’elle puisse conclure des actes avec des tiers. Pour ce faire, elle va se
doter de représentants, qui vont ainsi l’engager, dans les limites connues[175]. Ceci permet d’affirmer que la
personne morale ne saurait être engagée par des actes qui lui sont antérieurs.
Toutefois, ne serait-il pas possible qu’elle reprenne à son compte des actes
conclus en son nom parce que son arrivée était imminente ?
195-2. L’individualisation de la personne morale suppose
aussi que sa disparition puisse être indépendante de celle de l’acte juridique
fondateur du groupement. Dès lors, la personnalité morale survit-elle à la
dissolution du groupement ?
196. En droit des sociétés, la personne morale peut
reprendre des engagements qui lui sont antérieurs à certaines conditions[176]. De plus, la personnalité morale
survit pour les besoins de liquidation[177]. Rien de tel n’a été prévu dans la
loi de 1901. C’est dans ce contexte que la jurisprudence a transposé ces règles
aux associations. En statuant ainsi, elle reconnaît des effets à la
personnification de l’association, tant au moment de sa constitution (Section
1) qu’au moment de sa disparition (Section 2).
Section 1 : L’effet sur la
constitution de l’association : La reprise des engagements
197. En droit des
sociétés, on admet la reprise des engagements dans des conditions strictes. En
droit des associations, le principe n’est pas affirmé dans la loi de 1901,
mais pourtant les associations, encore plus que les sociétés, connaissent cette
période de non personnification dans la mesure où elles existent de plein droit
avant leur déclaration en vertu de la liberté d’association.
198. La jurisprudence, avec beaucoup de pudeur, semble
admettre l’existence de principe de la reprise (§1). Mais il existe des obstacles
à l’admission définitive du principe de la reprise en droit associatif (§2).
§ 1) L’admission de principe de la
reprise en droit associatif
199. La reprise des engagements ne connaît pas en droit
associatif une grande importance. Ignorée de la Loi, elle n’est que très peu
envisagée par la jurisprudence[178].
En pratique, les fondateurs d’associations recourent
alors à certains mécanismes du droit des contrats : Clause résolutoire et
condition suspensive[179]. Mais ces mécanismes étant limités[180], les juges ont fini par admettre
progressivement la reprise, d’abord de manière indirecte (A) puis de manière
directe (B).
A – L’admission indirecte
200. Dans l’arrêt du 3 mai 1990[181], la jurisprudence a admis de façon
indirecte, l’existence de la reprise (2) par la motivation retenue (1). Mais il
ne s’agit que d’une admission indirecte, les juges ne faisant pas expressément
référence à la règle de la reprise.
1°) La motivation retenue
201. Dans cette affaire, la Société des Centres
Commerciaux (S.C.C.) avait ouvert un centre à Suresnes. Afin d’assurer la
promotion de ce centre, le « délégué de gestion » de la société
engagea une campagne de publicité. Par ailleurs, les commerçants prenant à bail
un local situé dans le centre avaient souscrit une clause
« essentielle » aux termes de laquelle ils adhéraient à l’Association
des Commerçants du Centre (A.C.C.) dont l’objet était de favoriser la publicité
des commerçants dudit centre. La S.C.C. envoya alors à l’A.C.C. ses factures,
et celle-ci régla seulement deux d’entre elles en estimant qu’elle n’était pas
encore déclarée au moment de la passation du contrat de publicité.
Mais en réalité, la Cour estima que l’association
était redevable des sommes restantes, en se fondant sur la théorie de la croyance légitime[182] et celle du mandat
apparent[183].
202. Un auteur[184] commentant cet arrêt émit de fortes
réserves à l’égard de cette motivation. Considérant que la théorie du mandat
apparent n’a été utilisée que pour engager une association non déclarée,
aboutir par ce moyen à traiter une association non déclarée comme si elle avait
la personnalité morale lui paraît une fiction exagérée.
203. Au demeurant, les juges semblent admettre en réalité
l’existence de la reprise des engagements par une association déclarée.
2°) La reconnaissance implicite de
la reprise
204. Un autre argument semble justifier la décision de la
Cour de Versailles. La deuxième facture avait été réglée par l’association
après accomplissement de la formalité de déclaration. Ne s’agissait-il pas
alors d’une ratification des engagements souscrits par le mandataire apparent,
ce qui correspond à la reprise des engagements telle qu’on la connaît en droit
des sociétés ? Il semble possible de le croire.
205. Dès lors, même si la décision de la Cour ne fait
aucune allusion expresse à la reprise, elle l’admet au moins de façon
indirecte. Il ne reste plus qu’à envisager l’admission directe.
B – L’admission directe
206. Plus directement, la Cour de cassation admet
l’existence de principe de la reprise. Cette fois les juges font directement
référence à la possibilité de reprendre des actes antérieurs. Pour ce faire,
ils envisagent le sort du cautionnement (1) et le sort des autres actes (2).
1°) Le sort du cautionnement
souscrit par l’association non personnifiée
207. Dans un arrêt du 5 mai 1998, la Cour de cassation
s’est prononcée sur la question de la validité de l'acte de cautionnement
souscrit en garantie des engagements contractés par une association en
formation. La solution qu'elle adopte ne manque pas d'intérêt.
Elle a en effet précisé que « la
caution qui garantissait le remboursement d'un prêt contracté par une
association non déclarée, et dépourvue de ce fait de la capacité juridique
n'était pas tenue d'exécuter ses engagements [185][…] ».
208. Par cette décision, la Cour de cassation casse
l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 8 mars 1996 et fait une très exacte
application des textes de loi. Elle rappelle en effet que le prêt contracté au
nom d'une association non déclarée n'engage que celui qui se présente comme son
représentant et non l'association elle-même, celle-ci n'ayant pas la capacité
de contracter. L'obligation de restituer les fonds prêtés incombe donc au
"représentant" de l'association et non à l'association elle-même.
C'est la raison pour laquelle, dans ce cas, la caution qui s'était seulement
engagée à garantir les dettes de l'association ne pouvait être tenue des dettes
contractées par son "représentant", personne distincte de
l'association. En effet, aux termes de l'ancien article 2015 du code civil[186], on ne peut étendre le
cautionnement au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
209. En l'espèce, l'acte de cautionnement avait été
souscrit dans le but de garantir un prêt octroyé à l'association et non à celui
qui se prétendait son dirigeant. La Cour de cassation en a donc déduit à juste
titre que celui qui s'était porté caution pour garantir les engagements d'une
personne juridique qui n'existait pas (l'association) ne pouvait être tenu de
ses obligations de caution.
210. En statuant ainsi, les juges ont envisagé directement
la question de la reprise des engagements même si c’est pour exonérer la
caution. Plus directement encore elle a envisagé la reprise des autres actes.
2°) La sort des autres actes conclus
avant la personnification de l’association
211. La Cour de cassation a décidé qu'après avoir été
déclarée à la préfecture, une association peut, avec l'accord des fondateurs,
reprendre à son compte les droits et obligations résultant d'une convention
conclue par son représentant avant cette déclaration[187]. En l’espèce, une association avait
intenté une action tendant à la déclarer possesseur de biens qui lui auraient
été cédés alors qu’elle n’était pas encore déclarée. La Cour de cassation
rejeta son pourvoi aux motifs que « La Cour d’appel a
retenu qu’à la date de la convention du 7 janvier 1985, l’association n’avait
pas la capacité juridique pour acheter les matériels litigieux, et qu’après
cette date, elle n’a pas repris à son compte les droits et obligations
afférents à cette convention […] ».
