184. L’association est bien un acte juridique : son
fonctionnement, comme sa disparition sont régis par l’acte juridique qui l’a
créé. L’examen de la transposition jurisprudentielle, au regard de la théorie
de l’acte juridique n’est pas vain. Elle permet de faire apparaître derrière la
« mystique théorie institutionnelle [157]», que la société est bien comme
l’association, un acte juridique. Dès lors, l’application du droit des
sociétés aux associations permet de démontrer que les règles transposées sont
en réalité des principes issus pour la plupart de la construction de l’acte
juridique : L’intangibilité des engagements, la dissolution pour justes
motifs, la révocabilité ad nutum des mandats, l’abus de majorité…
185. Toutefois l’association n’est pas qu’un acte
juridique, elle peut devenir, comme la société une personne morale.
Titre II : L’application du
droit des sociétés à l’association personne morale
186. L’association est licite dès sa constitution, en
vertu du principe de liberté d’association[158]. Dès lors, l’association non
déclarée, ou déclarée mais non publiée, dispose d’une capacité « de
fait » qui lui
est reconnue par la pratique ou la jurisprudence[159]. Toutefois, en dépit de cette
reconnaissance, l’association non déclarée ne constitue qu’un groupement de
fait, elle n’est pas véritablement une entité en droit[160]. A l’égard des tiers, les actes
accomplis par cette association sont en principe nuls[161] ; de même elle ne peut
assigner ni être assignée en justice[162].
187. Cette situation de l’association non déclarée,
rappelle étrangement celle des sociétés non personnifiées[163]. En effet, nonobstant l’absence de
personnalité juridique, elles existent par la force de l’acte juridique qui les
crée. Certaines de ces sociétés sont occultes[164] car la société a vocation à
acquérir la personnalité morale[165]. Au demeurant, ces sociétés
existent dans leurs rapports internes, mais leurs actes sont inopposables aux
tiers. Elles se retrouvent donc dans la même situation que l’association non
déclarée : existence interne mais inopposabilité du groupement aux tiers.
188. L’attribution de la personnalité morale devient alors
dans un cas comme dans l’autre une nécessité aux fins d’opposabilité du
groupement aux tiers[166]. Désormais, la personne morale est
représentée auprès des tiers par des dirigeants dont la responsabilité
personnelle peut être engagée par ces derniers.
189. Il a été justement démontré que la personnification
du groupement ne vient pas modifier son régime juridique[167]. « Cela
signifie donc que la personnalité morale n’est pas source des règles gouvernant
la personne morale. Plus exactement, l’ensemble de son régime juridique trouve
sa source dans l’acte constitutif […] du groupement personnifié »[168].
190. En attribuant la personnalité morale à l’association
et à la société le législateur en a fait des personnes morales. Toutefois la
personnalité juridique dans un cas comme dans l’autre n’a malheureusement pas
la même portée[169].
En effet, à la différence de la société, l’association
personnifiée dispose toujours d’une capacité limitée[170]. C’est en ce sens qu’on a pu dire
qu’elle ne disposait que d’une « petite personnalité[171] ». Mais est-ce bien la
personnalité juridique qui est effectivement réduite et variable d’un
groupement à l’autre ?
191. Répondant à cette question, un auteur[172] a justement démontré que la
personnalité juridique en soi ne varie pas, seule la capacité de la personne
morale peut se trouver réduite par le législateur pour des raisons d’ordre
public.
192. Dès lors, la personnalité juridique emporte bien des
conséquences identiques quelque soit la personne morale considérée. L’examen de
la transposition jurisprudentielle qui va suivre permet de rendre compte des
conséquences de la personnification. Il s’agit certes d’appliquer le droit des
sociétés dans le silence de la loi de 1901 aux associations, mais il s’agit
surtout de relever que ces groupements sont aussi des personnes morales
auxquelles les mêmes règles ou principes[173] trouvent ou peuvent trouver à
s’appliquer.
193. La jurisprudence reconnaît ainsi des effets liés à la
personnification de l’association (Chapitre 1) et l’existence d’un régime de
responsabilité civile des dirigeants de l’association personnifiée (Chapitre
2).
Chapitre 1 : Les effets liés à
la personnification de l’association
194. L’attribution de la personnalité morale pour
l’association comme pour la société se réalise après accomplissement d’une
formalité légale[174].
