mercredi 30 mai 2018

L’APPLICATION DU DROIT DES SOCIETES AUX ASSOCIATIONS CHAPITRE 2








Chapitre 2 : L’association, acte d’organisation

91. La notion d’organisation est souvent remplacée par celle de groupement par les juristes. Au demeurant, il s’agit in concreto de la même réalité.
92. Comme le relève Paul Didier[76], il n’est pas aisé de définir la notion d’organisation mais « il n’est pas superflu cependant d’esquisser les deux ou trois idées que ce mot tente de réunir ou résumer. La première est l’idée d’une tâche à réaliser, d’une chose à faire […] Le mot organisation évoque aussi l’idée d’une division de l’activité envisagée […] Enfin, le mot organisation implique que ces sous-ensembles de l’activité mère soient répartis, selon le cas, entre plusieurs moments, lieux ou personnes ».
93. L’association comme la société rendent bien compte de cette réalité dans la mesure où dans l’un comme dans l’autre il y a bien une tâche à réaliser (mise en commun de connaissances, ou d’apports) ; une division de l’activité envisagée (objet social se divisant en activités principales et accessoires) ; une répartition des tâches entre plusieurs moments (durée, exercices), lieux (siège social, filiales, succursales) ou personnes (membres, organes).
94. Dès lors, il n’est pas étonnant que les juges, prenant acte de ce phénomène, aient tout simplement appliqué à des associations, les règles prévues pour les sociétés lorsque cela était nécessaire. Ces règles concernent tantôt l’organisation du pouvoir (Section 1) tantôt la possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation (Section 2).

Section 1 : L’organisation du pouvoir
95. Si la création d’une organisation est bien la caractéristique du contrat d’association, il appartient aussi à ce dernier de prévoir l’exercice ou la répartition du pouvoir au sein de cette organisation. Le pouvoir est donc la conséquence de l’animus[77] qui caractérise tout contrat-organisation.
96. Sans rentrer dans l’étude de la notion de pouvoir, il revêt deux acceptions : Il peut s’agir d’une « maîtrise de fait, force, puissance[78] » ou tout simplement d’une « prérogative juridique[79] ». C’est la deuxième acception qu’il convient de retenir dans le cadre de ce travail[80].
97. Alors qu’en droit des sociétés, les pouvoirs des dirigeants sont légalement définis[81], rien de tel n’est prévu dans la loi de 1901. Dès lors, en raison de la liberté d’association, les parties déterminent librement l’exercice du pouvoir au sein de l’organisation associative. C’est ainsi qu’elles déterminent leurs instances sociales[82], mais aussi la répartition du pouvoir au sein de ces instances[83]. Cela conduit inexorablement à complexer les tiers qui contractent avec l’association[84].
98. Mais la liberté statutaire n’interdit pas de recourir aux juges notamment en cas de conflits. Ces derniers, une fois saisis, n’ont point hésité à recourir au droit des sociétés, soit pour renforcer les pouvoirs des dirigeants (§1), soit pour organiser la révocation des dirigeants (§2).
§ 1) Le renforcement des pouvoirs des dirigeants
99. Le renforcement des pouvoirs ne concerne pas tous les dirigeants d’associations. Certes, la jurisprudence affirme depuis longtemps la souveraineté de l’assemblée générale même si cela devait aboutir à limiter de façon drastique les pouvoirs et la liberté d’initiative du président[85].
Aujourd’hui, c’est au président d’association que la jurisprudence de la Cour de cassation vient d’accorder tous les honneurs, ce qui va certainement ravir les praticiens[86].
100. Ce renforcement se traduit par une extension des pouvoirs du président (A), qu’il convient d’évaluer (B) afin d’en tirer les conséquences.