212. En statuant ainsi, les juges reconnaissent qu’une
association déclarée peut reprendre les actes qui lui sont antérieurs. Cet
arrêt a été salué par une doctrine majoritaire et a même été considéré comme
établissant le principe de la reprise en droit associatif[188]. Il s’agit d’un raisonnement hâtif
quand on voit les nombreux obstacles qui viennent contester une telle affirmation.
§ 2) Les obstacles à l’admission
définitive de la reprise en droit associatif
213. Le principe de la reprise tel qu’il existe en droit
des sociétés a-t-il été reconnu comme tel en droit associatif ? Peut-on
espérer que la reprise a été définitivement admise en droit associatif ?
Malgré la ferveur que les arrêts sus évoqués ont
entraîné en doctrine[189], il sera démontré qu’on doit
relativiser leur portée (B) et ce, à cause de leurs incertitudes (A).
A – Les incertitudes de la solution
214. La solution développée par la jurisprudence et qui a
consisté à admettre le principe de la reprise en droit associatif est
incertaine.
En effet, son contenu ne nous révèle rien sur
les modalités (1) et les effets (2) de la reprise.
1°) Les modalités de la reprise
215. La jurisprudence ne dit rien sur les modalités de la
reprise. La doctrine semble admettre qu’il faille recourir au droit des
sociétés et notamment à l'article 6 du décret du 3 Juillet
1978.
216. La reprise pourrait alors intervenir après
déclaration à la préfecture et insertion de cette déclaration au Journal
officiel, à la suite d'une décision spéciale expresse des associés, et ce
quelle que soit la date à laquelle les actes auront été accomplis pour le
compte de l'association en formation[190].
217. Toutefois, cette analyse ne saurait être convaincante
car rien ne permet de croire que les juges vont recourir de lege
ferenda au droit
des sociétés via l’article 1843 du C. civ. Ils auraient pu recourir à
celui-ci pour préciser les modalités de la reprise. Comment considérer alors ce
silence : Acceptation ou refus ?
218. Un autre argument plaide en la défaveur d’un recours
systématique au droit des sociétés pour fonder les modalités de la reprise. La
« décision expresse des associés[191] » sera–t-elle soumise à un
vote majoritaire ou unanimitaire ? La doctrine penche pour un vote
majoritaire par analogie au droit des sociétés[192]. C’est peut-être vite oublier que
les associations sont des groupements dans lesquels il est possible d’imaginer
toutes sortes de combinaisons possibles[193].
219. Cette même incertitude subsiste quant aux effets de
la reprise.
2°) Les effets de la reprise
220. De même la jurisprudence n’a pas précisé les effets
de la reprise. Là encore la doctrine est encline à considérer qu’il faille
recourir au droit des sociétés pour considérer que « les
actes seront
réputés avoir été contractés par l’association dès l’origine[194] ».
221. Ces incertitudes, liées au contenu de la
solution, lui confèrent alors une portée relative. Laquelle constitue un
obstacle à l’admission définitive de la reprise en droit associatif.
B – La portée relative de la
solution
222. La solution adoptée par les juges mérite d’être
approuvée en ce qu’elle reconnaît la possibilité pour une association déclarée
de reprendre à son compte les actes qui sont antérieurs à sa personnification.
223. Mais la solution pêche par son contenu, et en cela sa
portée ne peut qu’être relative. En effet elle fragilise la construction du
principe de la reprise en droit associatif (1). De plus, elle refuse de
reconnaître l’art. 1843 comme fondement commun du principe de la reprise (2).
1°) Le principe de la reprise en
droit associatif : une construction fragile
224. La solution des juges ne permet pas de cerner les
contours du principe de la reprise, en cela la construction jurisprudentielle
est fragile.
225. En effet, en refusant (oubliant ?) de préciser
les modalités et les effets de la reprise, les juges ont affirmé un principe
creux. Le principe de la reprise, tel qu’il ressort des arrêts étudiés, est une
coquille vide. Certes, l’association déclarée peut reprendre des actes
antérieurs mais quelles conditions ?
226. L’association se caractérisant par un vent de
liberté, les juges auraient dû préciser au moins les modalités de ce principe
important des personnes morales. Le principe de la reprise est donc bien une
construction fragile en droit associatif. De plus les juges n’ont pas voulu
faire de l’art. 1843 du C. civ. le fondement commun du principe de la reprise.
2°) Le refus de l’article 1843
comme fondement commun du principe de la reprise
227. En ne se fondant sur aucun texte pour justifier
l’existence de la reprise en droit associatif, les juges semblent la
reconnaître comme principe commun des groupements[195]. Toutefois, rien ne permet
d’assurer qu’elle aura les mêmes modalités qu’en droit des sociétés[196]. En effet, même si l’on considère
qu’il puisse servir de socle à l’élaboration d’un droit commun des groupements,
il faut encore que par analogie, les juges y fassent expressément référence.
228. Partant de là, il est permis de croire que la reprise
pourra connaître des modalités particulières en droit des associations. Et
quand on connaît la relative protection dont bénéficient les tiers face aux
associations[197], on ne peut que déplorer le manque
de précision des modalités de la reprise. Une simple référence à l’art. 1843 du
C. civ. aurait cependant suffi. Mais les juges s’en sont bien gardés. Dès lors,
ils n’affirment pas expressément que le droit des sociétés constitue le socle
commun d’édification du principe de la reprise pour les personnes morales.
229. Le principe de la reprise en droit associatif est
encore une construction fragile. Il n’est pas encore admis définitivement par
la jurisprudence. Décider que les juges ont voulu lui attribuer les mêmes
modalités qu’en droit des sociétés, trahit en réalité une forte espérance. Le
principe de la reprise ne sera définitivement admis en droit associatif que
lorsque ses modalités auront été clairement précisées soit par référence au
droit des sociétés, soit d’une autre façon.
330. Au demeurant, la personnification de l’association
emporte également un effet sur sa disparition.
Section 2 : L’effet sur la
disparition de l’association : La survie de la personnalité juridique pour
les besoins de liquidation
331. La disparition de l’association ou de la société peut
résulter de la nullité du contrat ou de la dissolution. Dans les deux cas, en
droit des sociétés, il est clairement admis que la personnalité juridique
subsiste pour les besoins de liquidation jusqu’à la publication de la clôture
de celle-ci[198]. Rien de tel ne figure dans le
droit associatif, à l’exception de l’art. 14 du décret qui vise expressément la
liquidation[199].
332. L’examen de cet article permet de relever la liberté
d’organisation des conditions de la liquidation qui est reconnue par le
législateur aux sociétaires. Et quand on sait les dérives occasionnées par
cette liberté, il est permis de douter de l’opportunité de l’application de la
règle aux associations (§1). Mais il ne s’agit que d’un doute méthodique
puisque les juges appliquent bien la règle de la survie aux associations (§2).
§ 1) L’opportunité de l’application
de la règle aux associations
333. La détermination de l’opportunité pose en réalité la
question de savoir si « toute dissolution
d’association, et plus particulièrement la dissolution décidée par les
sociétaires réunis en assemblée générale est-elle obligatoirement et
nécessairement suivie d’une phase de liquidation ?[200] »
334. La réponse à cette question permettra d’envisager les
obstacles qui se dressent à l’application ne varietur de la règle aux associations (A).
Il sera ensuite précisé que ces obstacles n’éliminent pas pour autant la
nécessité d’appliquer la règle aux associations (B).
