jeudi 31 mai 2018

L’APPLICATION DU DROIT DES SOCIETES AUX ASSOCIATIONS titre 2











Titre II : L’application du droit des sociétés à l’association personne morale

186. L’association est licite dès sa constitution, en vertu du principe de liberté d’association[158]. Dès lors, l’association non déclarée, ou déclarée mais non publiée, dispose d’une capacité « de fait » qui lui est reconnue par la pratique ou la jurisprudence[159]. Toutefois, en dépit de cette reconnaissance, l’association non déclarée ne constitue qu’un groupement de fait, elle n’est pas véritablement une entité en droit[160]. A l’égard des tiers, les actes accomplis par cette association sont en principe nuls[161] ; de même elle ne peut assigner ni être assignée en justice[162].
187. Cette situation de l’association non déclarée, rappelle étrangement celle des sociétés non personnifiées[163]. En effet, nonobstant l’absence de personnalité juridique, elles existent par la force de l’acte juridique qui les crée. Certaines de ces sociétés sont occultes[164] car la société a vocation à acquérir la personnalité morale[165]. Au demeurant, ces sociétés existent dans leurs rapports internes, mais leurs actes sont inopposables aux tiers. Elles se retrouvent donc dans la même situation que l’association non déclarée : existence interne mais inopposabilité du groupement aux tiers.
188. L’attribution de la personnalité morale devient alors dans un cas comme dans l’autre une nécessité aux fins d’opposabilité du groupement aux tiers[166]. Désormais, la personne morale est représentée auprès des tiers par des dirigeants dont la responsabilité personnelle peut être engagée par ces derniers.
189. Il a été justement démontré que la personnification du groupement ne vient pas modifier son régime juridique[167]. « Cela signifie donc que la personnalité morale n’est pas source des règles gouvernant la personne morale. Plus exactement, l’ensemble de son régime juridique trouve sa source dans l’acte constitutif  […] du groupement personnifié »[168].
190. En attribuant la personnalité morale à l’association et à la société le législateur en a fait des personnes morales. Toutefois la personnalité juridique dans un cas comme dans l’autre n’a malheureusement pas la même portée[169].
En effet, à la différence de la société, l’association personnifiée dispose toujours d’une capacité limitée[170]. C’est en ce sens qu’on a pu dire qu’elle ne disposait que d’une « petite personnalité[171] ». Mais est-ce bien la personnalité juridique qui est effectivement réduite et variable d’un groupement à l’autre ?
191. Répondant à cette question, un auteur[172] a justement démontré que la personnalité juridique en soi ne varie pas, seule la capacité de la personne morale peut se trouver réduite par le législateur pour des raisons d’ordre public.
192. Dès lors, la personnalité juridique emporte bien des conséquences identiques quelque soit la personne morale considérée. L’examen de la transposition jurisprudentielle qui va suivre permet de rendre compte des conséquences de la personnification. Il s’agit certes d’appliquer le droit des sociétés dans le silence de la loi de 1901 aux associations, mais il s’agit surtout de relever que ces groupements sont aussi des personnes morales auxquelles les mêmes règles ou principes[173] trouvent ou peuvent trouver à s’appliquer.
193. La jurisprudence reconnaît ainsi des effets liés à la personnification de l’association (Chapitre 1) et l’existence d’un régime de responsabilité civile des dirigeants de l’association personnifiée (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Les effets liés à la personnification de l’association

194. L’attribution de la personnalité morale pour l’association comme pour la société se réalise après accomplissement d’une formalité légale[174].
195. Dans le même temps, leur personnification emporte un certain nombre d’attributs, dont le plus important est certainement l’individualisation de la personne morale. Le groupement devient alors un être à part entière, distinct de ses membres. Il aura dès lors un intérêt distinct de l’intérêt de ses membres.
195-1. L’individualisation de la personne morale suppose qu’elle puisse conclure des actes avec des tiers. Pour ce faire, elle va se doter de représentants, qui vont ainsi l’engager, dans les limites connues[175]. Ceci permet d’affirmer que la personne morale ne saurait être engagée par des actes qui lui sont antérieurs. Toutefois, ne serait-il pas possible qu’elle reprenne à son compte des actes conclus en son nom parce que son arrivée était imminente ?
195-2. L’individualisation de la personne morale suppose aussi que sa disparition puisse être indépendante de celle de l’acte juridique fondateur du groupement. Dès lors, la personnalité morale survit-elle à la dissolution du groupement ?
196. En droit des sociétés, la personne morale peut reprendre des engagements qui lui sont antérieurs à certaines conditions[176]. De plus, la personnalité morale survit pour les besoins de liquidation[177]. Rien de tel n’a été prévu dans la loi de 1901. C’est dans ce contexte que la jurisprudence a transposé ces règles aux associations. En statuant ainsi, elle reconnaît des effets à la personnification de l’association, tant au moment de sa constitution (Section 1) qu’au moment de sa disparition (Section 2).