A – L’extension des pouvoirs du président d’association
101. L’examen de la jurisprudence permet de se rendre compte de l’alignement des pouvoirs propres du président d’association sur ceux du directeur général de la S.A. qui a été réalisé. Cette extension concerne aussi bien les pouvoirs internes du président (1) que ses pouvoirs externes (2).
1°) Les pouvoirs internes du président
102. Au plan interne, l’extension des pouvoirs a été réalisée par la reconnaissance du pouvoir de prendre des mesures conservatoires.
103. En effet, dans un arrêt du 3 mai 2006[87], la Cour de cassation a rendu la décision suivante :
« Mais attendu que dans le silence des textes et des statuts relatifs au fonctionnement d’une association, il entre dans les attributions de son président de prendre, au nom et dans l’intérêt de celle-ci, à titre conservatoire et dans l’attente d’une décision du conseil d’administration statutairement habilité ou de l’assemblée générale, les mesures urgentes que requièrent les circonstances ; qu’en effet les dispositions du Code civil, et à défaut du Code de commerce, régissant les sociétés présentent une vocation subsidiaire d’application ; qu’en se référant à de telles dispositions, en l’espèce celles de l’alinéa 1er de l’article L 225-56 du Code de commerce, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision »
104. En l’espèce, M. Kamara, président d’association reprochant à son secrétaire général et à certains membres de n’avoir pas respecté ses décisions et d’avoir gravement entravé le fonctionnement du groupement, les a suspendus de leurs délégations de signature comptable ou de leur appartenance au bureau du conseil d’administration.
105. En statuant comme elle l’a fait, la Cour a incontestablement étendu les pouvoirs du président d’association. En effet, en l’absence de stipulations particulières dans les statuts de l’association, le président est présumé avoir les pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances dans l’intérêt de l’association. C’est ainsi qu’il peut prendre à titre conservatoire les mesures qu’impose la situation.
106. Il s’agit d’un alignement des pouvoirs du président d’association sur ceux du directeur général de S.A. En effet, au sens de l’art. L 225-56, I du C. com.  « Le directeur général est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société ». Désormais, avec cette décision, il semble que le président d’association dispose de pouvoirs similaires.
107. Cependant les juges vont beaucoup plus loin dans cette « extension-alignement »[88], en reconnaissant au président le pouvoir de licencier un salarié, ce qui relève de ses pouvoirs externes.
2°) Les pouvoirs externes du président
108. En reconnaissant au président le pouvoir de licencier un salarié, les juges ont étendu ses pouvoirs externes.
109. Ainsi, dans un arrêt du 25 novembre 2003[89], la Cour de cassation a décidé, par un attendu qu’il convient de rappeler, qu’un président d’association avait le pouvoir de licencier un salarié :
« Dès lors qu’il est établi que les statuts de l’association prévoyaient que le président en est le représentant légal auprès des tiers pour tous les actes de la vie sociale, celui-ci est habilité à mettre en œuvre une procédure de licenciement à l’égard d’un salarié, à défaut d’une disposition spécifique des statuts attribuant cette compétence à un autre organe ».
110. Cet arrêt reprend une idée qui avait déjà été exprimée par les juges du fond[90]. Toutefois, en statuant ainsi, les juges suprêmes reconnaissent au président d’association les mêmes pouvoirs que ceux du directeur général. En effet, c’est non seulement en sa qualité de chef d’entreprise[91] mais aussi en sa qualité de représentant légal que ce dernier s’est vu octroyer par la Loi, le pouvoir de licencier un salarié.
111. Le pouvoir de licencier, ici octroyé au président d’association, pose plus largement la question de la représentation de l’association. Le président d’association serait-il devenu par une « extension-alignement » un directeur général de S.A. et par la même occasion un représentant légal ? Si oui l’ « extension-alignement » s’est-elle transformée par un subterfuge encore inconnu en « extension-assimilation [92] »?