A – Les obstacles à l’application ne
varietur de la règle aux associations
335. De nombreux obstacles empêchent une application ne
varietur de la règle
de la survie telle qu’on la conçoit en droit des sociétés aux associations. Ces
obstacles peuvent être juridiques (1) ou factuels (2).
1°) Les obstacles juridiques
336. Ces obstacles tiennent à la spécificité du droit
associatif avec le principe de liberté statutaire et l’interdiction de
partager les bénéfices.
336-1. En vertu du principe de liberté statutaire les
sociétaires organisent librement leur fonctionnement. La liquidation de
l’association dissoute n’a pas échappé à ce principe. En effet, au sens de
l’article 14 du décret[201], les sociétaires organisent
librement les conditions de liquidation et de dévolution des biens. Poussant
plus loin le raisonnement, un auteur[202] s’est demandé si dans certains cas
les sociétaires pouvaient éviter l’ouverture d’une période de liquidation après
la dissolution. Ainsi, lorsque l’article 14 suscité reconnaît aux sociétaires
le pouvoir de régler librement les conditions de la liquidation, cette liberté
porte-elle sur le principe même de l’existence d’une phase de
liquidation ?
336-2. Le second obstacle tient à la définition de la notion
de liquidation et sa portée en droit des associations. En droit des sociétés,
il ressort « de la définition généralement retenue, que l’issue
normale de la liquidation d’une société dissoute réside dans le partage du
produit de la liquidation envisagée comme une opération indispensable pour
parvenir à un tel partage[203] ».
Or l’association n’a pas vocation à partager des
bénéfices. Par conséquent, « une liquidation qui
n’aurait de raison d’être que de préparer les opérations de partage, non
seulement ne serait pas nécessaire en matières d’associations, mais bien plus
encore y serait interdite[204] ».
337. Il convient alors de définir la liquidation en
matière d’association comme étant « l’ensemble des
opérations qui sont nécessaires afin de terminer les affaires dans lesquelles
l’association est engagée, de réunir les éléments de son actif et d’éteindre
son passif, de sorte que le cas échéant soit dégagé l’actif net qui pourra être
attribué à un, ou plusieurs nouveau(x) titulaire(s), qui n’étai(en)t pas
membres de l’association dissoute [205] ».
338. Outre ces obstacles juridiques, il existe des
obstacles factuels.
2°) Les obstacles factuels
339. Il peut exister des associations pour lesquelles la
dissolution s’avère inutile. C’est ainsi qu’un auteur[206] a récemment démontré qu’il était
possible d’envisager des associations dissoutes sans que la dissolution ne soit
suivie d’une liquidation. Il envisage deux situations qu’il convient ici de
reproduire.
339-1. Tout d’abord, il est possible que les associations ne
possèdent plus, au moment de leur dissolution, aucun contrat en cours avec des
tiers et ni aucun créancier[207].
339-2. Il est aussi possible de rencontrer des associations
dans lesquelles il existe bien des éléments à liquider mais dont la liquidation
peut s’effectuer très rapidement au cours de la seule assemblée qui arrête la
décision de dissolution. Cette assemblée générale peut alors, tout en
dissolvant l’association, décider de transmettre, par le biais d’une fusion,
l’ensemble des éléments actifs et passifs de son patrimoine à un bénéficiaire
déterminé.
340. Dans ces hypothèses, l’ouverture d’une liquidation
s’avèrerait inutile[208]. Pour autant, la survie de la
personnalité morale pour les besoins de liquidation reste bien une nécessité.
B – La nécessité de l’application de
la règle aux associations
341. La survie de la personnalité morale pour les besoins
de la liquidation reste bien une nécessité pour les associations malgré les
obstacles sus envisagés. En effet, en reconnaissant aux sociétaires une liberté
d’organisation de la liquidation, le législateur n’a pas entendu supprimer le
principe même de l’existence d’une phase de liquidation. La règle s’impose donc
toutes les fois qu’il est nécessaire de liquider (1), mais aussi de garantir
les intérêts des différents protagonistes à la liquidation (2).
1°) La nécessité de liquider
342. L’association étant une personne morale, sa
personnalité juridique ne saurait disparaître dès la décision de liquidation.
Il est très peu probable en effet que les sociétaires aient la certitude, au
moment de la dissolution, que la liquidation est inutile du fait de l’absence
de tout élément à liquider[209]. La liquidation est donc nécessaire
pour s’assurer de l’absence de tout contrat en cours et créancier, mais aussi
de fraude[210].
343. Mais la liquidation reste également une nécessité
pour une raison technique : l’indivision serait en effet d’une rigidité
excessive dans la mesure où elle requiert l’unanimité[211].
344. L’application de la règle de la survie est surtout
une nécessité pour les différents protagonistes dont les intérêts peuvent être
garantis.
2°) La nécessité de garantir les
intérêts des différents protagonistes
345. Qu’il s’agisse des sociétaires, des créanciers ou de
l’entreprise, la liquidation met en jeu différents intérêts[212].
345-1. D’abord, les sociétaires seraient contraints de se
retrouver en indivision. Ce qui pour une raison technique est assez rigide,
pour procéder à la dévolution des biens. Quant aux créanciers, ils perdraient
avec la disparition de la personnalité morale au jour de la dissolution, leur
« droit de gage exclusif sur les biens de la personne
morale[213] ». Enfin, l’entreprise
associative étant aujourd’hui une réalité, il est nécessaire d’ouvrir une
période de liquidation afin d’éviter « un arrêt, ou même un
fâcheux ralentissement de la vie économique et sociale de l’entreprise […] [214]».
345-2. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire
d’appliquer la règle de la survie de la personnalité morale aux associations.
Et la jurisprudence l’a justement compris.
§ 2) L’application de la règle aux
associations
346. Il est de jurisprudence constante que la personnalité
morale de l’association dissoute subsiste pour les besoins de la liquidation[215]. L’association dissoute continue
d’être une personne morale distincte des personnes physiques qui la composent[216]. Toutefois, sa personnalité
juridique est limitée quant aux actes (A) et dans le temps (B).
A – La limitation de la personnalité
juridique quant aux actes
347. La personnalité juridique des associations dissoutes
subsiste donc pour les besoins de leur liquidation. Dès lors, l’association
n’aura de personnalité juridique, et donc de capacité juridique, qu’autant que
les actes qu’elle passera seront nécessaires à la liquidation[217]. Ces actes peuvent être antérieurs
(1) ou postérieurs à la liquidation (2).
1°) Les actes antérieurs
348. L’association survit pour l’exécution de tous les
contrats qu’elle a passés antérieurement à sa dissolution[218].
Il en va ainsi notamment pour les contrats de travail
avec ses salariés, pour les baux conclus avec les propriétaires des immeubles
où elle exerce son activité, pour les marchés avec des fournisseurs ou des
clients.
349. Elle peut aussi conclure des actes postérieurement à
sa dissolution.
2°) Les actes postérieurs
350. L’application de la règle de la survie signifie
également que l’association dissoute pourra aussi accomplir tous les actes
nécessaires ou utiles à sa liquidation. Elle peut ainsi vendre ses biens. En
revanche, une association dissoute ne peut faire des opérations qui seraient en
contradiction avec le but de la liquidation. Elle ne pourra donc plus ni
acquérir de nouveaux biens, ni encaisser de nouvelles cotisations[219].
351. L’application de la règle de la survie entraîne une
limitation de la personnalité juridique de l’association quant aux actes.
Désormais, elle ne pourra qu’effectuer des actes nécessaires à la liquidation.
C’est ainsi qu’elle peut ester en justice[220].
352. Mais l’application de la règle va également limiter
la personnalité juridique de l’association dans le temps.