Section 1 : L’effet sur la constitution de l’association : La reprise des engagements
 197. En droit des sociétés, on admet la reprise des engagements dans des conditions strictes. En droit des associations, le principe n’est pas affirmé dans la loi de 1901, mais pourtant les associations, encore plus que les sociétés, connaissent cette période de non personnification dans la mesure où elles existent de plein droit avant leur déclaration en vertu de la liberté d’association.
198. La jurisprudence, avec beaucoup de pudeur, semble admettre l’existence de principe de la reprise (§1). Mais il existe des obstacles à l’admission définitive du principe de la reprise en droit associatif (§2).
§ 1) L’admission de principe de la reprise en droit associatif
199. La reprise des engagements ne connaît pas en droit associatif une grande importance. Ignorée de la Loi, elle n’est que très peu envisagée par la jurisprudence[178].
En pratique, les fondateurs d’associations recourent alors à certains mécanismes du droit des contrats : Clause résolutoire et condition suspensive[179]. Mais ces mécanismes étant limités[180], les juges ont fini par admettre progressivement la reprise, d’abord de manière indirecte (A) puis de manière directe (B).
A – L’admission indirecte
200. Dans l’arrêt du 3 mai 1990[181], la jurisprudence a admis de façon indirecte, l’existence de la reprise (2) par la motivation retenue (1). Mais il ne s’agit que d’une admission indirecte, les juges ne faisant pas expressément référence à la règle de la reprise.
1°) La motivation retenue
201. Dans cette affaire, la Société des Centres Commerciaux (S.C.C.) avait ouvert un centre à Suresnes. Afin d’assurer la promotion de ce centre, le « délégué de gestion » de la société engagea une campagne de publicité. Par ailleurs, les commerçants prenant à bail un local situé dans le centre avaient souscrit une clause « essentielle » aux termes de laquelle ils adhéraient à l’Association des Commerçants du Centre (A.C.C.) dont l’objet était de favoriser la publicité des commerçants dudit centre. La S.C.C. envoya alors à l’A.C.C. ses factures, et celle-ci régla seulement deux d’entre elles en estimant qu’elle n’était pas encore déclarée au moment de la passation du contrat de publicité.
Mais en réalité, la Cour estima que l’association était redevable des sommes restantes, en se fondant sur la théorie de la croyance légitime[182] et celle du mandat apparent[183].
202. Un auteur[184] commentant cet arrêt émit de fortes réserves à l’égard de cette motivation. Considérant que la théorie du mandat apparent n’a été utilisée que pour engager une association non déclarée, aboutir par ce moyen à traiter une association non déclarée comme si elle avait la personnalité morale lui paraît une fiction exagérée.
203. Au demeurant, les juges semblent admettre en réalité l’existence de la reprise des engagements par une association déclarée.
2°) La reconnaissance implicite de la reprise
204. Un autre argument semble justifier la décision de la Cour de Versailles. La deuxième facture avait été réglée par l’association après accomplissement de la formalité de déclaration. Ne s’agissait-il pas alors d’une ratification des engagements souscrits par le mandataire apparent, ce qui correspond à la reprise des engagements telle qu’on la connaît en droit des sociétés ? Il semble possible de le croire.
205. Dès lors, même si la décision de la Cour ne fait aucune allusion expresse à la reprise, elle l’admet au moins de façon indirecte. Il ne reste plus qu’à envisager l’admission directe.
B – L’admission directe
206. Plus directement, la Cour de cassation admet l’existence de principe de la reprise. Cette fois les juges font directement référence à la possibilité de reprendre des actes antérieurs. Pour ce faire, ils envisagent le sort du cautionnement (1) et le sort des autres actes (2).
1°) Le sort du cautionnement souscrit par l’association non personnifiée
207. Dans un arrêt du 5 mai 1998, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la validité de l'acte de cautionnement souscrit en garantie des engagements contractés par une association en formation. La solution qu'elle adopte ne manque pas d'intérêt.
Elle a en effet précisé que « la caution qui garantissait le remboursement d'un prêt contracté par une association non déclarée, et dépourvue de ce fait de la capacité juridique n'était pas tenue d'exécuter ses engagements [185][…] ».
208. Par cette décision, la Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 8 mars 1996 et fait une très exacte application des textes de loi. Elle rappelle en effet que le prêt contracté au nom d'une association non déclarée n'engage que celui qui se présente comme son représentant et non l'association elle-même, celle-ci n'ayant pas la capacité de contracter. L'obligation de restituer les fonds prêtés incombe donc au "représentant" de l'association et non à l'association elle-même. C'est la raison pour laquelle, dans ce cas, la caution qui s'était seulement engagée à garantir les dettes de l'association ne pouvait être tenue des dettes contractées par son "représentant", personne distincte de l'association. En effet, aux termes de l'ancien article 2015 du code civil[186], on ne peut étendre le cautionnement au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
209. En l'espèce, l'acte de cautionnement avait été souscrit dans le but de garantir un prêt octroyé à l'association et non à celui qui se prétendait son dirigeant. La Cour de cassation en a donc déduit à juste titre que celui qui s'était porté caution pour garantir les engagements d'une personne juridique qui n'existait pas (l'association) ne pouvait être tenu de ses obligations de caution.
210. En statuant ainsi, les juges ont envisagé directement la question de la reprise des engagements même si c’est pour exonérer la caution. Plus directement encore elle a envisagé la reprise des autres actes.
2°) La sort des autres actes conclus avant la personnification de l’association
211. La Cour de cassation a décidé qu'après avoir été déclarée à la préfecture, une association peut, avec l'accord des fondateurs, reprendre à son compte les droits et obligations résultant d'une convention conclue par son représentant avant cette déclaration[187]. En l’espèce, une association avait intenté une action tendant à la déclarer possesseur de biens qui lui auraient été cédés alors qu’elle n’était pas encore déclarée. La Cour de cassation rejeta son pourvoi aux motifs que « La Cour d’appel a retenu qu’à la date de la convention du 7 janvier 1985, l’association n’avait pas la capacité juridique pour acheter les matériels litigieux, et qu’après cette date, elle n’a pas repris à son compte les droits et obligations afférents à cette convention […] ».
212. En statuant ainsi, les juges reconnaissent qu’une association déclarée peut reprendre les actes qui lui sont antérieurs. Cet arrêt a été salué par une doctrine majoritaire et a même été considéré comme établissant le principe de la reprise en droit associatif[188]. Il s’agit d’un raisonnement hâtif quand on voit les nombreux obstacles qui viennent contester une telle affirmation.
§ 2) Les obstacles à l’admission définitive de la reprise en droit associatif
213. Le principe de la reprise tel qu’il existe en droit des sociétés a-t-il été reconnu comme tel en droit associatif ? Peut-on espérer que la reprise a été définitivement admise en droit associatif ?
Malgré la ferveur que les arrêts sus évoqués ont entraîné en doctrine[189], il sera démontré qu’on doit relativiser leur portée (B) et ce, à cause de leurs incertitudes (A).
A – Les incertitudes de la solution
214. La solution développée par la jurisprudence et qui a consisté à admettre le principe de la reprise en droit associatif est incertaine.
 En effet, son contenu ne nous révèle rien sur les modalités (1) et les effets (2) de la reprise.
1°) Les modalités de la reprise
215. La jurisprudence ne dit rien sur les modalités de la reprise. La doctrine semble admettre qu’il faille recourir au droit des sociétés et notamment à  l'article 6  du décret du 3 Juillet 1978.
216. La reprise pourrait alors intervenir après déclaration à la préfecture et insertion de cette déclaration au Journal officiel, à la suite d'une décision spéciale expresse des associés, et ce quelle que soit la date à laquelle les actes auront été accomplis pour le compte de l'association en formation[190].
217. Toutefois, cette analyse ne saurait être convaincante car rien ne permet de croire que les juges vont recourir de lege ferenda au droit des sociétés via l’article 1843 du C. civ. Ils auraient pu recourir à celui-ci pour préciser les modalités de la reprise. Comment considérer alors ce silence : Acceptation ou refus ?
218. Un autre argument plaide en la défaveur d’un recours systématique au droit des sociétés pour fonder les modalités de la reprise. La « décision expresse des associés[191] » sera–t-elle soumise à un vote majoritaire ou unanimitaire ? La doctrine penche pour un vote majoritaire par analogie au droit des sociétés[192]. C’est peut-être vite oublier que les associations sont des groupements dans lesquels il est possible d’imaginer toutes sortes de combinaisons possibles[193].
219. Cette même incertitude subsiste quant aux effets de la reprise.
2°) Les effets de la reprise
220. De même la jurisprudence n’a pas précisé les effets de la reprise. Là encore la doctrine est encline à considérer qu’il faille recourir au droit des sociétés pour considérer que « les actes seront réputés avoir été contractés par l’association dès l’origine[194] ».
221. Ces incertitudes, liées au contenu de la solution, lui confèrent alors une portée relative. Laquelle constitue un obstacle à l’admission définitive de la reprise en droit associatif.
B – La portée relative de la solution
222. La solution adoptée par les juges mérite d’être approuvée en ce qu’elle reconnaît la possibilité pour une association déclarée de reprendre à son compte les actes qui sont antérieurs à sa personnification.
223. Mais la solution pêche par son contenu, et en cela sa portée ne peut qu’être relative. En effet elle fragilise la construction du principe de la reprise en droit associatif (1). De plus, elle refuse de reconnaître l’art. 1843 comme fondement commun du principe de la reprise (2).
1°) Le principe de la reprise en droit associatif : une construction fragile
224. La solution des juges ne permet pas de cerner les contours du principe de la reprise, en cela la construction jurisprudentielle est fragile.
225. En effet, en refusant (oubliant ?) de préciser les modalités et les effets de la reprise, les juges ont affirmé un principe creux. Le principe de la reprise, tel qu’il ressort des arrêts étudiés, est une coquille vide. Certes, l’association déclarée peut reprendre des actes antérieurs mais quelles conditions ?
226. L’association se caractérisant par un vent de liberté, les juges auraient dû préciser au moins les modalités de ce principe important des personnes morales. Le principe de la reprise est donc bien une construction fragile en droit associatif. De plus les juges n’ont pas voulu faire de l’art. 1843 du C. civ. le fondement commun du principe de la reprise.
2°) Le refus de l’article 1843 comme fondement commun du principe de la reprise
227. En ne se fondant sur aucun texte pour justifier l’existence de la reprise en droit associatif, les juges semblent la reconnaître comme principe commun des groupements[195]. Toutefois, rien ne permet d’assurer qu’elle aura les mêmes modalités qu’en droit des sociétés[196]. En effet, même si l’on considère qu’il puisse servir de socle à l’élaboration d’un droit commun des groupements, il faut encore que par analogie, les juges y fassent expressément référence.
228. Partant de là, il est permis de croire que la reprise pourra connaître des modalités particulières en droit des associations. Et quand on connaît la relative protection dont bénéficient les tiers face aux associations[197], on ne peut que déplorer le manque de précision des modalités de la reprise. Une simple référence à l’art. 1843 du C. civ. aurait cependant suffi. Mais les juges s’en sont bien gardés. Dès lors, ils n’affirment pas expressément que le droit des sociétés constitue le socle commun d’édification du principe de la reprise pour les personnes morales.
229. Le principe de la reprise en droit associatif est encore une construction fragile. Il n’est pas encore admis définitivement par la jurisprudence. Décider que les juges ont voulu lui attribuer les mêmes modalités qu’en droit des sociétés, trahit en réalité une forte espérance. Le principe de la reprise ne sera définitivement admis en droit associatif que lorsque ses modalités auront été clairement précisées soit par référence au droit des sociétés, soit d’une autre façon.
330. Au demeurant, la personnification de l’association emporte également un effet sur sa disparition.

