91. La notion d’organisation est souvent remplacée par
celle de groupement par les juristes. Au demeurant, il s’agit in
concreto de la même
réalité.
92. Comme le relève Paul Didier[76], il n’est pas aisé de définir la
notion d’organisation mais « il n’est pas superflu cependant
d’esquisser les deux ou trois idées que ce mot tente de réunir ou résumer. La
première est l’idée d’une tâche à réaliser, d’une chose à faire […] Le mot
organisation évoque aussi l’idée d’une division de l’activité envisagée […]
Enfin, le mot organisation implique que ces sous-ensembles de l’activité mère
soient répartis, selon le cas, entre plusieurs moments, lieux ou
personnes ».
93. L’association comme la société rendent bien compte de
cette réalité dans la mesure où dans l’un comme dans l’autre il y a bien une
tâche à réaliser (mise en commun de connaissances, ou d’apports) ; une
division de l’activité envisagée (objet social se divisant en activités
principales et accessoires) ; une répartition des tâches entre plusieurs
moments (durée, exercices), lieux (siège social, filiales, succursales) ou
personnes (membres, organes).
94. Dès lors, il n’est pas étonnant que les juges,
prenant acte de ce phénomène, aient tout simplement appliqué à des
associations, les règles prévues pour les sociétés lorsque cela était
nécessaire. Ces règles concernent tantôt l’organisation du pouvoir (Section 1)
tantôt la possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation
(Section 2).
Section 1 : L’organisation du
pouvoir
95. Si la création d’une organisation est bien la
caractéristique du contrat d’association, il appartient aussi à ce dernier de
prévoir l’exercice ou la répartition du pouvoir au sein de cette organisation.
Le pouvoir est donc la conséquence de l’animus[77] qui caractérise tout
contrat-organisation.
96. Sans rentrer dans l’étude de la notion de pouvoir, il
revêt deux acceptions : Il peut s’agir d’une « maîtrise
de fait, force, puissance[78] » ou tout simplement d’une « prérogative
juridique[79] ». C’est la deuxième acception qu’il
convient de retenir dans le cadre de ce travail[80].
97. Alors qu’en droit des sociétés, les pouvoirs des
dirigeants sont légalement définis[81], rien de tel n’est prévu dans la
loi de 1901. Dès lors, en raison de la liberté d’association, les parties déterminent
librement l’exercice du pouvoir au sein de l’organisation associative. C’est
ainsi qu’elles déterminent leurs instances sociales[82], mais aussi la répartition du
pouvoir au sein de ces instances[83]. Cela conduit inexorablement à
complexer les tiers qui contractent avec l’association[84].
98. Mais la liberté statutaire n’interdit pas de recourir
aux juges notamment en cas de conflits. Ces derniers, une fois saisis, n’ont
point hésité à recourir au droit des sociétés, soit pour renforcer les pouvoirs
des dirigeants (§1), soit pour organiser la révocation des dirigeants (§2).
§ 1) Le renforcement des pouvoirs
des dirigeants
99. Le renforcement des pouvoirs ne concerne pas tous les
dirigeants d’associations. Certes, la jurisprudence affirme depuis longtemps la
souveraineté de l’assemblée générale même si cela devait aboutir à limiter de
façon drastique les pouvoirs et la liberté d’initiative du président[85].
Aujourd’hui, c’est au président d’association que la
jurisprudence de la Cour de cassation vient d’accorder tous les honneurs, ce
qui va certainement ravir les praticiens[86].
100. Ce renforcement se traduit par une extension des
pouvoirs du président (A), qu’il convient d’évaluer (B) afin d’en tirer les
conséquences.
A – L’extension des pouvoirs du
président d’association
101. L’examen de la jurisprudence permet de se rendre
compte de l’alignement des pouvoirs propres du président d’association sur
ceux du directeur général de la S.A. qui a été réalisé. Cette extension
concerne aussi bien les pouvoirs internes du président (1) que ses pouvoirs
externes (2).
1°) Les pouvoirs internes du
président
102. Au plan interne, l’extension des pouvoirs a été
réalisée par la reconnaissance du pouvoir de prendre des mesures
conservatoires.