B – La limitation de la personnalité
juridique dans le temps
353. L’étude qui va suivre pose la question du terme de la
survie de la personnalité juridique de l’association dissoute.
354. En droit des sociétés, la clôture des opérations de
liquidation marque la fin de la période de liquidation[221].
355. Aucune disposition n’étant prévue dans la loi de
1901, les juges ont décidé « qu’une association
perd son existence juridique à partir de sa liquidation et de la dévolution de
ses biens[222]». La dévolution des biens marque
donc la fin de la personnalité juridique de l’association (1). Mais, celle-ci
peut renaître même après la dévolution des biens (2).
1°) La fin de la personnalité
juridique avec la dévolution des biens
356. La fin des opérations de liquidation, marque donc la
fin de la personnalité juridique. Mais un problème s’est posé de façon récurrente
aux juges : A partir de quel moment doit-on considérer que les opérations
de liquidation sont terminées ?
357. La jurisprudence semble s’accorder sur le principe du
parallélisme des formes qui supposerait que la personnalité juridique
disparaisse avec la publication de la dissolution au Journal officiel[223]. Mais en pratique, une telle
analyse est limitée quand on voit la grande désaffection de cette formalité par
les associations[224].
358. Que décider alors lorsqu’il n’y a pas eu
publication ? La jurisprudence a considéré que la dévolution des biens
marquait la fin de la personnalité juridique[225].
359. Mais il semble que la personnalité juridique de
l’association puisse renaître après la dévolution.
2°) La renaissance de la
personnalité juridique après dévolution des biens
360. La jurisprudence[226] a admis qu’un liquidateur dont la
mission était terminée, pouvait exercer au nom de l’association, après
dévolution de ses biens, une action en révocation de ladite dévolution. La
doctrine en examinant cet arrêt considère d’une part que la personnalité juridique
ne disparaît pas avec la dévolution et d’autre part qu’ayant disparu, elle peut
renaître pour les besoins de l’action en justice.
361. Il convient de s’attacher à la seconde analyse[227]. En effet considérer que la
personnalité morale survive à la dévolution c’est affirmer qu’elle n’a pas de
fin. Mais c’est également affirmer qu’elle existe par elle-même et pour
elle-même. Or la personnalité morale existe par la personne morale,
et peut subsister après dissolution de celle-ci pour les besoins de la
liquidation uniquement. Dès lors, on ne saurait imaginer qu’elle puisse
subsister à la dévolution puisqu’alors il n’y a plus de personne morale, ni
d’intérêt à ce qu’elle existe.
362. La personnalité juridique disparaît avec la
dévolution mais peut renaître pour les besoins d’une action en justice
nécessaire à la liquidation (en l’espèce, la validité de la dévolution était
contestée, il était donc normal que l’association ayant récupéré ses biens
procède à une nouvelle dévolution).
363. Cette solution permet d’établir le parallèle avec les
développements qu’il y a eu en droit des sociétés sur la durée de la
personnalité morale[228].
364. Finalement, la personnalité juridique est-elle un
phoenix qui renaît toujours de ses cendres ? L’arrêt du 11 décembre 1973
permet de répondre par l’affirmative. La personnalité juridique renaîtra autant
de fois que la dévolution fera l’objet d’une contestation.
Conclusion du chapitre 1
365. L’attribution de la personnalité morale à
l’association emporte un certain nombre d’effets. Désormais, elle est une
personne morale distincte des membres qui l’ont créée, c’est le principe
d’autonomie. Elle peut donc reprendre les actes conclus pour son compte avant
son apparition et elle survit à la dissolution « pour
les besoins de la liquidation ». En transposant ces règles du droit des
sociétés aux associations, la jurisprudence reconnaît à la personnalité morale
les mêmes effets quel que soit le groupement auquel elle s’applique.
366. Toutefois, on l’a vu, la spécificité de l’association
et la timidité de la jurisprudence permettent de considérer que l’association
est une personne morale particulière et l’application des règles découlant de
sa personnification ne saurait se faire ne varietur.
367. Au demeurant, l’association personne morale ne peut
faire entendre sa voix que par l’intermédiaire de ses dirigeants. La
jurisprudence y accorde une importance non négligeable. Cela sera envisagé à
travers l’examen de la responsabilité civile des dirigeants de l’association
personnifiée.
Chapitre 2 : La responsabilité
civile des dirigeants de l’association personnifiée
368. Envisager la responsabilité civile des dirigeants
d’une personne morale est une entreprise périlleuse.
369. En théorie, l’écran[229] de la personne morale ne permet pas
d’envisager a priori la responsabilité du dirigeant de la personne morale
à l’égard des tiers. Le dirigeant représente la personne morale, il agit pour
son compte et dès lors, les fautes qu’il commet dans l’exercice de ses
fonctions engagent la personne morale. En pratique, les recours sont souvent
dirigés contre la personne morale, considérée comme beaucoup plus solvable que
ses dirigeants. La responsabilité des dirigeants des personnes morales à
l’égard des tiers est bien une situation exceptionnelle[230].
370. A l’égard des membres du groupement, la
responsabilité des dirigeants des personnes morales est considérée comme étant
ordinaire[231]. En effet, la personnification du
groupement n’influence pas le régime de responsabilité des dirigeants à l’égard
des membres du groupement[232]. C’est ce qui explique que l’on
puisse envisager un régime de responsabilité des dirigeants à l’égard des
membres de groupements non personnifiés, telle la société en participation.
Toutefois, l’octroi de la personnalité juridique facilite matériellement la
réparation du préjudice social[233].
371. Deux théories[234] ont tenté d’expliquer la
responsabilité des dirigeants de la personne morale. Il convient de les
reprendre ici pour cerner les fondements de cette responsabilité.
371-1. La première théorie est fondée sur le mandat. Les
dirigeants de la personne morale sont des mandataires. En tant que tels, ils
doivent rendre compte de leur mission et sont responsables vis-à-vis de
l’association dont ils ont reçu mandat. Il a été majoritairement admis que
cette théorie, si elle justifie la responsabilité du dirigeant à l’égard de la
personne morale, ne permet pas d’expliquer la responsabilité de l’association à
l’égard des tiers.
371-2. Cette critique a justifié la seconde théorie, dite organique,
selon laquelle les dirigeants, en participant de la structure même de la
personne morale, s’identifieraient à elle jusqu’à s’y confondre. Cette théorie
présente elle aussi ses limites car, si les dirigeants sont la personne morale
comment justifier qu’ils soient responsables envers elle ?
372. La doctrine ne s’accorde guère sur la question et la
jurisprudence ne fait pas mieux[235]. Le bilan est donc celui de
l’incertitude[236]. Il est préférable de s’en tenir à
la casuistique des décisions pour mesurer l’étendue réelle de cette
responsabilité plutôt que de se lancer dans la recherche d’une certaine
cohésion[237].
373. L’examen de cette casuistique en droit associatif
permet de se rendre compte de l’ambiguïté des solutions jurisprudentielles.
Tantôt les juges transposent les règles du droit des sociétés, comme c’est le
cas pour la faute détachable des fonctions ; tantôt ils refusent de
transposer des règles, notamment l’action sociale ut
singuli. En
statuant ainsi, les juges affichent une fâcheuse tendance à déresponsabiliser
de fait les dirigeants d’associations tant à l’égard des sociétaires (Section
1) qu’à l’égard des tiers (Section 2).
Section 1 : La
déresponsabilisation de fait des dirigeants de l’association à l’égard des
sociétaires
374. Lorsqu’ils exercent leurs missions, les dirigeants
peuvent commettre des fautes causant un préjudice tant à l’association qu’aux
sociétaires.