195. Dans le même temps, leur personnification emporte un
certain nombre d’attributs, dont le plus important est certainement
l’individualisation de la personne morale. Le groupement devient alors un être
à part entière, distinct de ses membres. Il aura dès lors un intérêt distinct
de l’intérêt de ses membres.
195-1. L’individualisation de la personne morale suppose
qu’elle puisse conclure des actes avec des tiers. Pour ce faire, elle va se
doter de représentants, qui vont ainsi l’engager, dans les limites connues[175]. Ceci permet d’affirmer que la
personne morale ne saurait être engagée par des actes qui lui sont antérieurs.
Toutefois, ne serait-il pas possible qu’elle reprenne à son compte des actes
conclus en son nom parce que son arrivée était imminente ?
195-2. L’individualisation de la personne morale suppose aussi
que sa disparition puisse être indépendante de celle de l’acte juridique
fondateur du groupement. Dès lors, la personnalité morale survit-elle à la
dissolution du groupement ?
196. En droit des sociétés, la personne morale peut
reprendre des engagements qui lui sont antérieurs à certaines conditions[176]. De plus, la personnalité morale
survit pour les besoins de liquidation[177]. Rien de tel n’a été prévu dans la
loi de 1901. C’est dans ce contexte que la jurisprudence a transposé ces règles
aux associations. En statuant ainsi, elle reconnaît des effets à la
personnification de l’association, tant au moment de sa constitution (Section
1) qu’au moment de sa disparition (Section 2).
Section 1 : L’effet sur la
constitution de l’association : La reprise des engagements
197. En droit des
sociétés, on admet la reprise des engagements dans des conditions strictes. En
droit des associations, le principe n’est pas affirmé dans la loi de 1901,
mais pourtant les associations, encore plus que les sociétés, connaissent cette
période de non personnification dans la mesure où elles existent de plein droit
avant leur déclaration en vertu de la liberté d’association.
198. La jurisprudence, avec beaucoup de pudeur, semble
admettre l’existence de principe de la reprise (§1). Mais il existe des
obstacles à l’admission définitive du principe de la reprise en droit
associatif (§2).
§ 1) L’admission de principe de la
reprise en droit associatif
199. La reprise des engagements ne connaît pas en droit
associatif une grande importance. Ignorée de la Loi, elle n’est que très peu
envisagée par la jurisprudence[178].
En pratique, les fondateurs d’associations recourent
alors à certains mécanismes du droit des contrats : Clause résolutoire et
condition suspensive[179]. Mais ces mécanismes étant limités[180], les juges ont fini par admettre
progressivement la reprise, d’abord de manière indirecte (A) puis de manière
directe (B).
A – L’admission indirecte
200. Dans l’arrêt du 3 mai 1990[181], la jurisprudence a admis de façon
indirecte, l’existence de la reprise (2) par la motivation retenue (1). Mais il
ne s’agit que d’une admission indirecte, les juges ne faisant pas expressément
référence à la règle de la reprise.
1°) La motivation retenue
201. Dans cette affaire, la Société des Centres
Commerciaux (S.C.C.) avait ouvert un centre à Suresnes. Afin d’assurer la
promotion de ce centre, le « délégué de gestion » de la société
engagea une campagne de publicité. Par ailleurs, les commerçants prenant à bail
un local situé dans le centre avaient souscrit une clause
« essentielle » aux termes de laquelle ils adhéraient à l’Association
des Commerçants du Centre (A.C.C.) dont l’objet était de favoriser la publicité
des commerçants dudit centre. La S.C.C. envoya alors à l’A.C.C. ses factures,
et celle-ci régla seulement deux d’entre elles en estimant qu’elle n’était pas
encore déclarée au moment de la passation du contrat de publicité.
Mais en réalité, la Cour estima que l’association
était redevable des sommes restantes, en se fondant sur la théorie de la croyance légitime[182] et celle du mandat
apparent[183].
202. Un auteur[184] commentant cet arrêt émit de fortes
réserves à l’égard de cette motivation. Considérant que la théorie du mandat
apparent n’a été utilisée que pour engager une association non déclarée,
aboutir par ce moyen à traiter une association non déclarée comme si elle avait
la personnalité morale lui paraît une fiction exagérée.
203. Au demeurant, les juges semblent admettre en réalité
l’existence de la reprise des engagements par une association déclarée.