« Mais attendu
que dans le silence des textes et des statuts relatifs au fonctionnement d’une
association, il entre dans les attributions de son président de prendre, au nom
et dans l’intérêt de celle-ci, à titre conservatoire et dans l’attente d’une
décision du conseil d’administration statutairement habilité ou de l’assemblée
générale, les mesures urgentes que requièrent les circonstances ; qu’en
effet les dispositions du Code civil, et à défaut du Code de commerce,
régissant les sociétés présentent une vocation subsidiaire d’application ;
qu’en se référant à de telles dispositions, en l’espèce celles de l’alinéa 1er
de l’article L 225-56 du Code de commerce, la Cour d’appel a légalement
justifié sa décision »
104. En l’espèce, M. Kamara, président d’association
reprochant à son secrétaire général et à certains membres de n’avoir pas
respecté ses décisions et d’avoir gravement entravé le fonctionnement du
groupement, les a suspendus de leurs délégations de signature comptable ou de
leur appartenance au bureau du conseil d’administration.
105. En statuant comme elle l’a fait, la Cour a
incontestablement étendu les pouvoirs du président d’association. En effet, en
l’absence de stipulations particulières dans les statuts de l’association, le
président est présumé avoir les pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes
circonstances dans l’intérêt de l’association. C’est ainsi qu’il peut prendre à
titre conservatoire les mesures qu’impose la situation.
106. Il s’agit d’un alignement des pouvoirs du président
d’association sur ceux du directeur général de S.A. En effet, au sens de l’art.
L 225-56, I du C. com. « Le directeur général est
investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au
nom de la société ». Désormais, avec cette décision, il semble que le président d’association
dispose de pouvoirs similaires.
107. Cependant les juges vont beaucoup plus loin dans
cette « extension-alignement »[88], en reconnaissant au président le
pouvoir de licencier un salarié, ce qui relève de ses pouvoirs externes.
2°) Les pouvoirs externes du
président
108. En reconnaissant au président le pouvoir de licencier
un salarié, les juges ont étendu ses pouvoirs externes.
109. Ainsi, dans un arrêt du 25 novembre 2003[89], la Cour de cassation a décidé, par
un attendu qu’il convient de rappeler, qu’un président d’association avait le
pouvoir de licencier un salarié :
« Dès lors qu’il
est établi que les statuts de l’association prévoyaient que le président en est
le représentant légal auprès des tiers pour tous les actes de la vie sociale,
celui-ci est habilité à mettre en œuvre une procédure de licenciement à l’égard
d’un salarié, à défaut d’une disposition spécifique des statuts attribuant
cette compétence à un autre organe ».
110. Cet arrêt reprend une idée qui avait déjà été
exprimée par les juges du fond[90]. Toutefois, en statuant ainsi, les
juges suprêmes reconnaissent au président d’association les mêmes pouvoirs que
ceux du directeur général. En effet, c’est non seulement en sa qualité de chef
d’entreprise[91] mais aussi en sa qualité de
représentant légal que ce dernier s’est vu octroyer par la Loi, le pouvoir de
licencier un salarié.
111. Le pouvoir de licencier, ici octroyé au président
d’association, pose plus largement la question de la représentation de
l’association. Le président d’association serait-il devenu par une « extension-alignement » un directeur général de S.A.
et par la même occasion un représentant légal ? Si oui l’ « extension-alignement » s’est-elle transformée par
un subterfuge encore inconnu en « extension-assimilation [92] »?
112. Pour y répondre, il est nécessaire d’apprécier cette
transposition des pouvoirs.
B – L’appréciation de la transposition
des pouvoirs
113. Dérivant du latin pretium (prix), le verbe apprécier signifie
« déterminer la valeur ou l’importance de[93] » quelque chose ou quelqu’un.
Apprécier la transposition des pouvoirs reviendra donc
à l’évaluer. Pour ce faire, la balance sera faite entre ses mérites (1) et ses
limites (2).
1°) Les mérites de la transposition
114. La transposition opérée a pour mérites de sécuriser
les tiers et de respecter la spécificité du groupement associatif.
115. La situation des tiers qui contractent avec une
association est particulièrement délicate[94]. Face à la diversité des modèles
statutaires[95], les tiers sont tenus de vérifier
la qualité de représentant du dirigeant d’association avec lequel ils
contractent. Faute d’une telle vérification, les restrictions et répartitions
statutaires du pouvoir lui sont opposables[96]. On le voit, les tiers sont
véritablement en disgrâce, faute pour la loi de 1901 d’avoir désigné le représentant
de l’association. Mais en reconnaissant au président d’association le pouvoir
de licencier un salarié parce que les statuts lui conféraient la qualité de
représentant légal, la Cour de cassation a lancé aux tiers une bouée de
sauvetage. Bien plus, en se fondant sur l’art. 1134 du C. civ. pour conférer
aux statuts leur juste force, les juges n’ont pas dénaturé l’association.
116. Dans les deux arrêts sus cités les juges ont pris le
soin de ne point dénaturer l’association en respectant les grands principes du
droit associatif.