Section 2 : L’effet sur la disparition de l’association : La survie de la personnalité juridique pour les besoins de liquidation
331. La disparition de l’association ou de la société peut résulter de la nullité du contrat ou de la dissolution. Dans les deux cas, en droit des sociétés, il est clairement admis que la personnalité juridique subsiste pour les besoins de liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci[198]. Rien de tel ne figure dans le droit associatif, à l’exception de l’art. 14 du décret qui vise expressément la liquidation[199].
332. L’examen de cet article permet de relever la liberté d’organisation des conditions de la liquidation qui est reconnue par le législateur aux sociétaires. Et quand on sait les dérives occasionnées par cette liberté, il est permis de douter de l’opportunité de l’application de la règle aux associations (§1). Mais il ne s’agit que d’un doute méthodique puisque les juges appliquent bien la règle de la survie aux associations (§2).
§ 1) L’opportunité de l’application de la règle aux associations
333. La détermination de l’opportunité pose en réalité la question de savoir si « toute dissolution d’association, et plus particulièrement la dissolution décidée par les sociétaires réunis en assemblée générale est-elle obligatoirement et nécessairement suivie d’une phase de liquidation ?[200] »
334. La réponse à cette question permettra d’envisager les obstacles qui se dressent à l’application ne varietur de la règle aux associations (A). Il sera ensuite précisé que ces obstacles n’éliminent pas pour autant la nécessité d’appliquer la règle aux associations (B).
A – Les obstacles à l’application ne varietur de la règle aux associations
335. De nombreux obstacles empêchent une application ne varietur de la règle de la survie telle qu’on la conçoit en droit des sociétés aux associations. Ces obstacles peuvent être juridiques (1) ou factuels (2).
1°) Les obstacles juridiques
336. Ces obstacles tiennent à la spécificité du droit associatif avec le principe de liberté statutaire et l’interdiction de partager les bénéfices.
336-1. En vertu du principe de liberté statutaire les sociétaires organisent librement leur fonctionnement. La liquidation de l’association dissoute n’a pas échappé à ce principe. En effet, au sens de l’article 14 du décret[201], les sociétaires organisent librement les conditions de liquidation et de dévolution des biens. Poussant plus loin le raisonnement, un auteur[202] s’est demandé si dans certains cas les sociétaires pouvaient éviter l’ouverture d’une période de liquidation après la dissolution. Ainsi, lorsque l’article 14 suscité reconnaît aux sociétaires le pouvoir de régler librement les conditions de la liquidation, cette liberté porte-elle sur le principe même de l’existence d’une phase de liquidation ? 
336-2. Le second obstacle tient à la définition de la notion de liquidation et sa portée en droit des associations. En droit des sociétés, il ressort « de la définition généralement retenue, que l’issue normale de la liquidation d’une société dissoute réside dans le partage du produit de la liquidation envisagée comme une opération indispensable pour parvenir à un tel partage[203] ».
Or l’association n’a pas vocation à partager des bénéfices. Par conséquent, « une liquidation qui n’aurait de raison d’être que de préparer les opérations de partage, non seulement ne serait pas nécessaire en matières d’associations, mais bien plus encore y serait interdite[204] ».
337. Il convient alors de définir la liquidation en matière d’association comme étant « l’ensemble des opérations qui sont nécessaires afin de terminer les affaires dans lesquelles l’association est engagée, de réunir les éléments de son actif et d’éteindre son passif, de sorte que le cas échéant soit dégagé l’actif net qui pourra être attribué à un, ou plusieurs nouveau(x) titulaire(s), qui n’étai(en)t pas membres de l’association dissoute [205] ».
338. Outre ces obstacles juridiques, il existe des obstacles factuels.
2°) Les obstacles factuels
339. Il peut exister des associations pour lesquelles la dissolution s’avère inutile. C’est ainsi qu’un auteur[206] a récemment démontré qu’il était possible d’envisager des associations dissoutes sans que la dissolution ne soit suivie d’une liquidation. Il envisage deux situations qu’il convient ici de reproduire.
339-1. Tout d’abord, il est possible que les associations ne possèdent plus, au moment de leur dissolution, aucun contrat en cours avec des tiers et ni aucun créancier[207].
339-2. Il est aussi possible de rencontrer des associations dans lesquelles il existe bien des éléments à liquider mais dont la liquidation peut s’effectuer très rapidement au cours de la seule assemblée qui arrête la décision de dissolution. Cette assemblée générale peut alors, tout en dissolvant l’association, décider de transmettre, par le biais d’une fusion, l’ensemble des éléments actifs et passifs de son patrimoine à un bénéficiaire déterminé.
340. Dans ces hypothèses, l’ouverture d’une liquidation s’avèrerait inutile[208]. Pour autant, la survie de la personnalité morale pour les besoins de liquidation reste bien une nécessité.
B – La nécessité de l’application de la règle aux associations
341. La survie de la personnalité morale pour les besoins de la liquidation reste bien une nécessité pour les associations malgré les obstacles sus envisagés. En effet, en reconnaissant aux sociétaires une liberté d’organisation de la liquidation, le législateur n’a pas entendu supprimer le principe même de l’existence d’une phase de liquidation. La règle s’impose donc toutes les fois qu’il est nécessaire de liquider (1), mais aussi de garantir les intérêts des différents protagonistes à la liquidation (2).
1°) La nécessité de liquider
342. L’association étant une personne morale, sa personnalité juridique ne saurait disparaître dès la décision de liquidation. Il est très peu probable en effet que les sociétaires aient la certitude, au moment de la dissolution, que la liquidation est inutile du fait de l’absence de tout élément à liquider[209]. La liquidation est donc nécessaire pour s’assurer de l’absence de tout contrat en cours et créancier, mais aussi de fraude[210].
343. Mais la liquidation reste également une nécessité pour une raison technique : l’indivision serait en effet d’une rigidité excessive dans la mesure où elle requiert l’unanimité[211].
344. L’application de la règle de la survie est surtout une nécessité pour les différents protagonistes dont les intérêts peuvent être garantis.
2°) La nécessité de garantir les intérêts des différents protagonistes
345. Qu’il s’agisse des sociétaires, des créanciers ou de l’entreprise, la liquidation met en jeu différents intérêts[212].
345-1. D’abord, les sociétaires seraient contraints de se retrouver en indivision. Ce qui pour une raison technique est assez rigide, pour procéder à la dévolution des biens. Quant aux créanciers, ils perdraient avec la disparition de la personnalité morale au jour de la dissolution, leur « droit de gage exclusif sur les biens de la personne morale[213] ». Enfin, l’entreprise associative étant aujourd’hui une réalité, il est nécessaire d’ouvrir une période de liquidation afin d’éviter « un arrêt, ou même un fâcheux ralentissement de la vie économique et sociale de l’entreprise […] [214]».
345-2. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d’appliquer la règle de la survie de la personnalité morale aux associations. Et la jurisprudence l’a justement compris.
§ 2) L’application de la règle aux associations
346. Il est de jurisprudence constante que la personnalité morale de l’association dissoute subsiste pour les besoins de la liquidation[215]. L’association dissoute continue d’être une personne morale distincte des personnes physiques qui la composent[216]. Toutefois, sa personnalité juridique est limitée quant aux actes (A) et dans le temps (B).
A – La limitation de la personnalité juridique quant aux actes
347. La personnalité juridique des associations dissoutes subsiste donc pour les besoins de leur liquidation. Dès lors, l’association n’aura de personnalité juridique, et donc de capacité juridique, qu’autant que les actes qu’elle passera seront nécessaires à la liquidation[217]. Ces actes peuvent être antérieurs (1) ou postérieurs à la liquidation (2).
1°) Les actes antérieurs
348. L’association survit pour l’exécution de tous les contrats qu’elle a passés antérieurement à sa dissolution[218].
Il en va ainsi notamment pour les contrats de travail avec ses salariés, pour les baux conclus avec les propriétaires des immeubles où elle exerce son activité, pour les marchés avec des fournisseurs ou des clients.
349. Elle peut aussi conclure des actes postérieurement à sa dissolution.
2°) Les actes postérieurs
350. L’application de la règle de la survie signifie également que l’association dissoute pourra aussi accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à sa liquidation. Elle peut ainsi vendre ses biens. En revanche, une association dissoute ne peut faire des opérations qui seraient en contradiction avec le but de la liquidation. Elle ne pourra donc plus ni acquérir de nouveaux biens, ni encaisser de nouvelles cotisations[219].
351. L’application de la règle de la survie entraîne une limitation de la personnalité juridique de l’association quant aux actes. Désormais, elle ne pourra qu’effectuer des actes nécessaires à la liquidation. C’est ainsi qu’elle peut ester en justice[220].
352. Mais l’application de la règle va également limiter la personnalité juridique de l’association dans le temps.
B – La limitation de la personnalité juridique dans le temps
353. L’étude qui va suivre pose la question du terme de la survie de la personnalité juridique de l’association dissoute.
354. En droit des sociétés, la clôture des opérations de liquidation marque la fin de la période de liquidation[221].
355. Aucune disposition n’étant prévue dans la loi de 1901, les juges ont décidé « qu’une association perd son existence juridique à partir de sa liquidation et de la dévolution de ses biens[222]». La dévolution des biens marque donc la fin de la personnalité juridique de l’association (1). Mais, celle-ci peut renaître même après la dévolution des biens (2).
1°) La fin de la personnalité juridique avec la dévolution des biens
356. La fin des opérations de liquidation, marque donc la fin de la personnalité juridique. Mais un problème s’est posé de façon récurrente aux juges : A partir de quel moment doit-on considérer que les opérations de liquidation sont terminées ?
357. La jurisprudence semble s’accorder sur le principe du parallélisme des formes qui supposerait que la personnalité juridique disparaisse avec la publication de la dissolution au Journal officiel[223]. Mais en pratique, une telle analyse est limitée quand on voit la grande désaffection de cette formalité par les associations[224].
358. Que décider alors lorsqu’il n’y a pas eu publication ? La jurisprudence a considéré que la dévolution des biens marquait la fin de la personnalité juridique[225].
359. Mais il semble que la personnalité juridique de l’association puisse renaître après la dévolution.
2°) La renaissance de la personnalité juridique après dévolution des biens
360. La jurisprudence[226] a admis qu’un liquidateur dont la mission était terminée, pouvait exercer au nom de l’association, après dévolution de ses biens, une action en révocation de ladite dévolution. La doctrine en examinant cet arrêt considère d’une part que la personnalité juridique ne disparaît pas avec la dévolution et d’autre part qu’ayant disparu, elle peut renaître pour les besoins de l’action en justice.
361. Il convient de s’attacher à la seconde analyse[227]. En effet considérer que la personnalité morale survive à la dévolution c’est affirmer qu’elle n’a pas de fin. Mais c’est également affirmer qu’elle existe par elle-même et pour elle-même. Or la personnalité morale existe par la personne morale, et peut subsister après dissolution de celle-ci pour les besoins de la liquidation uniquement. Dès lors, on ne saurait imaginer qu’elle puisse subsister à la dévolution puisqu’alors il n’y a plus de personne morale, ni d’intérêt à ce qu’elle existe.
362. La personnalité juridique disparaît avec la dévolution mais peut renaître pour les besoins d’une action en justice nécessaire à la liquidation (en l’espèce, la validité de la dévolution était contestée, il était donc normal que l’association ayant récupéré ses biens procède à une nouvelle dévolution).
363. Cette solution permet d’établir le parallèle avec les développements qu’il y a eu en droit des sociétés sur la durée de la personnalité morale[228].
364. Finalement, la personnalité juridique est-elle un phoenix qui renaît toujours de ses cendres ? L’arrêt du 11 décembre 1973 permet de répondre par l’affirmative. La personnalité juridique renaîtra autant de fois que la dévolution fera l’objet d’une contestation.