2°) La reconnaissance implicite de
la reprise
204. Un autre argument semble justifier la décision de la
Cour de Versailles. La deuxième facture avait été réglée par l’association
après accomplissement de la formalité de déclaration. Ne s’agissait-il pas
alors d’une ratification des engagements souscrits par le mandataire apparent,
ce qui correspond à la reprise des engagements telle qu’on la connaît en droit
des sociétés ? Il semble possible de le croire.
205. Dès lors, même si la décision de la Cour ne fait
aucune allusion expresse à la reprise, elle l’admet au moins de façon
indirecte. Il ne reste plus qu’à envisager l’admission directe.
B – L’admission directe
206. Plus directement, la Cour de cassation admet
l’existence de principe de la reprise. Cette fois les juges font directement
référence à la possibilité de reprendre des actes antérieurs. Pour ce faire,
ils envisagent le sort du cautionnement (1) et le sort des autres actes (2).
1°) Le sort du cautionnement
souscrit par l’association non personnifiée
207. Dans un arrêt du 5 mai 1998, la Cour de cassation
s’est prononcée sur la question de la validité de l'acte de cautionnement
souscrit en garantie des engagements contractés par une association en
formation. La solution qu'elle adopte ne manque pas d'intérêt.
Elle a en effet précisé que « la
caution qui garantissait le remboursement d'un prêt contracté par une
association non déclarée, et dépourvue de ce fait de la capacité juridique
n'était pas tenue d'exécuter ses engagements [185][…] ».
208. Par cette décision, la Cour de cassation casse
l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 8 mars 1996 et fait une très exacte
application des textes de loi. Elle rappelle en effet que le prêt contracté au
nom d'une association non déclarée n'engage que celui qui se présente comme son
représentant et non l'association elle-même, celle-ci n'ayant pas la capacité
de contracter. L'obligation de restituer les fonds prêtés incombe donc au
"représentant" de l'association et non à l'association elle-même.
C'est la raison pour laquelle, dans ce cas, la caution qui s'était seulement
engagée à garantir les dettes de l'association ne pouvait être tenue des dettes
contractées par son "représentant", personne distincte de
l'association. En effet, aux termes de l'ancien article 2015 du code civil[186], on ne peut étendre le
cautionnement au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
209. En l'espèce, l'acte de cautionnement avait été
souscrit dans le but de garantir un prêt octroyé à l'association et non à celui
qui se prétendait son dirigeant. La Cour de cassation en a donc déduit à juste
titre que celui qui s'était porté caution pour garantir les engagements d'une
personne juridique qui n'existait pas (l'association) ne pouvait être tenu de
ses obligations de caution.
210. En statuant ainsi, les juges ont envisagé directement
la question de la reprise des engagements même si c’est pour exonérer la
caution. Plus directement encore elle a envisagé la reprise des autres actes.
2°) La sort des autres actes conclus
avant la personnification de l’association
211. La Cour de cassation a décidé qu'après avoir été
déclarée à la préfecture, une association peut, avec l'accord des fondateurs,
reprendre à son compte les droits et obligations résultant d'une convention
conclue par son représentant avant cette déclaration[187]. En l’espèce, une association avait
intenté une action tendant à la déclarer possesseur de biens qui lui auraient
été cédés alors qu’elle n’était pas encore déclarée. La Cour de cassation
rejeta son pourvoi aux motifs que « La Cour d’appel a
retenu qu’à la date de la convention du 7 janvier 1985, l’association n’avait
pas la capacité juridique pour acheter les matériels litigieux, et qu’après
cette date, elle n’a pas repris à son compte les droits et obligations
afférents à cette convention […] ».
212. En statuant ainsi, les juges reconnaissent qu’une
association déclarée peut reprendre les actes qui lui sont antérieurs. Cet
arrêt a été salué par une doctrine majoritaire et a même été considéré comme
établissant le principe de la reprise en droit associatif[188]. Il s’agit d’un raisonnement hâtif
quand on voit les nombreux obstacles qui viennent contester une telle
affirmation.
§ 2) Les obstacles à l’admission
définitive de la reprise en droit associatif
213. Le principe de la reprise tel qu’il existe en droit
des sociétés a-t-il été reconnu comme tel en droit associatif ? Peut-on
espérer que la reprise a été définitivement admise en droit associatif ?
Malgré la ferveur que les arrêts sus évoqués ont
entraîné en doctrine[189], il sera démontré qu’on doit relativiser
leur portée (B) et ce, à cause de leurs incertitudes (A).