Le premier est celui de la liberté statutaire. Les
juges ont reconnu la qualité de représentant légal à un président d’association
parce que les statuts le prévoyaient expressément[97]. C’est donc en interprétant les
statuts, que les juges ont reconnu le pouvoir de licencier un salarié. Quid alors d’un silence total des
statuts ?
En cas de silence des statuts, les juges recourent au
droit des sociétés, qui a une vocation subsidiaire d’application[98]. Même si cette vocation est
critiquable elle n’en demeure pas moins utile : elle permet d’éviter un
vide juridique[99]. C’est en raisonnant ainsi que les
juges ont transposé l’art. L 255-56 du C. com.
Le second principe est celui de la souveraineté de l’assemblée
générale[100]. Les juges ne s’en sont pas
démarqués. En effet, si le président d’association dispose des pouvoirs les
plus étendus pour prendre, dans l’intérêt de l’association, les mesures
urgentes que requièrent les circonstances, il ne s’agit que de mesures
conservatoires dans l’attente d’une décision du conseil
d’administration et de l’assemblée générale.
117. Cette transposition a bien des mérites, toutefois,
elle doit être relativisée car elle réalise une assimilation délicate entre les
pouvoirs du directeur général de S.A. et le président d’association.
2°) Les limites de la transposition
118. Alors que le directeur général de S.A. est un
représentant légal qui tire ses pouvoirs de la Loi, le président d’association
est bien un mandataire. Même s’il a parfois été avancé la thèse selon laquelle
le président d’association serait un représentant légal, soit pour justifier la
responsabilité de l’association du fait de ses dirigeants[101], soit pour empêcher la révocation « ad
nutum »[102] elle n’est pas fondée[103].
119. Toutefois, la transposition de l’art. L 255-56 conçu
pour un représentant légal et son application au président d’association
mandataire conventionnel laisse planer des doutes quant à l’avenir de cette
décision.
120. En effet, cette confusion de qualité pourrait
emporter des conséquences pratiques qu’il convient d’observer. Les qualités de
mandataire et de représentant légal ne produisent pas les mêmes effets.
A l’égard de l’association, en tant que
mandataire conventionnel, le président d’association n’engage celle-ci que dans
les limites de son mandat. Il ne peut la représenter en justice que sur
habilitation spéciale. La situation n’est pas la même pour le directeur général,
qui représente la société à l’égard des tiers, signe les contrats au nom de
celle-ci, passe les commandes, assure les biens sociaux, agit en justice…[104]
A l’égard des tiers, alors que les limitations
statutaires des pouvoirs du directeur général sont inopposables aux tiers même
de mauvaise foi[105], il n’en est pas de même dans les
associations. Contractant avec un mandataire, les tiers sont tenus de vérifier
au moins le principe de ses pouvoirs[106], ce qui revient au final à en
vérifier l’étendue. En l’absence d’une telle vérification, les limitations
statutaires lui seront opposables sauf démonstration de la théorie du mandat
apparent[107].
121. La distinction des qualités de mandataire et de représentant
légal est particulièrement importante dans la mesure où elle pose des problèmes
pratiques. Le président d’association doit être considéré comme un mandataire
conventionnel avec toutes les conséquences que cela implique. Son assimilation
à un représentant légal quant à elle, ne devrait être justifiée que par les
statuts. La vocation subsidiaire du droit des sociétés, même si elle est utile,
ne doit pas dénaturer l’association. Et c’est là le mérite des arrêts sus
étudiés.
122. Mais, la jurisprudence organise aussi de manière
cohérente le pouvoir au travers de la révocation des dirigeants.
§ 2) La révocation des dirigeants
123. La jurisprudence[108] et une grande partie de la doctrine[109] considèrent que les dirigeants d’association
sont des mandataires. Dès lors, par application des dispositions du Code civil,
le mandat prend fin par « la révocation du mandataire » (art. 2003) et « le
mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble » (art. 2004). Cela signifie que le
mandat est révocable « ad nutum », sans préavis, motifs et indemnités. Cette
situation fait penser à celle de certains dirigeants de sociétés[110]. Mais il semble que le parallèle
doive s’arrêter là, puisque les fondements des pouvoirs ne sont pas les mêmes[111].
124. En tant que mandataires, la révocation des dirigeants
d’associations doit-elle survenir au cours d’une réunion de l’assemblée
générale alors qu’elle n’était pas inscrite à l’ordre du jour ?
125. En transposant le principe de l’incident de séance
aux associations, la jurisprudence semble y répondre de façon positive. Cette
prise en compte de l’incident de séance (A), si elle est justifiée, doit
cependant être relativisée (B).