112. Pour y répondre, il est nécessaire d’apprécier cette transposition des pouvoirs.
B – L’appréciation de la transposition des pouvoirs
113. Dérivant du latin pretium (prix), le verbe apprécier signifie « déterminer la valeur ou l’importance de[93] » quelque chose ou quelqu’un.
Apprécier la transposition des pouvoirs reviendra donc à l’évaluer. Pour ce faire, la balance sera faite entre ses mérites (1) et ses limites (2).
1°) Les mérites de la transposition
114. La transposition opérée a pour mérites de sécuriser les tiers et de respecter la spécificité du groupement associatif.
115. La situation des tiers qui contractent avec une association est particulièrement délicate[94]. Face à la diversité des modèles statutaires[95], les tiers sont tenus de vérifier la qualité de représentant du dirigeant d’association avec lequel ils contractent. Faute d’une telle vérification, les restrictions et répartitions statutaires du pouvoir lui sont opposables[96]. On le voit, les tiers sont véritablement en disgrâce, faute pour la loi de 1901 d’avoir désigné le représentant de l’association. Mais en reconnaissant au président d’association le pouvoir de licencier un salarié parce que les statuts lui conféraient la qualité de représentant légal, la Cour de cassation a lancé aux tiers une bouée de sauvetage. Bien plus, en se fondant sur l’art. 1134 du C. civ. pour conférer aux statuts leur juste force, les juges n’ont pas dénaturé l’association.
116. Dans les deux arrêts sus cités les juges ont pris le soin de ne point dénaturer l’association en respectant les grands principes du droit associatif.
Le premier est celui de la liberté statutaire. Les juges ont reconnu la qualité de représentant légal à un président d’association parce que les statuts le prévoyaient expressément[97]. C’est donc en interprétant les statuts, que les juges ont reconnu le pouvoir de licencier un salarié. Quid alors d’un silence total des statuts ?
En cas de silence des statuts, les juges recourent au droit des sociétés, qui a une vocation subsidiaire d’application[98]. Même si cette vocation est critiquable elle n’en demeure pas moins utile : elle permet d’éviter un vide juridique[99]. C’est en raisonnant ainsi que les juges ont transposé l’art. L 255-56 du C. com.
Le second principe est celui de la souveraineté de l’assemblée générale[100]. Les juges ne s’en sont pas démarqués. En effet, si le président d’association dispose des pouvoirs les plus étendus pour prendre, dans l’intérêt de l’association, les mesures urgentes que requièrent les circonstances, il ne s’agit que de mesures conservatoires dans l’attente d’une décision du conseil d’administration et de l’assemblée générale.
117. Cette transposition a bien des mérites, toutefois, elle doit être relativisée car elle réalise une assimilation délicate entre les pouvoirs du directeur général de S.A. et le président d’association.
2°) Les limites de la transposition
118. Alors que le directeur général de S.A. est un représentant légal qui tire ses pouvoirs de la Loi, le président d’association est bien un mandataire. Même s’il a parfois été avancé la thèse selon laquelle le président d’association serait un représentant légal, soit pour justifier la responsabilité de l’association du fait de ses dirigeants[101], soit pour empêcher la révocation « ad nutum »[102] elle n’est pas fondée[103].
119. Toutefois, la transposition de l’art. L 255-56 conçu pour un représentant légal et son application au président d’association mandataire conventionnel laisse planer des doutes quant à l’avenir de cette décision.
120. En effet, cette confusion de qualité pourrait emporter des conséquences pratiques qu’il convient d’observer. Les qualités de mandataire et de représentant légal ne produisent pas les mêmes effets.