375. En droit des sociétés, lorsque le préjudice est
social, l’action en responsabilité du dirigeant fautif peut être exercé au
moyen de deux actions : les actions sociales ut
universi[238]et ut singuli[239]. En revanche, l’associé ayant été
personnellement lésé peut intenter une action individuelle[240].
376. En droit des associations, les juges admettent
également les actions ut universi et individuelle. Toutefois ils ont refusé le bénéfice
de l’action sociale ut singuli aux sociétaires, ce qui conduit à déresponsabiliser
de fait les dirigeants d’associations. Il convient donc d’évaluer ce refus
jurisprudentiel (§1) afin de démontrer l’opportunité de la reconnaissance de
l’action sociale ut singuli en droit associatif (§2).
§ 1) L’évaluation du refus
jurisprudentiel de l’action sociale ut singuli en droit
associatif
377. La Cour de cassation a exclu, en droit des
associations, la possibilité d’exercer l’action sociale ut singuli, dans un arrêt du 13 février 1979[241]. Si l’arrêt a été rendu dans le
cadre d’un groupement obligatoire, échappant au régime de droit commun des
associations tel qu’il est défini par la vieille loi de 1901, son intérêt
pratique dépasse largement ce cadre. En effet, « les
principes énoncés par la Cour de cassation peuvent valoir également pour les
associations à statut non dérogatoire et […] pour l’ensemble des groupements
titulaire de la personnalité morale[242] ».
378. Cette précision faite, il apparaît nécessaire
d’examiner le fondement de ce refus (A) pour en faire ressortir les limites de
cette décision (B).
A – Le fondement du refus : Le
défaut d’autorisation légale
379. Les juges ont rendu dans cette affaire un attendu
qu’il convient de reproduire : « Sauf
exception prévue par la loi, seules les personnes habilitées à représenter une
personne morale peuvent intenter une action en justice au nom de celle-ci. Dès
lors, viole les dispositions de l’article 32 du NCPC la Cour d’appel qui
déclare recevable l’action en dommages-intérêts exercée par un membre d’une
fédération départementale de chasseurs, au nom de cet organisme, contre le
président de fédération […] ».
380. En statuant ainsi, les juges subordonnent l’exercice
de l’action sociale ut singuli à une autorisation légale. L’action sociale ut
singuli est donc
une action exceptionnelle (2), et l’action sociale ut
universi le principe
de mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants à l’égard de la personne
morale (1).
1°) Le principe de mise en œuvre de
la responsabilité des dirigeants sociaux à l’égard de la personne morale :
L’action sociale ut universi
381. Selon les termes de l’arrêt, seules les personnes
investies, à raison d’une disposition légale expresse ou de la règle organique
du groupement, du pouvoir de représenter celui-ci en justice, peuvent être
admises à le faire[243]. Il a été démontré que l’exercice
de cette action relevait bien des pouvoirs normaux des mandataires sociaux[244]. Les associés/sociétaires n’ont-ils
pas abdiqué la possibilité d’exercice de leurs prérogatives en faveur de leurs
représentants ?
382. Le raisonnement de la Cour relève donc a priori de la
pure logique. L’action sociale ut singuli est une action en justice pour
laquelle il faut, en plus d’un intérêt, une qualité pour agir. Or, cette
qualité pour représenter la personne morale en justice appartient à ses
mandataires. L’action sociale ne peut être admise ut
singuli que lorsque
le législateur le décide expressément pour un groupement précis[245].
383. Par conséquent, l’action sociale ut
singuli est donc
une action exceptionnelle de mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants
à l’égard de la personne morale.
2°) L’action exceptionnelle :
L’action sociale ut singuli
384. L’action sociale ut singuli est donc une action exceptionnelle
qui déroge aux principes classiques de procédure civile.
C’est ainsi qu’en droit des sociétés elle suppose au
moins l’inertie des dirigeants. Il s’agit donc d’une action particulière
dont la raison d’être réside à la fois dans les effets attendus de sa mise
en œuvre et dans les conséquences de l’inertie des organes du groupement à
l’exercer[246].
385. S’agissant des associations et des groupements autres
que les sociétés, l’action sociale ut singuli est proscrite faute d’autorisation
légale. Et quand bien même le législateur l’autoriserait, elle serait comme en
droit des sociétés conditionnée à l’inaction des mandataires sociaux. C’est pourquoi, l’on peut considérer qu’en droit associatif, en
l’état actuel du droit positif, l’action sociale ut
singuli est
une action doublement exceptionnelle.
386. Cette décision est donc en conformité avec la
caractéristique essentielle des groupements personnifiés[247]. Pour autant faudrait-il exclure
l’action sociale ut singuli à défaut d’autorisation légale ? D’autant plus
que, postérieurement à cet arrêt, la jurisprudence[248] puis le législateur ont reconnu que
l’action sociale ut singuli était d’application générale en droit des sociétés.
387. Cette décision peut et doit aujourd’hui être
critiquée.
B – La critique de la décision
388. Comme l’a si bien démontré un auteur présentant le
contexte dans lequel a été rendu cet arrêt, la Cour de cassation a juste voulu
endiguer toutes les velléités d’actions provenant d’une initiative individuelle[249]. Cette décision peut donc être
critiquée car elle contribue à déresponsabiliser le dirigeant fautif (1) et est
aujourd’hui obsolète (2).
1°) Une solution déresponsabilisant
le dirigeant fautif
389. La solution de principe posée par les juges suprêmes
contribue à déresponsabiliser le dirigeant fautif dans les groupements
considérés. Selon les différents groupements personnifiés, la possibilité
d’agir en justice pour le compte de la personne morale est, soit partagée entre
un certain nombre de représentants, soit dévolue à un seul et même organe[250].
390. En droit associatif, la dévolution du pouvoir de
représenter l’association en justice est statutaire. Elle n’appartient au
dirigeant d’association que sur habilitation expresse. A défaut de celle-ci, le
dirigeant fautif ne peut faire échec au jeu de sa responsabilité en refusant
d’exercer l’action sociale ut universi contre lui-même. Mais lorsque ce
même dirigeant pourra sur habilitation expresse, représenter l’association en
justice, rien ne permet de croire qu’il exercera l’action sociale. En pratique
donc, seuls les nouveaux dirigeants habilités ou les autres organes habilités
pourront, s’ils le veulent et ne sont pas inertes, véritablement
engager la responsabilité du dirigeant fautif. Malheureusement, en cas
d’inaction, les sociétaires ne pourront même pas poursuivre le dirigeant
fautif. Ce dernier bénéficie alors d’une relative immunité, qui aboutit à le
déresponsabiliser de fait.
391. Cette décision est aussi critiquable par son
obsolescence.
2°) Une solution obsolète
392. La solution est aujourd’hui obsolète. Pour s’en
convaincre il suffit de remonter au contexte de l’arrêt. A une époque où
l’action sociale ut singuli n’était pas encore admise dans toutes les sociétés[251], la Cour d’appel de Paris[252] décida de reconnaître celle-ci
comme étant d’application générale à toutes les sociétés. Dès lors, elle décida
que les membres d’une SCI étaient tout à fait en droit de l’exercer. Cette
décision, dont l’approbation ministérielle fut fortement critiquée, connut
finalement une consécration législative[253]. Aujourd’hui l’action sociale ut
singuli est
unanimement admise en droit des sociétés[254].