A – La prise en compte de l’incident
de séance
126. Le principe de l’incident de séance est prévu à
l’art. L 225-105 du Code de commerce qui dispose que : « L’assemblée
ne peut délibérer sur une question qui n’est pas inscrite à l’ordre du jour.
Néanmoins, elle peut en toutes circonstances, révoquer un ou plusieurs
administrateurs ou membres du conseil de surveillance et procéder à leur
remplacement ». La loi de
1901 n’ayant pas envisagé cette situation, les juges ont transposé par trois
arrêts[112] ces dispositions à des
associations.
127. En statuant ainsi, les juges semblent faire de
l’incident de séance un principe de droit commun des groupements (2) qu’ils
soumettent cependant à certaines conditions (1).
1°) Les conditions de l’incident de
séance
128. Bien que le débat ne relève que de la théorie[113], il semble que la jurisprudence
n’admette pas aussi facilement, en droit des associations, l’incident de
séance. Il convient peut-être de rappeler qu’en droit des sociétés, on l’admet
« en toutes circonstances[114] ». En revanche, s’agissant des
associations, l’examen de la jurisprudence le soumet à certaines exigences. Peu
importe toutefois la nature de l’assemblée générale au cours de laquelle il est
apparu[115].
C’est ainsi que dans l’arrêt de 1970[116], elle exige pour admettre la
révocation sur incident de séance « des révélations
inattendues d’une telle gravité qu’il était impossible aux membres de
l’association de conserver leur confiance au comité de direction » ; dans l’arrêt du
TGI de 1987[117] les juges admirent des incidents
ayant conduit à « une situation irrémédiable ».
129. En revanche, dans l’arrêt de 1994[118], les juges se sont tout simplement
bornés à transposer l’art. 160 de la loi de 1966 (art. L 225-105 du Code de commerce)
sans aucune exigence particulière. Et en cela, ils l’affirment comme un
principe commun des groupements.
2°) L’incident de séance :
principe commun des groupements
130. Considérer l’incident de séance comme un principe
commun de tous les groupements revient à reconnaître l’existence de paralysie
au sein de ceux-ci et la nécessité d’y remédier. En effet, dans un groupement
de personnes, la révocation sur incident de séance permet d’éviter le maintien
d’un dirigeant indésirable pour des raisons formelles. Même si l’exigence de
formalité (en l’occurrence que l’assemblée générale ne délibère que sur les
points inscrits à l’ordre du jour) permet de lutter contre les révocations
abusives, elle ne saurait empêcher la révocation d’un dirigeant qui peut toujours
résulter d’un incident de séance.
131. Toutefois, si le maintien de ce principe a pu être
discuté[119] c’est davantage sa réelle
utilité pour les associations qu’il convient d’examiner au travers de la
relativité de cette prise en compte.
B – La relativité de cette prise en
compte
132. La prise en compte de l’incident de séance en droit
des associations revêt une portée relative car elle nous semble inutile (2)
dans la mesure où elle n’est qu’une modalité de la révocation ad nutum des
dirigeants d’associations (1).
1°) L’incident de séance : Une
modalité de révocation ad nutum
133. Les dirigeants d’association, cela a déjà été évoqué,
sont révocables ad nutum[120]. Ce n’est qu’une simple application
de l’art. 2004 du C. civ.[121]
Par conséquent, n’est-il pas normal que leur
révocation puisse résulter d’une décision de l’assemblée alors même qu’elle
n’était pas inscrite à l’ordre du jour ? Et finalement « l’incident
de séance » ne
serait-il pas exigé qu’aux fins de lutter contre l’arbitraire dans les
révocations ?
Il semble évident de répondre par l’affirmative. En
effet, si le mandant peut révoquer sa procuration « quand
bon lui semble », il ne
faudrait pas qu’il en abuse. C’est pourquoi, la révocation doit être au moins
inscrite à l’ordre du jour. Et si l’on y déroge, il faut au moins que cela soit
justifié par des incidents de séance.
Dès lors, il convient peut-être de parler de révocation ad nutum sur incident de séance[122] en droit associatif.
134. En cela, le recours au droit des sociétés, dans ce
cas, semble inutile.
2°) L’inutilité de la transposition
135. Comme l’a si bien démontré un auteur[123], le recours au principe de
l’incident de séance via l’art. L 225-105 pour justifier la révocation d’un
dirigeant d’association est inutile. Dans la mesure où il est révocable ad
nutum, plutôt que le droit des sociétés commerciales, le juge n’aurait-il pas
pu invoquer la théorie du mandat, beaucoup plus générale ? [124]. Ce qui aurait conduit à admettre
la révocation ad nutum du dirigeant d’association sans avoir à en justifier les
motifs, quitte à l’indemniser si cette révocation s’avère a posteriori
injustifiée et lui a causé un préjudice moral[125].