A l’égard de l’association, en tant que mandataire conventionnel, le président d’association n’engage celle-ci que dans les limites de son mandat. Il ne peut la représenter en justice que sur habilitation spéciale. La situation n’est pas la même pour le directeur général, qui représente la société à l’égard des tiers, signe les contrats au nom de celle-ci, passe les commandes, assure les biens sociaux, agit en justice…[104]
A l’égard des tiers, alors que les limitations statutaires des pouvoirs du directeur général sont inopposables aux tiers même de mauvaise foi[105], il n’en est pas de même dans les associations. Contractant avec un mandataire, les tiers sont tenus de vérifier au moins le principe de ses pouvoirs[106], ce qui revient au final à en vérifier l’étendue. En l’absence d’une telle vérification, les limitations statutaires lui seront opposables sauf démonstration de la théorie du mandat apparent[107].
121. La distinction des qualités de mandataire et de représentant légal est particulièrement importante dans la mesure où elle pose des problèmes pratiques. Le président d’association doit être considéré comme un mandataire conventionnel avec toutes les conséquences que cela implique. Son assimilation à un représentant légal quant à elle, ne devrait être justifiée que par les statuts. La vocation subsidiaire du droit des sociétés, même si elle est utile, ne doit pas dénaturer l’association. Et c’est là le mérite des arrêts sus étudiés.
122. Mais, la jurisprudence organise aussi de manière cohérente le pouvoir au travers de la révocation des dirigeants.
§ 2) La révocation des dirigeants
123. La jurisprudence[108] et une grande partie de la doctrine[109] considèrent que les dirigeants d’association sont des mandataires. Dès lors, par application des dispositions du Code civil, le mandat prend fin par « la révocation du mandataire » (art. 2003) et « le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble » (art. 2004). Cela signifie que le mandat est révocable « ad nutum », sans préavis, motifs et indemnités. Cette situation fait penser à celle de certains dirigeants de sociétés[110]. Mais il semble que le parallèle doive s’arrêter là, puisque les fondements des pouvoirs ne sont pas les mêmes[111].
124. En tant que mandataires, la révocation des dirigeants d’associations doit-elle survenir au cours d’une réunion de l’assemblée générale alors qu’elle n’était pas inscrite à l’ordre du jour ?
125. En transposant le principe de l’incident de séance aux associations, la jurisprudence semble y répondre de façon positive. Cette prise en compte de l’incident de séance (A), si elle est justifiée, doit cependant être relativisée (B).
A – La prise en compte de l’incident de séance
126. Le principe de l’incident de séance est prévu à l’art. L 225-105 du Code de commerce qui dispose que : « L’assemblée ne peut délibérer sur une question qui n’est pas inscrite à l’ordre du jour. Néanmoins, elle peut en toutes circonstances, révoquer un ou plusieurs administrateurs ou membres du conseil de surveillance et procéder à leur remplacement ». La loi de 1901 n’ayant pas envisagé cette situation, les juges ont transposé par trois arrêts[112] ces dispositions à des associations.
127. En statuant ainsi, les juges semblent faire de l’incident de séance un principe de droit commun des groupements (2) qu’ils soumettent cependant à certaines conditions (1).
1°) Les conditions de l’incident de séance
128. Bien que le débat ne relève que de la théorie[113], il semble que la jurisprudence n’admette pas aussi facilement, en droit des associations, l’incident de séance. Il convient peut-être de rappeler qu’en droit des sociétés, on l’admet « en toutes circonstances[114] ». En revanche, s’agissant des associations, l’examen de la jurisprudence le soumet à certaines exigences. Peu importe toutefois la nature de l’assemblée générale au cours de laquelle il est apparu[115].
C’est ainsi que dans l’arrêt de 1970[116], elle exige pour admettre la révocation sur incident de séance « des révélations inattendues d’une telle gravité qu’il était impossible aux membres de l’association de conserver leur confiance au comité de direction » ; dans l’arrêt du TGI de 1987[117] les juges admirent des incidents ayant conduit à « une situation irrémédiable ».
129. En revanche, dans l’arrêt de 1994[118], les juges se sont tout simplement bornés à transposer l’art. 160 de la loi de 1966 (art. L 225-105 du Code de commerce) sans aucune exigence particulière. Et en cela, ils l’affirment comme un principe commun des groupements.