Conclusion du chapitre 1
365. L’attribution de la personnalité morale à l’association emporte un certain nombre d’effets. Désormais, elle est une personne morale distincte des membres qui l’ont créée, c’est le principe d’autonomie. Elle peut donc reprendre les actes conclus pour son compte avant son apparition et elle survit à la dissolution « pour les besoins de la liquidation ». En transposant ces règles du droit des sociétés aux associations, la jurisprudence reconnaît à la personnalité morale les mêmes effets quel que soit le groupement auquel elle s’applique.
366. Toutefois, on l’a vu, la spécificité de l’association et la timidité de la jurisprudence permettent de considérer que l’association est une personne morale particulière et l’application des règles découlant de sa personnification ne saurait se faire ne varietur.
367. Au demeurant, l’association personne morale ne peut faire entendre sa voix que par l’intermédiaire de ses dirigeants. La jurisprudence y accorde une importance non négligeable. Cela sera envisagé à travers l’examen de la responsabilité civile des dirigeants de l’association personnifiée.

Chapitre 2 : La responsabilité civile des dirigeants de l’association personnifiée

368. Envisager la responsabilité civile des dirigeants d’une personne morale est une entreprise périlleuse.
369. En théorie, l’écran[229] de la personne morale ne permet pas d’envisager a priori la responsabilité du dirigeant de la personne morale à l’égard des tiers. Le dirigeant représente la personne morale, il agit pour son compte et dès lors, les fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions engagent la personne morale. En pratique, les recours sont souvent dirigés contre la personne morale, considérée comme beaucoup plus solvable que ses dirigeants. La responsabilité des dirigeants des personnes morales à l’égard des tiers est bien une situation exceptionnelle[230].
370. A l’égard des membres du groupement, la responsabilité des dirigeants des personnes morales est considérée comme étant ordinaire[231]. En effet, la personnification du groupement n’influence pas le régime de responsabilité des dirigeants à l’égard des membres du groupement[232]. C’est ce qui explique que l’on puisse envisager un régime de responsabilité des dirigeants à l’égard des membres de groupements non personnifiés, telle la société en participation. Toutefois, l’octroi de la personnalité juridique facilite matériellement la réparation du préjudice social[233].
371. Deux théories[234] ont tenté d’expliquer la responsabilité des dirigeants de la personne morale. Il convient de les reprendre ici pour cerner les fondements de cette responsabilité.
371-1. La première théorie est fondée sur le mandat. Les dirigeants de la personne morale sont des mandataires. En tant que tels, ils doivent rendre compte de leur mission et sont responsables vis-à-vis de l’association dont ils ont reçu mandat. Il a été majoritairement admis que cette théorie, si elle justifie la responsabilité du dirigeant à l’égard de la personne morale, ne permet pas d’expliquer la responsabilité de l’association à l’égard des tiers.
371-2. Cette critique a justifié la seconde théorie, dite organique, selon laquelle les dirigeants, en participant de la structure même de la personne morale, s’identifieraient à elle jusqu’à s’y confondre. Cette théorie présente elle aussi ses limites car, si les dirigeants sont la personne morale comment justifier qu’ils soient responsables envers elle ?
372. La doctrine ne s’accorde guère sur la question et la jurisprudence ne fait pas mieux[235]. Le bilan est donc celui de l’incertitude[236]. Il est préférable de s’en tenir à la casuistique des décisions pour mesurer l’étendue réelle de cette responsabilité plutôt que de se lancer dans la recherche d’une certaine cohésion[237].
373. L’examen de cette casuistique en droit associatif permet de se rendre compte de l’ambiguïté des solutions jurisprudentielles. Tantôt les juges transposent les règles du droit des sociétés, comme c’est le cas pour la faute détachable des fonctions ; tantôt ils refusent de transposer des règles, notamment l’action sociale ut singuli. En statuant ainsi, les juges affichent une fâcheuse tendance à déresponsabiliser de fait les dirigeants d’associations tant à l’égard des sociétaires (Section 1) qu’à l’égard des tiers (Section 2).

Section 1 : La déresponsabilisation de fait des dirigeants de l’association à l’égard des sociétaires
374. Lorsqu’ils exercent leurs missions, les dirigeants peuvent commettre des fautes causant un préjudice tant à l’association qu’aux sociétaires.
375. En droit des sociétés, lorsque le préjudice est social, l’action en responsabilité du dirigeant fautif peut être exercé au moyen de deux actions : les actions sociales ut universi[238]et ut singuli[239]. En revanche, l’associé ayant été personnellement lésé peut intenter une action individuelle[240].
376. En droit des associations, les juges admettent également les actions ut universi et individuelle. Toutefois ils ont refusé le bénéfice de l’action sociale ut singuli aux sociétaires, ce qui conduit à déresponsabiliser de fait les dirigeants d’associations. Il convient donc d’évaluer ce refus jurisprudentiel (§1) afin de démontrer l’opportunité de la reconnaissance de l’action sociale ut singuli en droit associatif (§2).
§ 1) L’évaluation du refus jurisprudentiel de l’action sociale ut singuli en droit associatif
377. La Cour de cassation a exclu, en droit des associations, la possibilité d’exercer l’action sociale ut singuli, dans un arrêt du 13 février 1979[241]. Si l’arrêt a été rendu dans le cadre d’un groupement obligatoire, échappant au régime de droit commun des associations tel qu’il est défini par la vieille loi de 1901, son intérêt pratique dépasse largement ce cadre. En effet, « les principes énoncés par la Cour de cassation peuvent valoir également pour les associations à statut non dérogatoire et […] pour l’ensemble des groupements titulaire de la personnalité morale[242] ».
378. Cette précision faite, il apparaît nécessaire d’examiner le fondement de ce refus (A) pour en faire ressortir les limites de cette décision (B).
A – Le fondement du refus : Le défaut d’autorisation légale
379. Les juges ont rendu dans cette affaire un attendu qu’il convient de reproduire : « Sauf exception prévue par la loi, seules les personnes habilitées à représenter une personne morale peuvent intenter une action en justice au nom de celle-ci. Dès lors, viole les dispositions de l’article 32 du NCPC la Cour d’appel qui déclare recevable l’action en dommages-intérêts exercée par un membre d’une fédération départementale de chasseurs, au nom de cet organisme, contre le président de fédération […] ».
380. En statuant ainsi, les juges subordonnent l’exercice de l’action sociale ut singuli à une autorisation légale. L’action sociale ut singuli est donc une action exceptionnelle (2), et l’action sociale ut universi le principe de mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants à l’égard de la personne morale (1).
1°) Le principe de mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants sociaux à l’égard de la personne morale : L’action sociale ut universi
381. Selon les termes de l’arrêt, seules les personnes investies, à raison d’une disposition légale expresse ou de la règle organique du groupement, du pouvoir de représenter celui-ci en justice, peuvent être admises à le faire[243]. Il a été démontré que l’exercice de cette action relevait bien des pouvoirs normaux des mandataires sociaux[244]. Les associés/sociétaires n’ont-ils pas abdiqué la possibilité d’exercice de leurs prérogatives en faveur de leurs représentants ?
382. Le raisonnement de la Cour relève donc a priori de la pure logique. L’action sociale ut singuli est une action en justice pour laquelle il faut, en plus d’un intérêt, une qualité pour agir. Or, cette qualité pour représenter la personne morale en justice appartient à ses mandataires. L’action sociale ne peut être admise ut singuli que lorsque le législateur le décide expressément pour un groupement précis[245].
383. Par conséquent, l’action sociale ut singuli est donc une action exceptionnelle de mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants à l’égard de la personne morale.
2°) L’action exceptionnelle : L’action sociale ut singuli
384. L’action sociale ut singuli est donc une action exceptionnelle qui déroge aux principes classiques de procédure civile.
C’est ainsi qu’en droit des sociétés elle suppose au moins l’inertie des dirigeants. Il s’agit donc d’une action particulière dont la raison d’être réside à la fois dans les effets attendus de sa mise en œuvre et dans les conséquences de l’inertie des organes du groupement à l’exercer[246].
385. S’agissant des associations et des groupements autres que les sociétés, l’action sociale ut singuli est proscrite faute d’autorisation légale. Et quand bien même le législateur l’autoriserait, elle serait comme en droit des sociétés conditionnée à l’inaction des mandataires sociaux. C’est pourquoi, l’on peut considérer qu’en droit associatif, en l’état actuel du droit positif, l’action sociale ut singuli est une action doublement exceptionnelle.
386. Cette décision est donc en conformité avec la caractéristique essentielle des groupements personnifiés[247]. Pour autant faudrait-il exclure l’action sociale ut singuli à défaut d’autorisation légale ? D’autant plus que, postérieurement à cet arrêt, la jurisprudence[248] puis le législateur ont reconnu que l’action sociale ut singuli était d’application générale en droit des sociétés.
387. Cette décision peut et doit aujourd’hui être critiquée.
B – La critique de la décision
388. Comme l’a si bien démontré un auteur présentant le contexte dans lequel a été rendu cet arrêt, la Cour de cassation a juste voulu endiguer toutes les velléités d’actions provenant d’une initiative individuelle[249]. Cette décision peut donc être critiquée car elle contribue à déresponsabiliser le dirigeant fautif (1) et est aujourd’hui obsolète (2).
1°) Une solution déresponsabilisant le dirigeant fautif
389. La solution de principe posée par les juges suprêmes contribue à déresponsabiliser le dirigeant fautif dans les groupements considérés. Selon les différents groupements personnifiés, la possibilité d’agir en justice pour le compte de la personne morale est, soit partagée entre un certain nombre de représentants, soit dévolue à un seul et même organe[250].
390. En droit associatif, la dévolution du pouvoir de représenter l’association en justice est statutaire. Elle n’appartient au dirigeant d’association que sur habilitation expresse. A défaut de celle-ci, le dirigeant fautif ne peut faire échec au jeu de sa responsabilité en refusant d’exercer l’action sociale ut universi contre lui-même. Mais lorsque ce même dirigeant pourra sur habilitation expresse, représenter l’association en justice, rien ne permet de croire qu’il exercera l’action sociale. En pratique donc, seuls les nouveaux dirigeants habilités ou les autres organes habilités pourront, s’ils le veulent et ne sont pas inertes, véritablement engager la responsabilité du dirigeant fautif. Malheureusement, en cas d’inaction, les sociétaires ne pourront même pas poursuivre le dirigeant fautif. Ce dernier bénéficie alors d’une relative immunité, qui aboutit à le déresponsabiliser de fait.
391. Cette décision est aussi critiquable par son obsolescence.