136. Même si la transposition de la théorie des incidents
de séances semble inutile pour justifier la révocation des dirigeants
d’associations, elle constitue néanmoins un moyen par lequel les juges
participent a posteriori à l’organisation du pouvoir.
137. Mais beaucoup plus que l’organisation du pouvoir, les
juges reconnaissent également la possibilité de contester le pouvoir au sein de
l’organisation.
Section 2 : La possibilité
de contester le pouvoir au sein de l’organisation
138. La jurisprudence reconnaît également, la possibilité
de contester le pouvoir au sein de l’organisation. On l’a déjà démontré, les
statuts organisent librement la répartition des pouvoirs au sein d’organes. Il
peut s’agir du président mais aussi de l’assemblée générale par laquelle est
assurée l’expression collective.
139. Les décisions des assemblées sont alors des actes
juridiques collectifs[126] en ce qu’ils engagent même ceux qui
n’y ont pas consenti. C’est ce qui justifie la règle de la majorité dans tout
contrat-organisation.
Au nom de cette règle, les décisions prises par
l’assemblée engagent même les membres qui ne les ont pas votées. Certes il
existe des exceptions à ce quorum, notamment, lorsque des décisions viennent augmenter
les engagements des membres, la règle devient alors l’unanimité.
140. Mais la vérité de Montesquieu[127] rattrape souvent trop vite les
sociétaires. En effet, les abus font souvent leur apparition dans un monde où
on ne les attendait pas. Que peuvent donc faire les sociétaires, si ce n’est
recourir aux juges ?
Ces derniers une fois saisis n’ont pas hésité à
appliquer un mécanisme classique du droit des contrats : L’abus de droit
(§1) qu’ils assortissent de sanctions (§2)
§ 1) L’abus de droit
141. L’abus de droit est une notion civiliste reçue du
droit romain. D’abord élaborée en droit de la propriété, elle s’est
progressivement étendue à toutes les branches du droit. Après de longues
querelles doctrinales, un auteur[128] a su se distinguer en démontrant
l’existence de l’abus dans la conscience juridique. Il va ainsi distinguer
quatre critères possibles de l’abus : L’intention de nuire (critère
intentionnel), la faute dans l’exécution (critère technique), le défaut
d’intérêt légitime (critère économique) et le fait de détourner le droit de sa
fonction sociale (critère social ou finaliste)[129].
142. Le droit des sociétés n’a pas échappé à l’abus de
droit : les abus de majorité, de minorité et d’égalité, les abus de la
personne morale…sont autant de manifestations de l’abus en droit des sociétés.
D’ailleurs, Josserand n’écrivait-il pas « La vie des
sociétés, donne matière, elle aussi, à l’application de la théorie de l’abus […][130] » ?
143. En droit des associations, dans le silence de la loi
de 1901, les juges ont reconnu à un sociétaire la possibilité d’invoquer l’abus
de majorité (A). Cela amène à réfléchir pour l’avenir aux autres abus du droit
de vote (B).
A – L’abus de majorité
144. Comme en droit des sociétés, l’abus de majorité en
droit des associations est le fruit de la jurisprudence[131]. La spécificité de
l’association va-t-elle exiger une application particulière de cet abus ?
145. Pour y répondre, il convient de présenter les
éléments constitutifs de cet abus en droit associatif (1) puis d’envisager
l’éventualité de son établissement en tant que principe commun des groupements
(2).
1°) Les éléments constitutifs
146. En droit des sociétés, « l’abus
de majorité implique la réunion de deux éléments : La violation de
l’intérêt social et la rupture d’égalité entre les associés[132] […] ». Il ne s’agit pas
« […] d’un contrôle d’opportunité mais d’un contrôle de
légalité car il s’agit de rechercher si la décision inopportune est destinée à
rompre l’égalité entre associés, c'est-à-dire la communauté d’intérêts qui doit
exister entre eux en application de l’art. 1833 du Code civil [133]».
147. En droit des associations, il n’existe pas d’art.
1833 du C. civ. et pourtant l’abus de majorité y a trouvé son application. En
l’espèce, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu que
la résolution prise dans l’unique dessein de favoriser des membres majoritaires
d’une association porte atteinte à l’intérêt collectif de sorte qu’elle
pourrait être annulée pour abus de majorité. Pour retenir une telle solution,
la Cour d’appel a pris le soin de souligner que les statuts de l’association
lui assignaient le but « de travailler à la
défense des intérêts communs à ses membres », ce que les juges suprêmes ne
manquent pas de relever.