393. Il est alors permis de croire que, si cet arrêt avait
été rendu après la généralisation législative de l’action sociale ut
singuli à toutes
les sociétés, les juges n’auraient pas raisonné pareillement. D’autant plus
que, cette décision étant demeurée isolée, « force
est de constater que le scepticisme exprimé quant à l’exercice de l’action
sociale ut singuli au sein des groupements autres que les sociétés résulte
davantage du désintérêt des plaideurs que d’une ferme politique
jurisprudentielle[255]».
394. Désormais, rien n’empêche donc de considérer que
l’action sociale ut singuli pourrait trouver une application opportune à d’autres
personnes morales et notamment aux associations.
§ 2) L’opportunité de la
reconnaissance de l’action sociale ut singuli en droit associatif
395. L’extension de l’action sociale ut
singuli aux
associations est bien une question d’opportunité. D’abord par ce qu’elle est
nécessaire au bon fonctionnement de l’association (A), ensuite parce qu’aucun
obstacle technique ne se dresse contre son extension aux associations (B).
A – L’action sociale ut singuli, une
nécessité pour le bon fonctionnement de l’association
396. En l’état actuel du droit positif, tout milite en
faveur de l’extension de l’action sociale ut singuli aux associations. L’absence de
démocratie dans les associations est de plus en plus accrue. L’action sociale ut
singuli permettrait
de protéger la minorité (1) et de lutter contre la dictature de la majorité
(2).
1°) Protéger la minorité
397. En droit associatif, les minoritaires bénéficient
d’une protection relative voire inexistante[256]. Toutefois, en l’état actuel du
droit, ils ne peuvent exercer l’action sociale ut
singuli. Cette
action, dont le but est de pallier l’inertie d’une majorité dirigeante, est un
véritable atout pour les minoritaires, et même pour le plus petit des
minoritaires.
398. L’extension de cette action aux associations
permettrait à tout sociétaire ou groupe de sociétaires, quelque soit son droit
de vote (fut-il réduit par des clauses statutaires), d’engager en justice la
responsabilité du dirigeant fautif envers la personne morale. La minorité se
trouverait donc véritablement renforcée, ce qui conduirait à lutter contre la
dictature de la majorité.
2°) Lutter contre la dictature de la
majorité
399. L’action sociale ut singuli permettrait également de lutter
contre une majorité généralement solidaire et autoritaire en droit associatif.
Lorsqu’un dirigeant a causé un préjudice social, sa responsabilité n’est en
pratique que très peu engagée par les personnes habilitées dans les
associations. Cette situation aboutit malheureusement à conférer au dirigeant
fautif une réelle immunité dans les associations.
400. Dans ces groupements, on sait que la plupart du temps
la dévolution des fonctions s’opère de manière statutaire entre des fondateurs,
qui sont généralement de « bons copains ». Dès lors, il est
difficilement envisageable que l’un d’eux (ou plusieurs d’entre eux),
investi(s) du pouvoir de représenter l’association en justice, engage la
responsabilité du dirigeant fautif. Cette réalité est néanmoins beaucoup plus
avérée dans les petites associations que dans les grosses structures
associatives.
401. L’extension de l’action sociale ut
singuli aux
associations est donc bien une nécessité pour instaurer un peu de démocratie
dans les associations. De plus, il n’existe aucun obstacle technique à son
extension aux associations.
B – L’absence d’obstacle technique à
l’extension de l’action sociale ut singuli aux associations
402. Il s’agira ici de rechercher le fondement de l’action
sociale ut singuli[257]. Et si cette étude permet de
démontrer que ce fondement est le même quelque soit le groupement considéré, on
pourra affirmer qu’il n’existe aucun obstacle technique à l’extension de
l’action sociale ut singuli aux associations.
403. De récents travaux sur la matière[258] ont révélé que l’action sociale ut
singuli était en
fait un droit propre du membre du groupement (1) et était recevable en vertu de
son caractère conservatoire (2).
1°) L’action sociale ut singuli, un droit propre du membre du groupement
404. Partant du constat que le mandataire social ne fait
qu’exercer les prérogatives appartenant à la collectivité des associés, un
auteur[259] a pu démontrer qu’il doit répondre
des fautes commises dans sa gestion et peut engager sa responsabilité envers
chacun de ses mandants. « On peut donc déduire
que chacun des membres du groupement peut exercer ut singuli l’action sociale
en vertu d’un droit propre[260]». Ce droit propre est en fait le
droit conféré par tout mandant en vertu de l’art. 1992 du C. civ.
405. Le titulaire de l’action sociale ut
singuli n’est donc
pas la personne morale elle-même mais bien chacun des mandants[261]. Il semblerait même que le fait que
les dommages-intérêts soient versés à la caisse du groupement ne constitue
point un obstacle à ce constat, puisqu’elle est justifiée par l’atteinte à
l’intérêt commun[262].
406. Dès lors, l’action sociale ut
singuli doit
pouvoir être reconnue aux sociétaires puisqu’ils en sont les véritables
titulaires. Toutefois, elle ne peut être exercée qu’à titre conservatoire.
2°) L’action sociale ut singuli, une action à caractère conservatoire
407. La mise en œuvre de l’action sociale ut
singuli se heurte
nécessairement aux règles d’organisation du groupement, qui confèrent aux
représentants le pouvoir d’exercer les prérogatives des membres[263]. Dès lors, l’action en justice
appartient initialement aux personnes habilitées.
408. Mais qu’est-ce qui justifie qu’un membre puisse quand
même exercer cette action ?
L’exercice de l’action sociale ut
singuli n’est
possible qu’en cas d’inertie des personnes habilitées. C’est leur inertie, et
surtout la crainte de cette inertie, qui justifie qu’un membre puisse exercer ut
singuli une action
en justice. D’où on a pu dire que « Cet exercice isolé de
l’action en responsabilité […] est recevable à raison de son caractère
conservatoire, l’associé se prévalant du danger imminent d’extinction de son
droit du fait de l’inertie des organes sociaux[264]».
Ce raisonnement est admissible en droit associatif.
Les sociétaires pourraient également exercer à titre conservatoire l’action
sociale ut singuli.
409. Malheureusement, en l’état actuel du droit positif,
l’action sociale ut singuli n’est toujours pas admise en droit associatif. Cela
conduit à une déresponsabilisation de fait des dirigeants d’association à
l’égard des membres de la personne morale. Le même constat est possible à l’égard
des tiers.
Section 2 : La
déresponsabilisation de fait des dirigeants de l’association à l’égard des
tiers
410. Généralement admise en droit des sociétés, la
construction prétorienne de la faute détachable des fonctions vient d’être
étendue aux associations[265]. Désormais, les dirigeants
d’associations ne seront responsables personnellement à l’égard des tiers qu’en
cas de faute détachable des fonctions. Comme certains dirigeants des sociétés[266], les dirigeants d’associations sont
intégrés dans le domaine de cette faute détachable.
411. Dès lors, il s’en suit que les dirigeants concernés
par la faute détachable bénéficient d’une « relative immunité » à
l’égard des tiers. Cela est particulièrement vrai pour les dirigeants
d’associations qui sont des mandataires et pour lesquels elle aboutit à les
déresponsabiliser à l’égard des tiers.
412. Par conséquent, cette transposition qui exige
l’établissement d’une faute détachable des fonctions (§1) pour engager la
responsabilité des dirigeants à l’égard des tiers est en réalité limitée (§2).
§ 1) L’exigence d’une faute
détachable des fonctions
413. La faute détachable des fonctions est donc la
condition sine qua non pour engager la responsabilité des dirigeants
d’associations à l’égard des tiers. Mais à quelles conditions ?