2°) Une solution obsolète
392. La solution est aujourd’hui obsolète. Pour s’en convaincre il suffit de remonter au contexte de l’arrêt. A une époque où l’action sociale ut singuli n’était pas encore admise dans toutes les sociétés[251], la Cour d’appel de Paris[252] décida de reconnaître celle-ci comme étant d’application générale à toutes les sociétés. Dès lors, elle décida que les membres d’une SCI étaient tout à fait en droit de l’exercer. Cette décision, dont l’approbation ministérielle fut fortement critiquée, connut finalement une consécration législative[253]. Aujourd’hui l’action sociale ut singuli est unanimement admise en droit des sociétés[254].
393. Il est alors permis de croire que, si cet arrêt avait été rendu après la généralisation législative de l’action sociale ut singuli à toutes les sociétés, les juges n’auraient pas raisonné pareillement. D’autant plus que, cette décision étant demeurée isolée, « force est de constater que le scepticisme exprimé quant à l’exercice de l’action sociale ut singuli au sein des groupements autres que les sociétés résulte davantage du désintérêt des plaideurs que d’une ferme politique jurisprudentielle[255]».
394. Désormais, rien n’empêche donc de considérer que l’action sociale ut singuli pourrait trouver une application opportune à d’autres personnes morales et notamment aux associations.
§ 2) L’opportunité de la reconnaissance de l’action sociale ut singuli en droit associatif
395. L’extension de l’action sociale ut singuli aux associations est bien une question d’opportunité. D’abord par ce qu’elle est nécessaire au bon fonctionnement de l’association (A), ensuite parce qu’aucun obstacle technique ne se dresse contre son extension aux associations (B).
A – L’action sociale ut singuli, une nécessité pour le bon fonctionnement de l’association
396. En l’état actuel du droit positif, tout milite en faveur de l’extension de l’action sociale ut singuli aux associations. L’absence de démocratie dans les associations est de plus en plus accrue. L’action sociale ut singuli permettrait de protéger la minorité (1) et de lutter contre la dictature de la majorité (2).
1°) Protéger la minorité
397. En droit associatif, les minoritaires bénéficient d’une protection relative voire inexistante[256]. Toutefois, en l’état actuel du droit, ils ne peuvent exercer l’action sociale ut singuli. Cette action, dont le but est de pallier l’inertie d’une majorité dirigeante, est un véritable atout pour les minoritaires, et même pour le plus petit des minoritaires.
398. L’extension de cette action aux associations permettrait à tout sociétaire ou groupe de sociétaires, quelque soit son droit de vote (fut-il réduit par des clauses statutaires), d’engager en justice la responsabilité du dirigeant fautif envers la personne morale. La minorité se trouverait donc véritablement renforcée, ce qui conduirait à lutter contre la dictature de la majorité.
2°) Lutter contre la dictature de la majorité
399. L’action sociale ut singuli permettrait également de lutter contre une majorité généralement solidaire et autoritaire en droit associatif. Lorsqu’un dirigeant a causé un préjudice social, sa responsabilité n’est en pratique que très peu engagée par les personnes habilitées dans les associations. Cette situation aboutit malheureusement à conférer au dirigeant fautif une réelle immunité dans les associations.
400. Dans ces groupements, on sait que la plupart du temps la dévolution des fonctions s’opère de manière statutaire entre des fondateurs, qui sont généralement de « bons copains ». Dès lors, il est difficilement envisageable que l’un d’eux (ou plusieurs d’entre eux), investi(s) du pouvoir de représenter l’association en justice, engage la responsabilité du dirigeant fautif. Cette réalité est néanmoins beaucoup plus avérée dans les petites associations que dans les grosses structures associatives.
401. L’extension de l’action sociale ut singuli aux associations est donc bien une nécessité pour instaurer un peu de démocratie dans les associations. De plus, il n’existe aucun obstacle technique à son extension aux associations.
B – L’absence d’obstacle technique à l’extension de l’action sociale ut singuli aux associations
402. Il s’agira ici de rechercher le fondement de l’action sociale ut singuli[257]. Et si cette étude permet de démontrer que ce fondement est le même quelque soit le groupement considéré, on pourra affirmer qu’il n’existe aucun obstacle technique à l’extension de l’action sociale ut singuli aux associations.
403. De récents travaux sur la matière[258] ont révélé que l’action sociale ut singuli était en fait un droit propre du membre du groupement (1) et était recevable en vertu de son caractère conservatoire (2).
1°) L’action sociale ut singuli, un droit propre du membre du groupement
404. Partant du constat que le mandataire social ne fait qu’exercer les prérogatives appartenant à la collectivité des associés, un auteur[259] a pu démontrer qu’il doit répondre des fautes commises dans sa gestion et peut engager sa responsabilité envers chacun de ses mandants. « On peut donc déduire que chacun des membres du groupement peut exercer ut singuli l’action sociale en vertu d’un droit propre[260]». Ce droit propre est en fait le droit conféré par tout mandant en vertu de l’art. 1992 du C. civ.
405. Le titulaire de l’action sociale ut singuli n’est donc pas la personne morale elle-même mais bien chacun des mandants[261]. Il semblerait même que le fait que les dommages-intérêts soient versés à la caisse du groupement ne constitue point un obstacle à ce constat, puisqu’elle est justifiée par l’atteinte à l’intérêt commun[262].
406. Dès lors, l’action sociale ut singuli doit pouvoir être reconnue aux sociétaires puisqu’ils en sont les véritables titulaires. Toutefois, elle ne peut être exercée qu’à titre conservatoire.
2°) L’action sociale ut singuli, une action à caractère conservatoire
407. La mise en œuvre de l’action sociale ut singuli se heurte nécessairement aux règles d’organisation du groupement, qui confèrent aux représentants le pouvoir d’exercer les prérogatives des membres[263]. Dès lors, l’action en justice appartient initialement aux personnes habilitées.
408. Mais qu’est-ce qui justifie qu’un membre puisse quand même exercer cette action ?
L’exercice de l’action sociale ut singuli n’est possible qu’en cas d’inertie des personnes habilitées. C’est leur inertie, et surtout la crainte de cette inertie, qui justifie qu’un membre puisse exercer ut singuli une action en justice. D’où on a pu dire que « Cet exercice isolé de l’action en responsabilité […] est recevable à raison de son caractère conservatoire, l’associé se prévalant du danger imminent d’extinction de son droit du fait de l’inertie des organes sociaux[264]».
Ce raisonnement est admissible en droit associatif. Les sociétaires pourraient également exercer à titre conservatoire l’action sociale ut singuli.
409. Malheureusement, en l’état actuel du droit positif, l’action sociale ut singuli n’est toujours pas admise en droit associatif. Cela conduit à une déresponsabilisation de fait des dirigeants d’association à l’égard des membres de la personne morale. Le même constat est possible à l’égard des tiers.