148. Partant de là, on aurait donc trois éléments
constitutifs de l’abus de majorité en droit des associations : La
violation de l’intérêt social (entendu comme intérêt commun des
associés/sociétaires) ; la rupture d’égalité et la
mention expresse dans les statuts de l’intérêt commun.
149. En effet, la Cour aurait-elle statué pareillement si
les statuts n’avaient pas rendu comme en l’espèce un « hommage
à l’intérêt commun[134]» ? La réponse à cette question
amène à envisager l’éventualité d’un principe commun.
2°) L’éventualité d’un principe
commun
150. Une lecture furtive de l’arrêt du 4 avril 2006
pourrait signer la mort de la possibilité d’établissement de l’abus de majorité
en tant que principe commun des groupements. On pourrait
penser, s’agissant des associations qu’il faut une mention expresse des
statuts faisant référence à l’intérêt commun. Une mention qui serait en fait le
fondement de l’abus semblable à l’art. 1833 du C. civ. pour les sociétés. Ce
qui reviendrait au final à dire que faute d’une référence statutaire ou légale
à l’intérêt commun, l’abus de majorité ne saurait être appliqué à un
groupement.
151. Une telle analyse paraît trop simpliste pour
plusieurs raisons.
L’abus de majorité a été appliqué aux sociétés bien
avant la rédaction de l’art. 1833 du C. civ. Il ne s’agit ni plus ni moins
d’une transposition de la notion civiliste de l’abus de droit avec certains
nuances. Dans son ouvrage, Josserand[135] écrivait déjà que la vie des
sociétés « doit s’orienter et se poursuivre socialement, en
conformité du statut et du jus fraternitatis, de l’affectio societatis, sinon,
les manifestations en seront abusives […] ».
Or dans tout groupement de personnes, tel
l’association ou la société ne retrouve-t-on pas cette volonté commune, cet affectio? Tout groupement n’est-il pas
constitué dans l’intérêt commun de ses membres, peu importe que les statuts le
précisent ou non? N’est ce pas la particularité de tout
contrat-organisation ?
152. Il semble qu’on ne puisse que répondre par
l’affirmative à toutes ces interrogations. Dès lors, la construction de l’abus
de majorité pourrait tout à fait trouver à s’appliquer dans tout groupement de
personnes, dès lors qu’une décision favorable aux majoritaires est prise dans
l’unique dessein de porter atteinte aux minoritaires. Une telle décision rompt
l’égalité entre associés et est contraire à leur intérêt commun.
153. L’abus de majorité peut donc être considéré comme un
principe commun à tous les groupements de personnes[136]. Cela conduit à examiner le cas des
autres abus du droit de vote.
B – Les autres abus du droit de
vote
154. Par autres « abus du droit de vote[137] » il convient d’envisager
l’abus de minorité et sa variante, l’abus d’égalité[138]. S’ils ont trouvé application en
droit des sociétés, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur ces
questions en droit des associations. D’ailleurs devrait-elle le faire ? La
transposition de l’abus de majorité implique-t-elle pour l’avenir celle des
autres abus du droit de vote ?
155. S’il existe des obstacles à leur transposition (1),
il reste encore des raisons d’espérer (2)
1°) Les obstacles à la transposition
156. Au plan politique, les nombreuses atteintes à la
démocratie dans les associations permettent –elles d’envisager une « tyrannie
des faibles[139] » ?
157. En effet, les nombreux obstacles au droit de vote en
droit des associations ne permettent peut-être pas d’envisager que des
minoritaires puissent constituer un « blocage » suffisant à empêcher
la prise d’une décision importante.
158. D’après M. Guyon[140], contrairement à ce qu’on pense,
les associations sont en réalité des gouvernements très autocratiques. La loi
de 1901 ne reconnaît en réalité aucun droit aux membres de l’association
susceptible de garantir le fonctionnement démocratique de la collectivité.
158-1. A l’image de M. Guyon, on pourrait signaler
qu’une démocratie suppose que les citoyens soient bien informés, qu’ils
puissent choisir leurs représentants, participer aux décisions collectives et
qu’enfin les citoyens les plus défavorisés soient protégés.
158-2. Alors qu’en droit des sociétés le droit à
l’information est un attribut essentiel de l’associé, il n’est pas prévu par la
loi de 1901. En droit des associations, la communication par avance des
rapports (financier et moral) aux sociétaires n’est pas exigée. Très souvent
ceux-ci découvrent en séance des documents d’interprétation complexes. Par
ailleurs, la présence de commissaires aux comptes n’est pas exigée par la loi
de 1901.