A – Les incertitudes de la solution
214. La solution développée par la jurisprudence et qui a
consisté à admettre le principe de la reprise en droit associatif est
incertaine.
En effet, son contenu ne nous révèle rien sur
les modalités (1) et les effets (2) de la reprise.
1°) Les modalités de la reprise
215. La jurisprudence ne dit rien sur les modalités de la
reprise. La doctrine semble admettre qu’il faille recourir au droit des
sociétés et notamment à l'article 6 du décret du 3 Juillet
1978.
216. La reprise pourrait alors intervenir après
déclaration à la préfecture et insertion de cette déclaration au Journal
officiel, à la suite d'une décision spéciale expresse des associés, et ce quelle
que soit la date à laquelle les actes auront été accomplis pour le compte de
l'association en formation[190].
217. Toutefois, cette analyse ne saurait être convaincante
car rien ne permet de croire que les juges vont recourir de lege
ferenda au droit
des sociétés via l’article 1843 du C. civ. Ils auraient pu recourir à
celui-ci pour préciser les modalités de la reprise. Comment considérer alors ce
silence : Acceptation ou refus ?
218. Un autre argument plaide en la défaveur d’un recours
systématique au droit des sociétés pour fonder les modalités de la reprise. La
« décision expresse des associés[191] » sera–t-elle soumise à un
vote majoritaire ou unanimitaire ? La doctrine penche pour un vote
majoritaire par analogie au droit des sociétés[192]. C’est peut-être vite oublier que
les associations sont des groupements dans lesquels il est possible d’imaginer
toutes sortes de combinaisons possibles[193].
219. Cette même incertitude subsiste quant aux effets de
la reprise.
2°) Les effets de la reprise
220. De même la jurisprudence n’a pas précisé les effets
de la reprise. Là encore la doctrine est encline à considérer qu’il faille
recourir au droit des sociétés pour considérer que « les
actes seront
réputés avoir été contractés par l’association dès l’origine[194] ».
221. Ces incertitudes, liées au contenu de la
solution, lui confèrent alors une portée relative. Laquelle constitue un
obstacle à l’admission définitive de la reprise en droit associatif.
B – La portée relative de la
solution
222. La solution adoptée par les juges mérite d’être
approuvée en ce qu’elle reconnaît la possibilité pour une association déclarée
de reprendre à son compte les actes qui sont antérieurs à sa personnification.
223. Mais la solution pêche par son contenu, et en cela sa
portée ne peut qu’être relative. En effet elle fragilise la construction du
principe de la reprise en droit associatif (1). De plus, elle refuse de
reconnaître l’art. 1843 comme fondement commun du principe de la reprise (2).
1°) Le principe de la reprise en
droit associatif : une construction fragile
224. La solution des juges ne permet pas de cerner les
contours du principe de la reprise, en cela la construction jurisprudentielle
est fragile.
225. En effet, en refusant (oubliant ?) de préciser
les modalités et les effets de la reprise, les juges ont affirmé un principe
creux. Le principe de la reprise, tel qu’il ressort des arrêts étudiés, est une
coquille vide. Certes, l’association déclarée peut reprendre des actes
antérieurs mais quelles conditions ?
226. L’association se caractérisant par un vent de
liberté, les juges auraient dû préciser au moins les modalités de ce principe
important des personnes morales. Le principe de la reprise est donc bien une
construction fragile en droit associatif. De plus les juges n’ont pas voulu
faire de l’art. 1843 du C. civ. le fondement commun du principe de la reprise.
2°) Le refus de l’article 1843
comme fondement commun du principe de la reprise
227. En ne se fondant sur aucun texte pour justifier
l’existence de la reprise en droit associatif, les juges semblent la
reconnaître comme principe commun des groupements[195]. Toutefois, rien ne permet
d’assurer qu’elle aura les mêmes modalités qu’en droit des sociétés[196]. En effet, même si l’on considère
qu’il puisse servir de socle à l’élaboration d’un droit commun des groupements,
il faut encore que par analogie, les juges y fassent expressément référence.
228. Partant de là, il est permis de croire que la reprise
pourra connaître des modalités particulières en droit des associations. Et
quand on connaît la relative protection dont bénéficient les tiers face aux
associations[197], on ne peut que déplorer le manque
de précision des modalités de la reprise. Une simple référence à l’art. 1843 du
C. civ. aurait cependant suffi. Mais les juges s’en sont bien gardés. Dès lors,
ils n’affirment pas expressément que le droit des sociétés constitue le socle
commun d’édification du principe de la reprise pour les personnes morales.