414. En droit des sociétés, on a longtemps déploré
l’absence de définition de la faute détachable des fonctions[267]. Cela n’est plus vrai depuis
l’arrêt du 20 mai 2003[268] qui a proposé une définition de
cette notion.
415. En droit des associations, en transposant la notion
de faute détachable, les juges ont certainement reçu la définition proposée par
la jurisprudence commerciale. Toutefois, il sera démontré qu’ils tiennent
également compte de la spécificité de l’association.
416. La définition de la faute détachable en droit des
associations tient par conséquent compte de la définition classique (A), qui
est complétée par un élément nouveau tiré de la spécificité de l’association
(B).
A – La définition classique de la notion
de faute détachable des fonctions
417. Dans l’arrêt du 2003, les juges ont rendu l’attendu
suivant : « La responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard
des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute détachable des
fonctions […] qu’il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement
une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des
fonctions sociales ».
418. Si la Cour semble donner trois critères de définition
de la faute détachable des fonctions[269], un examen approfondi de la
solution[270] permet de rendre compte qu’elle
fournit deux éléments de définition de la notion : Le caractère
intentionnel de la faute (1) et sa particulière gravité (2), dans la mesure où
la faute détachable est nécessairement incompatible avec l’exercice normal des
fonctions de dirigeant[271].
1°) Le caractère intentionnel de la
faute
419. Il y a faute intentionnelle dès lors qu’un dirigeant
– auteur du dommage – a su en agissant comme il l’a fait, qu’il causerait ce
dommage, même s’il n’a pas agi dans l’unique dessein de nuire à la victime. Il
n’y a pas nécessairement intention de nuire à autrui mais il y a volonté de
causer un dommage[272].
420. Comme conséquence du caractère intentionnel, il
faudrait relever que la faute du dirigeant fera l’objet d’une appréciation
in concreto. De plus, est exclue la faute de
négligence qui est une faute de gestion au grand damne de la doctrine[273].
421. En droit des associations aucune mention expresse n’a
été faite du caractère intentionnel de la faute détachable mais l’on suppose
que l’admission de la notion même de faute détachable suffit à exiger ce
caractère. Dans un arrêt du 19 février 1997, les juges ont simplement retenu
que le seul fait pour un dirigeant de prêter sa notoriété à la personne morale
(association) n’était pas suffisant pour caractériser la faute détachable, si
toutefois cette notoriété n’a pas été utilisée par l’intéressé comme un
engagement à l’appui d’une intervention personnelle en vue d’amener le
partenaire à conclure le contrat[274].
422. Au demeurant, la faute détachable doit aussi être
d’une particulière gravité.
2°) La particulière gravité de la
faute
423. Ce critère a été repris de la proposition du Haut
Conseiller Métivet, pour qui « seules les fautes
commises pour des mobiles personnels (recherche de son propre intérêt,
animosité à l’égard de la victime, vengeance…) ou peut-être encore une gravité
exceptionnelle excluant l’exercice normal des fonctions, sont susceptibles
d’engager la responsabilité personnelle du gérant ou de l’administrateur [275]».
424. L’handicap de ce critère est qu’il est
particulièrement difficile à établir. La doctrine ne s’accorde guère sur une
définition[276]. Et la jurisprudence en droit des
associations ne nous renseigne malheureusement pas plus[277].
425. Toujours est-il qu’il faudrait considérer que les
tiers doivent établir que la faute du dirigeant d’association était intentionnelle
et d’une particulière gravité. A cela s’ajoute désormais un élément nouveau
tiré de la spécificité de l’association.
B – L’élément nouveau tiré de la
spécificité de l’association
426. Dans un arrêt du 7 octobre 2003[278] la Cour de cassation a estimé
que : « La responsabilité personnelle des administrateurs
d’une association n’est engagée que s’ils ont commis une faute détachable de
leurs fonctions ; Et attendu que l’arrêt retient qu’aucune faute
personnelle précise n’est démontrée à l’égard des administrateurs qui ont
agi dans le cadre des statuts des associations […] ».
Doit donc être considérée, aux termes de cet arrêt,
comme détachable des fonctions du dirigeant d’association, la faute commise par
le dirigeant d’association qui n’a pas respecté les missions assignées par les
statuts (1). Le mérite de cet arrêt est certainement d’avoir respecté la
spécificité de l’association, sa portée doit cependant être relativisée (2).
1°) La faute commise par le
dirigeant d’association hors ses missions statutaires
427. Comme il a déjà été démontré, les dirigeants
d’association sont des mandataires conventionnels. En tant que tels ils
tiennent leurs pouvoirs des statuts, et ne peuvent agir au-delà des limites
statutaires. Allant dans ce sens, la Cour de cassation estime qu’une faute est
détachable des fonctions si et seulement si elle ne rentre pas dans le cadre de
la mission du dirigeant d’association. En l’espèce[279], deux associations de défense de l’environnement
ayant agi contre une société de construction en vue de l’empêcher de réaliser
un programme immobilier, celle-ci leur avait reproché un excès d’ardeur
processive et avait alors assigné ensemble les associations et leurs dirigeants
en vue d’obtenir des dommages-intérêts pour procédure abusive.
428. Par cette analyse, les juges ont-ils
voulu exclure du champ de la faute détachable toutes les fautes de gestion
des dirigeants d’associations, mais aussi toutes les fautes intentionnelles
rentrant dans le cadre des missions statutaires des dirigeants ? Sans
aller jusque là, il apparaît que la portée de cette nouvelle exigence doit être
relativisée.
2°) La portée relative de la
nouvelle exigence
429. Il s’agit ici de s’interroger sur la valeur qu’on pourrait
attribuer à ce nouveau critère. S’agit-il vraiment d’un nouveau critère ?
Une analyse un peu poussée permet peut-être
d’entrevoir derrière ces limitations statutaires propres aux associations,
l’hypothèse du dépassement de pouvoir. Il s’en suit que le dirigeant qui
n’aurait pas excédé ses pouvoirs (statutaires ou légaux) ne saurait voir sa
responsabilité personnelle engagée par des tiers. La faute détachable des
fonctions n’implique-t-elle pas implicitement que la faute soit commise hors
les limites du pouvoir du dirigeant concerné ?
430. Dans le cadre de cette étude, il sera considéré que
le Cour n’a pas élargi les critères classiques de la notion de faute détachable
des fonctions[280]. Elle a tout simplement voulu
marquer son désir de ne pas dénaturer l’association. Dès lors, il existe une seule
définition de la faute détachable des fonctions pour tous les dirigeants
concernés et ce quelque soit la personne morale considérée.
431. Plutôt que d’exalter cette soi-disant adaptation de
la faute détachable des fonctions aux associations, c’est l’étendue de ses
limites qu’il convient d’envisager.
§ 2) Les limites de cette
transposition
432. La transposition de la faute détachable aux
associations pose un certain nombre de problèmes, et en cela elle est limitée.
Ces limites tiennent tant à la notion de faute détachable elle-même (A) qu’au
statut particulier du dirigeant d’association (B).
A – Les limites tenant
à la notion de faute détachable
433. La notion de faute détachable des fonctions présente
de réelles incertitudes. Certes, la Cour de cassation doit être approuvée dans
sa tentative de définition de cette notion[281]. Mais l’approbation ne saurait
exclure, lorsqu’elle est nécessaire, la critique. Dès lors, la construction de
la faute détachable doit être relativisée car elle est limitée tant en ce qui
concerne la preuve du caractère « détachable » de la faute du
dirigeant (1) que sa mise en œuvre (2).