Section 2 : La déresponsabilisation de fait des dirigeants de l’association à l’égard des tiers
410. Généralement admise en droit des sociétés, la construction prétorienne de la faute détachable des fonctions vient d’être étendue aux associations[265]. Désormais, les dirigeants d’associations ne seront responsables personnellement à l’égard des tiers qu’en cas de faute détachable des fonctions. Comme certains dirigeants des sociétés[266], les dirigeants d’associations sont intégrés dans le domaine de cette faute détachable.
411. Dès lors, il s’en suit que les dirigeants concernés par la faute détachable bénéficient d’une « relative immunité » à l’égard des tiers. Cela est particulièrement vrai pour les dirigeants d’associations qui sont des mandataires et pour lesquels elle aboutit à les déresponsabiliser à l’égard des tiers.
412. Par conséquent, cette transposition qui exige l’établissement d’une faute détachable des fonctions (§1) pour engager la responsabilité des dirigeants à l’égard des tiers est en réalité limitée (§2).
§ 1) L’exigence d’une faute détachable des fonctions
413. La faute détachable des fonctions est donc la condition sine qua non pour engager la responsabilité des dirigeants d’associations à l’égard des tiers. Mais à quelles conditions ?
414. En droit des sociétés, on a longtemps déploré l’absence de définition de la faute détachable des fonctions[267]. Cela n’est plus vrai depuis l’arrêt du 20 mai 2003[268] qui a proposé une définition de cette notion.
415. En droit des associations, en transposant la notion de faute détachable, les juges ont certainement reçu la définition proposée par la jurisprudence commerciale. Toutefois, il sera démontré qu’ils tiennent également compte de la spécificité de l’association.
416. La définition de la faute détachable en droit des associations tient par conséquent compte de la définition classique (A), qui est complétée par un élément nouveau tiré de la spécificité de l’association (B).
A – La définition classique de la notion de faute détachable des fonctions
417. Dans l’arrêt du 2003, les juges ont rendu l’attendu suivant : « La responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute détachable des fonctions […] qu’il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ».
418. Si la Cour semble donner trois critères de définition de la faute détachable des fonctions[269], un examen approfondi de la solution[270] permet de rendre compte qu’elle fournit deux éléments de définition de la notion : Le caractère intentionnel de la faute (1) et sa particulière gravité (2), dans la mesure où la faute détachable est nécessairement incompatible avec l’exercice normal des fonctions de dirigeant[271].
1°) Le caractère intentionnel de la faute
419. Il y a faute intentionnelle dès lors qu’un dirigeant – auteur du dommage – a su en agissant comme il l’a fait, qu’il causerait ce dommage, même s’il n’a pas agi dans l’unique dessein de nuire à la victime. Il n’y a pas nécessairement intention de nuire à autrui mais il y a volonté de causer un dommage[272].
420. Comme conséquence du caractère intentionnel, il faudrait relever que la faute du dirigeant fera l’objet d’une appréciation in concreto. De plus, est exclue la faute de négligence qui est une faute de gestion au grand damne de la doctrine[273].
421. En droit des associations aucune mention expresse n’a été faite du caractère intentionnel de la faute détachable mais l’on suppose que l’admission de la notion même de faute détachable suffit à exiger ce caractère. Dans un arrêt du 19 février 1997, les juges ont simplement retenu que le seul fait pour un dirigeant de prêter sa notoriété à la personne morale (association) n’était pas suffisant pour caractériser la faute détachable, si toutefois cette notoriété n’a pas été utilisée par l’intéressé comme un engagement à l’appui d’une intervention personnelle en vue d’amener le partenaire à conclure le contrat[274].
422. Au demeurant, la faute détachable doit aussi être d’une particulière gravité.
2°) La particulière gravité de la faute
423. Ce critère a été repris de la proposition du Haut Conseiller Métivet, pour qui « seules les fautes commises pour des mobiles personnels (recherche de son propre intérêt, animosité à l’égard de la victime, vengeance…) ou peut-être encore une gravité exceptionnelle excluant l’exercice normal des fonctions, sont susceptibles d’engager la responsabilité personnelle du gérant ou de l’administrateur [275]».
424. L’handicap de ce critère est qu’il est particulièrement difficile à établir. La doctrine ne s’accorde guère sur une définition[276]. Et la jurisprudence en droit des associations ne nous renseigne malheureusement pas plus[277].
425. Toujours est-il qu’il faudrait considérer que les tiers doivent établir que la faute du dirigeant d’association était intentionnelle et d’une particulière gravité. A cela s’ajoute désormais un élément nouveau tiré de la spécificité de l’association.
B – L’élément nouveau tiré de la spécificité de l’association
426. Dans un arrêt du 7 octobre 2003[278] la Cour de cassation a estimé que : « La responsabilité personnelle des administrateurs d’une association n’est engagée que s’ils ont commis une faute détachable de leurs fonctions ; Et attendu que l’arrêt retient qu’aucune faute personnelle précise n’est démontrée à l’égard des administrateurs qui ont agi dans le cadre des statuts des associations […] ».
Doit donc être considérée, aux termes de cet arrêt, comme détachable des fonctions du dirigeant d’association, la faute commise par le dirigeant d’association qui n’a pas respecté les missions assignées par les statuts (1). Le mérite de cet arrêt est certainement d’avoir respecté la spécificité de l’association, sa portée doit cependant être relativisée (2).
1°) La faute commise par le dirigeant d’association hors ses missions statutaires
427. Comme il a déjà été démontré, les dirigeants d’association sont des mandataires conventionnels. En tant que tels ils tiennent leurs pouvoirs des statuts, et ne peuvent agir au-delà des limites statutaires. Allant dans ce sens, la Cour de cassation estime qu’une faute est détachable des fonctions si et seulement si elle ne rentre pas dans le cadre de la mission du dirigeant d’association. En l’espèce[279], deux associations de défense de l’environnement ayant agi contre une société de construction en vue de l’empêcher de réaliser un programme immobilier, celle-ci leur avait reproché un excès d’ardeur processive et avait alors assigné ensemble les associations et leurs dirigeants en vue d’obtenir des dommages-intérêts pour procédure abusive.
428. Par cette analyse, les juges ont-ils voulu exclure du champ de la faute détachable toutes les fautes de gestion des dirigeants d’associations, mais aussi toutes les fautes intentionnelles rentrant dans le cadre des missions statutaires des dirigeants ? Sans aller jusque là, il apparaît que la portée de cette nouvelle exigence doit être relativisée.
2°) La portée relative de la nouvelle exigence
429. Il s’agit ici de s’interroger sur la valeur qu’on pourrait attribuer à ce nouveau critère. S’agit-il vraiment d’un nouveau critère ?