229. Le principe de la reprise en droit associatif est
encore une construction fragile. Il n’est pas encore admis définitivement par
la jurisprudence. Décider que les juges ont voulu lui attribuer les mêmes
modalités qu’en droit des sociétés, trahit en réalité une forte espérance. Le
principe de la reprise ne sera définitivement admis en droit associatif que
lorsque ses modalités auront été clairement précisées soit par référence au
droit des sociétés, soit d’une autre façon.
330. Au demeurant, la personnification de l’association
emporte également un effet sur sa disparition.
Section 2 : L’effet sur la
disparition de l’association : La survie de la personnalité juridique pour
les besoins de liquidation
331. La disparition de l’association ou de la société peut
résulter de la nullité du contrat ou de la dissolution. Dans les deux cas, en
droit des sociétés, il est clairement admis que la personnalité juridique
subsiste pour les besoins de liquidation jusqu’à la publication de la clôture
de celle-ci[198]. Rien de tel ne figure dans le
droit associatif, à l’exception de l’art. 14 du décret qui vise expressément la
liquidation[199].
332. L’examen de cet article permet de relever la liberté
d’organisation des conditions de la liquidation qui est reconnue par le
législateur aux sociétaires. Et quand on sait les dérives occasionnées par
cette liberté, il est permis de douter de l’opportunité de l’application de la
règle aux associations (§1). Mais il ne s’agit que d’un doute méthodique
puisque les juges appliquent bien la règle de la survie aux associations (§2).
§ 1) L’opportunité de l’application
de la règle aux associations
333. La détermination de l’opportunité pose en réalité la
question de savoir si « toute dissolution
d’association, et plus particulièrement la dissolution décidée par les
sociétaires réunis en assemblée générale est-elle obligatoirement et
nécessairement suivie d’une phase de liquidation ?[200] »
334. La réponse à cette question permettra d’envisager les
obstacles qui se dressent à l’application ne varietur de la règle aux associations (A).
Il sera ensuite précisé que ces obstacles n’éliminent pas pour autant la
nécessité d’appliquer la règle aux associations (B).
A – Les obstacles à l’application ne
varietur de la règle aux associations
335. De nombreux obstacles empêchent une application ne
varietur de la règle
de la survie telle qu’on la conçoit en droit des sociétés aux associations. Ces
obstacles peuvent être juridiques (1) ou factuels (2).
1°) Les obstacles juridiques
336. Ces obstacles tiennent à la spécificité du droit
associatif avec le principe de liberté statutaire et l’interdiction de
partager les bénéfices.
336-1. En vertu du principe de liberté statutaire les
sociétaires organisent librement leur fonctionnement. La liquidation de
l’association dissoute n’a pas échappé à ce principe. En effet, au sens de
l’article 14 du décret[201], les sociétaires organisent
librement les conditions de liquidation et de dévolution des biens. Poussant
plus loin le raisonnement, un auteur[202] s’est demandé si dans certains cas
les sociétaires pouvaient éviter l’ouverture d’une période de liquidation après
la dissolution. Ainsi, lorsque l’article 14 suscité reconnaît aux sociétaires
le pouvoir de régler librement les conditions de la liquidation, cette liberté
porte-elle sur le principe même de l’existence d’une phase de
liquidation ?
336-2. Le second obstacle tient à la définition de la notion
de liquidation et sa portée en droit des associations. En droit des sociétés,
il ressort « de la définition généralement retenue, que l’issue
normale de la liquidation d’une société dissoute réside dans le partage du
produit de la liquidation envisagée comme une opération indispensable pour
parvenir à un tel partage[203] ».
Or l’association n’a pas vocation à partager des
bénéfices. Par conséquent, « une liquidation qui
n’aurait de raison d’être que de préparer les opérations de partage, non seulement
ne serait pas nécessaire en matières d’associations, mais bien plus encore y
serait interdite[204] ».
337. Il convient alors de définir la liquidation en
matière d’association comme étant « l’ensemble des
opérations qui sont nécessaires afin de terminer les affaires dans lesquelles
l’association est engagée, de réunir les éléments de son actif et d’éteindre
son passif, de sorte que le cas échéant soit dégagé l’actif net qui pourra être
attribué à un, ou plusieurs nouveau(x) titulaire(s), qui n’étai(en)t pas
membres de l’association dissoute [205] ».