158-3. S’agissant du droit de vote, les sociétaires n’ont
pas toujours le droit de participer aux assemblées et d’y voter. La liberté
statutaire permet une hiérarchisation des membres aux statuts et droits de
votes différents (droit de proposition, droit de veto, droit de vote plural…).
158-4. Enfin, outre le droit de retrait lorsque
l’association est constituée sans limitation de durée (art. 4 de la loi de
1901), aucune mesure de protection des sociétaires minoritaires n’est prévue en
droit des associations. Comme le précise le Professeur Guyon : « sauf
stipulation contraire des statuts, les sociétaires ne peuvent ni provoquer la
réunion d’une AG ni demander l’inscription d’une question à l’ordre du jour.
Ils ne peuvent pas non plus demander une expertise de gestion […] Enfin
en cas de faute des dirigeants, la jurisprudence[141] ne leur reconnaît pas
le droit d’exercer l’action sociale ut singuli [142]»
159. Au plan technique, l’abus de minorité n’est retenu en
droit des sociétés que dans des hypothèses strictes. Il s’agit pour la plupart
du temps des décisions relatives au capital social[143]. Or l’association, n’a pas de
capital social car elle n’a pas vocation à réaliser des bénéfices.
160. Malgré ces obstacles, il subsiste tout de même des
raisons d’espérer.
2°) Les raisons d’espérer
161. L’abus de minorité reste une hypothèse difficilement
vérifiable en droit des associations. Il n’en est pas de même de l’abus
d’égalité.
162. En effet, on pourrait tout à fait imaginer le schéma
suivant : Une association composée de deux membres disposant d’un droit de
vote s’exerçant à travers la règle de l’unanimité. Un sociétaire pourrait alors
utiliser son droit de veto de manière abusive c'est-à-dire dans l’unique
dessein d’empêcher une décision nécessaire au fonctionnement de l’association.
Il y’aurait alors atteinte à l’intérêt commun.
163. Toutefois, même si l’abus d’égalité pourrait trouver
à s’appliquer il ne sera pas d’un grand intérêt. En effet, les sociétaires
pourront toujours, dans ce cas, demander en justice la dissolution pour
mésintelligence[144].
Reste maintenant à envisager les sanctions de l’abus.
§ 2) Les sanctions de l’abus
164. Selon Josserand, les manifestations abusives du droit
des sociétés « détermineront les sanctions habituelles :
condamnation à des dommages-intérêts, nullité[145] ».
165. Les fondements de ces actions sont différents[146], et la jurisprudence commerciale
n’hésite pas appliquer l’un ou l’autre selon les cas.
166. En droit des associations, le seul arrêt connu à ce
jour a fait la part belle à la nullité. C’est pour cette raison qu’elle sera,
seule envisagée dans cette étude. Pour ce faire seront successivement étudiés
le régime de l’action en nullité (A) puis ses effets (B).
A – Le régime de l’action en
nullité
167. Seront successivement étudiées la qualité pour agir
(1) et la prescription de l’action (2).
1°) La qualité pour agir
168. En droit des sociétés, la qualité pour agir est
sujette à de nombreux obstacles[147] tenant à la question de la détermination
des personnes susceptibles d’invoquer la nullité d’une décision sociale.
169. Il n’en est pas de même en droit des associations où
tout membre, qui estime qu’une assemblée générale a été irrégulière, a le droit
de se pourvoir en justice devant le TGI[148] pour faire annuler les décisions
prises[149]. Toutefois, il n’a pas le droit de
convoquer une nouvelle assemblée générale avant que la justice n’ait annulé l’assemblée
antérieure.
170. N’ont donc pas qualité pour agir[150] le membre exclu, à moins que son
exclusion soit irrégulière[151], et a
fortiori la personne
qui n’est pas membre de l’association[152].
171. Dès lors, doit être examinée la question de la
prescription de l’action en nullité.
2°) La prescription de l’action
172. Le délai de prescription est celui des nullités
relatives prévu à l’article 1304 du Code civil et fixé à 5 ans à compter du
jour où la nullité est encourue (à compter de la date de réunion des
assemblées). L’expiration du délai de prescription de cet article rend les
délibérations définitives[153].
173. Néanmoins, une fois le délai de prescription expiré,
il reste possible d’invoquer l’exception de nullité qui, elle, est perpétuelle.
174. Le régime de l’action en nullité en droit des
associations semble plus souple que celui du droit des sociétés, ce qui traduit
une certaine opposition entre les deux groupements. Cette opposition se
retrouve également au niveau des effets de la nullité.