Une analyse un peu poussée permet peut-être d’entrevoir derrière ces limitations statutaires propres aux associations, l’hypothèse du dépassement de pouvoir. Il s’en suit que le dirigeant qui n’aurait pas excédé ses pouvoirs (statutaires ou légaux) ne saurait voir sa responsabilité personnelle engagée par des tiers. La faute détachable des fonctions n’implique-t-elle pas implicitement que la faute soit commise hors les limites du pouvoir du dirigeant concerné ?
430. Dans le cadre de cette étude, il sera considéré que le Cour n’a pas élargi les critères classiques de la notion de faute détachable des fonctions[280]. Elle a tout simplement voulu marquer son désir de ne pas dénaturer l’association. Dès lors, il existe une seule définition de la faute détachable des fonctions pour tous les dirigeants concernés et ce quelque soit la personne morale considérée.
431. Plutôt que d’exalter cette soi-disant adaptation de la faute détachable des fonctions aux associations, c’est l’étendue de ses limites qu’il convient d’envisager.
§ 2) Les limites de cette transposition
432. La transposition de la faute détachable aux associations pose un certain nombre de problèmes, et en cela elle est limitée. Ces limites tiennent tant à la notion de faute détachable elle-même (A) qu’au statut particulier du dirigeant d’association (B).
A – Les limites tenant à la notion de faute détachable
433. La notion de faute détachable des fonctions présente de réelles incertitudes. Certes, la Cour de cassation doit être approuvée dans sa tentative de définition de cette notion[281]. Mais l’approbation ne saurait exclure, lorsqu’elle est nécessaire, la critique. Dès lors, la construction de la faute détachable doit être relativisée car elle est limitée tant en ce qui concerne la preuve du caractère « détachable » de la faute du dirigeant (1) que sa mise en œuvre (2).
1°) Les limites liées à la preuve du caractère « détachable » de la faute du dirigeant
434. Il semble impossible de déterminer le caractère détachable de la faute du dirigeant. En effet, le comportement fautif n’est jamais totalement indépendant des fonctions[282]. Il existe une catégorie d’actes qui, tout en ayant été accomplis à l’occasion de l’exercice des fonctions, se détachent plus ou moins nettement de la poursuite de l’œuvre commune et causent aux tiers un préjudice, par imprudence, maladresse, négligence ou même en connaissance de cause[283].
Que fera alors le tiers ? Doit-il engager individuellement la responsabilité du dirigeant ou alors celle de la personne morale ? Doit-il engager conjointement les deux ?
435. Suite à ces difficultés qu’il y a à établir le caractère détachable de la faute du dirigeant, diverses solutions ont été proposées en doctrine.
435-1. Il a ainsi été proposé de remplacer purement et simplement la notion de faute détachable par celle de faute lourde ou dolosive[284]. Cette démarche aurait l’avantage de ne plus avoir comme référence principale les fonctions du dirigeant.
435-2. Il a aussi été proposé de se fonder sur la gravité de la faute commise par le dirigeant[285]. Lorsque ce dernier aura commis une faute légère, l’association sera engagée et en cas de faute lourde, sa responsabilité personnelle doit pouvoir être retenue à l’égard des tiers.
436. Malgré ces propositions doctrinales, la notion de la faute détachable reste encore incertaine à mettre en œuvre.
2°) Les limites liées à la mise en œuvre de la faute détachable
437. Il s’agit ici de supposer que la faute du dirigeant soit effectivement « détachable » de ses fonctions. Comment le tiers pourra-t-il la mettre en œuvre et engager la responsabilité du dirigeant ?
En principe il lui suffira d’établir que cette faute a été intentionnelle et/ou d’une particulière gravité. Mais le Cour ne nous dit pas si ces critères sont alternatifs ou cumulatifs.
438. De plus ces critères sont difficiles à mettre en œuvre. En effet, alors que la faute intentionnelle exclut la faute de gestion et a pour corollaire que le dirigeant ne puisse être mis en cause au titre de sa gestion que dans le cadre d’une procédure collective, la faute d’une particulière gravité n’est pas simple à définir.
439. Les propositions pour pallier ces incertitudes abondent. Certaines d’entre elles tendent à considérer que le tiers n’aurait qu’à établir la faute lourde pour mettre en œuvre la responsabilité du dirigeant[286]. D’autres en revanche proposent que les tiers établissent la fraude du dirigeant[287].
440. On le voit, le critère de faute détachable des fonctions, apparemment souple, se révèle complexe à l’analyse. Parce qu’elle est particulièrement difficile à établir, elle confère une immunité réelle aux dirigeants.
441. Au-delà, la construction de la faute détachable ne sied pas parfaitement au dirigeant d’association. Il existe donc des limites tenant au statut particulier du dirigeant d’association.
B – Les limites tenant au statut particulier du dirigeant d’association
442. Le dirigeant d’association étant un mandataire (1), sa rémunération est facultative (2). L’application de la faute détachable à ces dirigeants doit donc être limitée.
1°) Les limites découlant de la qualité de mandataire du dirigeant
443. On l’a vu le dirigeant d’association est bien un mandataire conventionnel à la différence du dirigeant de société que l’on considère souvent comme un représentant légal.
Au sens de l’art. 1992 al. 1er du C. civ. « Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion ». Aucune distinction n’est donc faite entre les fautes détachables de ses fonctions et celles qui ne le seraient pas. Dès lors, le dirigeant d’association devrait être responsable de toutes les fautes qu’il commet au cours de sa mission à l’égard des tiers. La Cour de cassation fait une application constante de ces principes directeurs de la responsabilité des mandataires[288].
444. L’application de la faute détachable trouve donc ici, une application délicate. Pris comme mandataires, les dirigeants d’associations ont un régime de responsabilité plus favorable aux tiers. La faute détachable des fonctions, appliquée aux dirigeants d’associations les déresponsabilise sérieusement à l’égard des tiers.
445. D’autres limites découlent aussi du caractère facultatif de sa rémunération.
2°) Les limites découlant du caractère facultatif de la rémunération du dirigeant
446. Au sens de l’al. 2 de l’art. 1992 du C. civ. « Néanmoins la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire ». En pratique la plupart des dirigeants d’associations sont des bénévoles qui exercent leurs missions à titre gratuit.
447. Or la faute détachable des fonctions a initialement été construite pour des personnes qui perçoivent une rémunération : fonctionnaires, dirigeants des sociétés. Dès lors, l’application de la faute détachable des fonctions aux dirigeants d’associations est encore limitée.
Pour ces raisons, la construction de la faute détachable en matière d’associations aboutit à déresponsabiliser les dirigeants de ces personnes morales à l’égard des tiers.
448. C’est donc un véritable parcours du combattant pour le tiers que de chercher à engager la responsabilité des dirigeants d’association : Outre les difficultés à établir le caractère détachable de la faute, il leur faut surtout la caractériser (ce qui n’est pas moins difficile).
449. Tout cela alors même que les dirigeants d’associations sont des mandataires dont on pourrait engager la responsabilité pour toutes les fautes commises dans l’exercice de leurs missions.