338. Outre ces obstacles juridiques, il existe des
obstacles factuels.
2°) Les obstacles factuels
339. Il peut exister des associations pour lesquelles la
dissolution s’avère inutile. C’est ainsi qu’un auteur[206] a récemment démontré qu’il était
possible d’envisager des associations dissoutes sans que la dissolution ne soit
suivie d’une liquidation. Il envisage deux situations qu’il convient ici de
reproduire.
339-1. Tout d’abord, il est possible que les associations ne
possèdent plus, au moment de leur dissolution, aucun contrat en cours avec des
tiers et ni aucun créancier[207].
339-2. Il est aussi possible de rencontrer des associations
dans lesquelles il existe bien des éléments à liquider mais dont la liquidation
peut s’effectuer très rapidement au cours de la seule assemblée qui arrête la
décision de dissolution. Cette assemblée générale peut alors, tout en
dissolvant l’association, décider de transmettre, par le biais d’une fusion,
l’ensemble des éléments actifs et passifs de son patrimoine à un bénéficiaire
déterminé.
340. Dans ces hypothèses, l’ouverture d’une liquidation
s’avèrerait inutile[208]. Pour autant, la survie de la
personnalité morale pour les besoins de liquidation reste bien une nécessité.
B – La nécessité de l’application de
la règle aux associations
341. La survie de la personnalité morale pour les besoins
de la liquidation reste bien une nécessité pour les associations malgré les
obstacles sus envisagés. En effet, en reconnaissant aux sociétaires une liberté
d’organisation de la liquidation, le législateur n’a pas entendu supprimer le
principe même de l’existence d’une phase de liquidation. La règle s’impose donc
toutes les fois qu’il est nécessaire de liquider (1), mais aussi de garantir
les intérêts des différents protagonistes à la liquidation (2).
1°) La nécessité de liquider
342. L’association étant une personne morale, sa
personnalité juridique ne saurait disparaître dès la décision de liquidation.
Il est très peu probable en effet que les sociétaires aient la certitude, au
moment de la dissolution, que la liquidation est inutile du fait de l’absence
de tout élément à liquider[209]. La liquidation est donc nécessaire
pour s’assurer de l’absence de tout contrat en cours et créancier, mais aussi
de fraude[210].
343. Mais la liquidation reste également une nécessité
pour une raison technique : l’indivision serait en effet d’une rigidité
excessive dans la mesure où elle requiert l’unanimité[211].
344. L’application de la règle de la survie est surtout
une nécessité pour les différents protagonistes dont les intérêts peuvent être
garantis.
2°) La nécessité de garantir les
intérêts des différents protagonistes
345. Qu’il s’agisse des sociétaires, des créanciers ou de
l’entreprise, la liquidation met en jeu différents intérêts[212].
345-1. D’abord, les sociétaires seraient contraints de se
retrouver en indivision. Ce qui pour une raison technique est assez rigide,
pour procéder à la dévolution des biens. Quant aux créanciers, ils perdraient
avec la disparition de la personnalité morale au jour de la dissolution, leur
« droit de gage exclusif sur les biens de la personne
morale[213] ». Enfin, l’entreprise
associative étant aujourd’hui une réalité, il est nécessaire d’ouvrir une
période de liquidation afin d’éviter « un arrêt, ou même un
fâcheux ralentissement de la vie économique et sociale de l’entreprise […] [214]».
345-2. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire
d’appliquer la règle de la survie de la personnalité morale aux associations.
Et la jurisprudence l’a justement compris.
§ 2) L’application de la règle aux
associations
346. Il est de jurisprudence constante que la personnalité
morale de l’association dissoute subsiste pour les besoins de la liquidation[215]. L’association dissoute continue
d’être une personne morale distincte des personnes physiques qui la composent[216]. Toutefois, sa personnalité
juridique est limitée quant aux actes (A) et dans le temps (B).
A – La limitation de la personnalité
juridique quant aux actes
347. La personnalité juridique des associations dissoutes
subsiste donc pour les besoins de leur liquidation. Dès lors, l’association
n’aura de personnalité juridique, et donc de capacité juridique, qu’autant que
les actes qu’elle passera seront nécessaires à la liquidation[217]. Ces actes peuvent être antérieurs
(1) ou postérieurs à la liquidation (2).
1°) Les actes antérieurs
348. L’association survit pour l’exécution de tous les
contrats qu’elle a passés antérieurement à sa dissolution[218].