1°) Les limites liées à la preuve du
caractère « détachable » de la faute du dirigeant
434. Il semble impossible de déterminer le caractère
détachable de la faute du dirigeant. En effet, le comportement fautif n’est
jamais totalement indépendant des fonctions[282]. Il existe une catégorie d’actes
qui, tout en ayant été accomplis à l’occasion de l’exercice des fonctions, se détachent
plus ou moins nettement de la poursuite de l’œuvre commune et causent aux tiers
un préjudice, par imprudence, maladresse, négligence ou même en connaissance de
cause[283].
Que fera alors le tiers ? Doit-il engager
individuellement la responsabilité du dirigeant ou alors celle de la personne
morale ? Doit-il engager conjointement les deux ?
435. Suite à ces difficultés qu’il y a à établir le
caractère détachable de la faute du dirigeant, diverses solutions ont été
proposées en doctrine.
435-1. Il a ainsi été proposé de remplacer purement et
simplement la notion de faute détachable par celle de faute lourde ou
dolosive[284]. Cette démarche aurait l’avantage
de ne plus avoir comme référence principale les fonctions du dirigeant.
435-2. Il a aussi été proposé de se fonder sur la gravité de
la faute commise par le dirigeant[285]. Lorsque ce dernier aura commis une
faute légère, l’association sera engagée et en cas de faute lourde, sa
responsabilité personnelle doit pouvoir être retenue à l’égard des tiers.
436. Malgré ces propositions doctrinales, la notion de la
faute détachable reste encore incertaine à mettre en œuvre.
2°) Les limites liées à la mise en
œuvre de la faute détachable
437. Il s’agit ici de supposer que la faute du dirigeant
soit effectivement « détachable » de ses fonctions. Comment le tiers
pourra-t-il la mettre en œuvre et engager la responsabilité du dirigeant ?
En principe il lui suffira d’établir que cette faute a
été intentionnelle et/ou d’une particulière gravité. Mais le Cour ne nous dit
pas si ces critères sont alternatifs ou cumulatifs.
438. De plus ces critères sont difficiles à mettre en
œuvre. En effet, alors que la faute intentionnelle exclut la faute de gestion
et a pour corollaire que le dirigeant ne puisse être mis en cause au titre de
sa gestion que dans le cadre d’une procédure collective, la faute d’une
particulière gravité n’est pas simple à définir.
439. Les propositions pour pallier ces incertitudes
abondent. Certaines d’entre elles tendent à considérer que le tiers n’aurait
qu’à établir la faute lourde pour mettre en œuvre la responsabilité du
dirigeant[286]. D’autres en revanche proposent que
les tiers établissent la fraude du dirigeant[287].
440. On le voit, le critère de faute détachable des
fonctions, apparemment souple, se révèle complexe à l’analyse. Parce qu’elle
est particulièrement difficile à établir, elle confère une immunité réelle aux
dirigeants.
441. Au-delà, la construction de la faute détachable ne
sied pas parfaitement au dirigeant d’association. Il existe donc des limites
tenant au statut particulier du dirigeant d’association.
B – Les limites tenant au
statut particulier du dirigeant d’association
442. Le dirigeant d’association étant un mandataire (1),
sa rémunération est facultative (2). L’application de la faute détachable à ces
dirigeants doit donc être limitée.
1°) Les limites découlant de la
qualité de mandataire du dirigeant
443. On l’a vu le dirigeant d’association est bien un
mandataire conventionnel à la différence du dirigeant de société que l’on
considère souvent comme un représentant légal.
Au sens de l’art. 1992 al. 1er du C. civ. « Le
mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet
dans sa gestion ».
Aucune distinction n’est donc faite entre les fautes détachables de ses
fonctions et celles qui ne le seraient pas. Dès lors, le dirigeant
d’association devrait être responsable de toutes les fautes qu’il commet au
cours de sa mission à l’égard des tiers. La Cour de cassation fait une
application constante de ces principes directeurs de la responsabilité des
mandataires[288].
444. L’application de la faute détachable trouve donc ici,
une application délicate. Pris comme mandataires, les dirigeants d’associations
ont un régime de responsabilité plus favorable aux tiers. La faute détachable
des fonctions, appliquée aux dirigeants d’associations les déresponsabilise
sérieusement à l’égard des tiers.
445. D’autres limites découlent aussi du caractère
facultatif de sa rémunération.
2°) Les limites découlant du
caractère facultatif de la rémunération du dirigeant
446. Au sens de l’al. 2 de l’art. 1992 du C. civ. « Néanmoins
la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à
celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire ». En pratique la plupart des
dirigeants d’associations sont des bénévoles qui exercent leurs missions à
titre gratuit.
447. Or la faute détachable des fonctions a initialement
été construite pour des personnes qui perçoivent une rémunération :
fonctionnaires, dirigeants des sociétés. Dès lors, l’application de la faute
détachable des fonctions aux dirigeants d’associations est encore limitée.
Pour ces raisons, la construction de la faute
détachable en matière d’associations aboutit à déresponsabiliser les dirigeants
de ces personnes morales à l’égard des tiers.
448. C’est donc un véritable parcours du combattant pour
le tiers que de chercher à engager la responsabilité des dirigeants
d’association : Outre les difficultés à établir le caractère détachable de
la faute, il leur faut surtout la caractériser (ce qui n’est pas moins difficile).
449. Tout cela alors même que les dirigeants
d’associations sont des mandataires dont on pourrait engager la responsabilité
pour toutes les fautes commises dans l’exercice de leurs missions.
Conclusion du chapitre 2
450. L’analyse du régime de responsabilité des dirigeants
de l’association personnifiée permet de rendre compte qu’en dépit des faits
générateurs de la responsabilité, les dirigeants fautifs bénéficient d’une
relative immunité. Ce constat aboutit à une véritable déresponsabilisation de
fait des dirigeants de l’association personnifiée tant à l’égard des
sociétaires que des tiers.
451. Pourtant, si l’on revenait au contrat de mandat, pour
considérer les dirigeants des personnes morales comme des mandataires sociaux,
l’on pourrait mettre fin à cette déresponsabilisation de fait. En effet, le
contrat de mandat permet de justifier la responsabilité des dirigeants à
l’égard de la personne morale et l’exercice de l’action sociale ut
singuli par les
membres de cette personne morale. Le contrat de mandat permettrait aussi de
justifier la responsabilité à l’égard des tiers et la faute détachable des
fonctions. Cette dernière pourrait alors être exigée uniquement pour les tiers
ayant contracté avec le mandant sans l’intermédiaire du mandataire. En
revanche, les tiers qui auraient contracté avec le mandant par l’intermédiaire
de son mandataire ne seraient tenus que d’établir la faute simple de ce dernier
pour engager sa responsabilité.
Conclusion du Titre 2
452. L’attribution de la personnalité morale à
l’association emporte, comme c’est le cas pour la société, un certain nombre de
conséquences. Ces conséquences, on l’a vu, se retrouvent tant au niveau de sa
constitution, de sa dissolution que de la responsabilité civile de ses
dirigeants.
L’application du droit des sociétés aux associations,
à ce stade du raisonnement, peut être considéré comme étant la reconnaissance
de l’existence de principes communs aux personnes morales. Toutefois, certains
de ces principes (la survie de la personnalité juridique pour les besoins de
liquidation ; la reprise des engagements) ne sauraient s’appliquer ne
varietur d’une
personne morale à l’autre, car si le concept de la personnalité morale est
unique, les personnes morales sont distinctes.
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