Conclusion du chapitre 2
450. L’analyse du régime de responsabilité des dirigeants de l’association personnifiée permet de rendre compte qu’en dépit des faits générateurs de la responsabilité, les dirigeants fautifs bénéficient d’une relative immunité. Ce constat aboutit à une véritable déresponsabilisation de fait des dirigeants de l’association personnifiée tant à l’égard des sociétaires que des tiers.
451. Pourtant, si l’on revenait au contrat de mandat, pour considérer les dirigeants des personnes morales comme des mandataires sociaux, l’on pourrait mettre fin à cette déresponsabilisation de fait. En effet, le contrat de mandat permet de justifier la responsabilité des dirigeants à l’égard de la personne morale et l’exercice de l’action sociale ut singuli par les membres de cette personne morale. Le contrat de mandat permettrait aussi de justifier la responsabilité à l’égard des tiers et la faute détachable des fonctions. Cette dernière pourrait alors être exigée uniquement pour les tiers ayant contracté avec le mandant sans l’intermédiaire du mandataire. En revanche, les tiers qui auraient contracté avec le mandant par l’intermédiaire de son mandataire ne seraient tenus que d’établir la faute simple de ce dernier pour engager sa responsabilité.

Conclusion du Titre 2
452. L’attribution de la personnalité morale à l’association emporte, comme c’est le cas pour la société, un certain nombre de conséquences. Ces conséquences, on l’a vu, se retrouvent tant au niveau de sa constitution, de sa dissolution que de la responsabilité civile de ses dirigeants.
L’application du droit des sociétés aux associations, à ce stade du raisonnement, peut être considéré comme étant la reconnaissance de l’existence de principes communs aux personnes morales. Toutefois, certains de ces principes (la survie de la personnalité juridique pour les besoins de liquidation ; la reprise des engagements) ne sauraient s’appliquer ne varietur d’une personne morale à l’autre, car si le concept de la personnalité morale est unique, les personnes morales sont distinctes.


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