Il en va ainsi notamment pour les contrats de travail
avec ses salariés, pour les baux conclus avec les propriétaires des immeubles
où elle exerce son activité, pour les marchés avec des fournisseurs ou des clients.
349. Elle peut aussi conclure des actes postérieurement à
sa dissolution.
2°) Les actes postérieurs
350. L’application de la règle de la survie signifie
également que l’association dissoute pourra aussi accomplir tous les actes
nécessaires ou utiles à sa liquidation. Elle peut ainsi vendre ses biens. En
revanche, une association dissoute ne peut faire des opérations qui seraient en
contradiction avec le but de la liquidation. Elle ne pourra donc plus ni
acquérir de nouveaux biens, ni encaisser de nouvelles cotisations[219].
351. L’application de la règle de la survie entraîne une
limitation de la personnalité juridique de l’association quant aux actes.
Désormais, elle ne pourra qu’effectuer des actes nécessaires à la liquidation.
C’est ainsi qu’elle peut ester en justice[220].
352. Mais l’application de la règle va également limiter
la personnalité juridique de l’association dans le temps.
B – La limitation de la personnalité
juridique dans le temps
353. L’étude qui va suivre pose la question du terme de la
survie de la personnalité juridique de l’association dissoute.
354. En droit des sociétés, la clôture des opérations de
liquidation marque la fin de la période de liquidation[221].
355. Aucune disposition n’étant prévue dans la loi de
1901, les juges ont décidé « qu’une association
perd son existence juridique à partir de sa liquidation et de la dévolution de
ses biens[222]». La dévolution des biens marque
donc la fin de la personnalité juridique de l’association (1). Mais, celle-ci
peut renaître même après la dévolution des biens (2).
1°) La fin de la personnalité
juridique avec la dévolution des biens
356. La fin des opérations de liquidation, marque donc la
fin de la personnalité juridique. Mais un problème s’est posé de façon
récurrente aux juges : A partir de quel moment doit-on considérer que les
opérations de liquidation sont terminées ?
357. La jurisprudence semble s’accorder sur le principe du
parallélisme des formes qui supposerait que la personnalité juridique
disparaisse avec la publication de la dissolution au Journal officiel[223]. Mais en pratique, une telle
analyse est limitée quand on voit la grande désaffection de cette formalité par
les associations[224].
358. Que décider alors lorsqu’il n’y a pas eu
publication ? La jurisprudence a considéré que la dévolution des biens
marquait la fin de la personnalité juridique[225].
359. Mais il semble que la personnalité juridique de
l’association puisse renaître après la dévolution.
2°) La renaissance de la
personnalité juridique après dévolution des biens
360. La jurisprudence[226] a admis qu’un liquidateur dont la
mission était terminée, pouvait exercer au nom de l’association, après dévolution
de ses biens, une action en révocation de ladite dévolution. La doctrine en
examinant cet arrêt considère d’une part que la personnalité juridique ne
disparaît pas avec la dévolution et d’autre part qu’ayant disparu, elle peut
renaître pour les besoins de l’action en justice.
361. Il convient de s’attacher à la seconde analyse[227]. En effet considérer que la personnalité
morale survive à la dévolution c’est affirmer qu’elle n’a pas de fin. Mais c’est également affirmer qu’elle existe par elle-même et pour
elle-même. Or la personnalité morale existe par la personne morale,
et peut subsister après dissolution de celle-ci pour les besoins de la
liquidation uniquement. Dès lors, on ne saurait imaginer qu’elle puisse
subsister à la dévolution puisqu’alors il n’y a plus de personne morale, ni
d’intérêt à ce qu’elle existe.
362. La personnalité juridique disparaît avec la dévolution
mais peut renaître pour les besoins d’une action en justice nécessaire à la
liquidation (en l’espèce, la validité de la dévolution était contestée, il
était donc normal que l’association ayant récupéré ses biens procède à une
nouvelle dévolution).
363. Cette solution permet d’établir le parallèle avec les
développements qu’il y a eu en droit des sociétés sur la durée de la
personnalité morale[228].
364. Finalement, la personnalité juridique est-elle un
phoenix qui renaît toujours de ses cendres ? L’arrêt du 11 décembre 1973
permet de répondre par l’affirmative. La personnalité juridique renaîtra autant
de fois que la dévolution fera l’objet d’une contestation.
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