B – Les effets de la nullité
175. L’opposition se manifeste par l’application du
principe de rétroactivité des nullités en droit des associations. En effet, le
prononcé de la nullité d’une délibération anéantit rétroactivement l’assemblée
générale qui est censée n’avoir jamais eu lieu ; et les sociétaires
doivent être remis dans la situation où ils étaient avant l’assemblée.
176. Mais dans un arrêt récent, la Cour de cassation[154] a considéré que l’annulation d’une
délibération d’assemblée générale d’association n’avait pas d’effet rétroactif.
Les juges suprêmes ont-ils voulu faire de la non-rétroactivité des nullités un
principe commun des groupements ? Il convient de répondre par la négative
car cette transposition est illogique (1) et isolée (2).
1°) L’illogisme de la transposition
177. Dans l’arrêt du 19 novembre 1991, la Cour de
cassation affirme : « à défaut de
stipulation législative, réglementaire ou statutaire contraire, l’annulation
d’une délibération prise par l’assemblée générale d’une association régie par
la loi du 1er juillet 1901 ne peut avoir d’effet rétroactif ». En statuant ainsi les juges
ont adopté une position de principe qui semble aligner le régime de la nullité
en droit associatif sur celui du droit des sociétés, ce qui conduirait
inexorablement à considérer l’article 1844-15 C.civ. comme principe du droit
commun des groupements.
178. Pourtant, en droit des sociétés il existe bien une
exception au principe posé par l’article 1844-15 C.civ. : la nullité d’une
délibération sociale, contrairement à celle de la société, est rétroactive.
C’est donc en exception à l’exception prévue en droit des sociétés que la Cour
de cassation a rendu cette décision en droit des associations. Il serait donc
illogique de penser qu’elle se fonde sur le principe du droit des sociétés.
179. D’ailleurs l’arrêt lui-même ne fait aucune référence
au droit des sociétés et repose plutôt sur des arguments d’équité :
« la vie associative qui existait avant les assemblées
générales s’est poursuivie, … et les membres qui avaient adhéré au comité de
soutien postérieurement à celles-ci et qui paient leur cotisations ne sauraient
se voir écartés de la constitution du bureau au profit de personnes qui étaient
membres du comité en 1984, et dont certaines ont pu, depuis lors, se
désintéresser de l’association ».
180. Cette jurisprudence ne permet donc pas d’affirmer que
la non-rétroactivité est devenu un principe commun du droit des groupements, et
ce d’autant plus qu’il s’agit d’une décision isolée.
2°) L’isolement de la transposition
181. La Cour de cassation tient à conserver l’originalité
du droit associatif. S’agissant particulièrement de la nullité, elle a décidé,
dans un arrêt du 27 juin 2000[155], que : « la
nullité de la délibération d’une assemblée générale d’association résulte du
seul fait que cette assemblée n’a pas respecté les règles statutaires relatives
aux modalités de vote ». En
statuant ainsi, la Cour rejette la théorie dite du vote utile qui prévaut en
droit des sociétés. La nullité d’une délibération irrégulière est indépendante
de l’absence d’incidence de l’irrégularité. Le non-respect des dispositions
statutaires suffit à obtenir l’annulation de la délibération prise par
l’assemblée générale. La solution s’impose au sein des groupements contractuels[156].
182. Cet arrêt vient confirmer l’isolement de la décision
du 19 novembre 1991.
Conclusion du Chapitre 2
183. Au final, l’association est bien un acte
d’organisation. Les parties organisent librement la répartition des pouvoirs.
Toutefois, en cas de conflits, et de carence des statuts, les juges n’hésitent
pas à appliquer les règles du droit des sociétés. En le faisant, ils
participent a posteriori à l’organisation du pouvoir et à l’organisation des
moyens de contestation du pouvoir.
Conclusion du Titre 1
184. L’association est bien un acte juridique : son
fonctionnement, comme sa disparition sont régis par l’acte juridique qui l’a
créé. L’examen de la transposition jurisprudentielle, au regard de la théorie
de l’acte juridique n’est pas vain. Elle permet de faire apparaître derrière la
« mystique théorie institutionnelle [157]», que la société est bien comme
l’association, un acte juridique. Dès lors, l’application du droit des
sociétés aux associations permet de démontrer que les règles transposées sont
en réalité des principes issus pour la plupart de la construction de l’acte
juridique : L’intangibilité des engagements, la dissolution pour justes
motifs, la révocabilité ad nutum des mandats, l’abus de majorité…
185. Toutefois l’association n’est pas qu’un acte
juridique, elle peut devenir, comme la société une personne morale.
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