2°) L’incident de séance : principe commun des groupements
130. Considérer l’incident de séance comme un principe commun de tous les groupements revient à reconnaître l’existence de paralysie au sein de ceux-ci et la nécessité d’y remédier. En effet, dans un groupement de personnes, la révocation sur incident de séance permet d’éviter le maintien d’un dirigeant indésirable pour des raisons formelles. Même si l’exigence de formalité (en l’occurrence que l’assemblée générale ne délibère que sur les points inscrits à l’ordre du jour) permet de lutter contre les révocations abusives, elle ne saurait empêcher la révocation d’un dirigeant qui peut toujours résulter d’un incident de séance.
131. Toutefois, si le maintien de ce principe a pu être discuté[119] c’est davantage sa réelle utilité pour les associations qu’il convient d’examiner au travers de la relativité de cette prise en compte.
B – La relativité de cette prise en compte
132. La prise en compte de l’incident de séance en droit des associations revêt une portée relative car elle nous semble inutile (2) dans la mesure où elle n’est qu’une modalité de la révocation ad nutum des dirigeants d’associations (1).
1°) L’incident de séance : Une modalité de révocation ad nutum
133. Les dirigeants d’association, cela a déjà été évoqué, sont révocables ad nutum[120]. Ce n’est qu’une simple application de l’art. 2004 du C. civ.[121]
Par conséquent, n’est-il pas normal que leur révocation puisse résulter d’une décision de l’assemblée alors même qu’elle n’était pas inscrite à l’ordre du jour ? Et finalement « l’incident de séance » ne serait-il pas exigé qu’aux fins de lutter contre l’arbitraire dans les révocations ?
Il semble évident de répondre par l’affirmative. En effet, si le mandant peut révoquer sa procuration « quand bon lui semble », il ne faudrait pas qu’il en abuse. C’est pourquoi, la révocation doit être au moins inscrite à l’ordre du jour. Et si l’on y déroge, il faut au moins que cela soit justifié par des incidents de séance.
 Dès lors, il convient peut-être de parler de révocation ad nutum sur incident de séance[122] en droit associatif.
134. En cela, le recours au droit des sociétés, dans ce cas, semble inutile.
2°) L’inutilité de la transposition
135. Comme l’a si bien démontré un auteur[123], le recours au principe de l’incident de séance via l’art. L 225-105 pour justifier la révocation d’un dirigeant d’association est inutile. Dans la mesure où il est révocable ad nutum, plutôt que le droit des sociétés commerciales, le juge n’aurait-il pas pu invoquer la théorie du mandat, beaucoup plus générale ? [124]. Ce qui aurait conduit à admettre la révocation ad nutum du dirigeant d’association sans avoir à en justifier les motifs, quitte à l’indemniser si cette révocation s’avère a posteriori injustifiée et lui a causé un préjudice moral[125].
136. Même si la transposition de la théorie des incidents de séances semble inutile pour justifier la révocation des dirigeants d’associations, elle constitue néanmoins un moyen par lequel les juges participent a posteriori à l’organisation du pouvoir.
137. Mais beaucoup plus que l’organisation du pouvoir, les juges reconnaissent également la possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation.

Section 2 : La possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation
138. La jurisprudence reconnaît également, la possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation. On l’a déjà démontré, les statuts organisent librement la répartition des pouvoirs au sein d’organes. Il peut s’agir du président mais aussi de l’assemblée générale par laquelle est assurée l’expression collective.
139. Les décisions des assemblées sont alors des actes juridiques collectifs[126] en ce qu’ils engagent même ceux qui n’y ont pas consenti. C’est ce qui justifie la règle de la majorité dans tout contrat-organisation.
Au nom de cette règle, les décisions prises par l’assemblée engagent même les membres qui ne les ont pas votées. Certes il existe des exceptions à ce quorum, notamment, lorsque des décisions viennent augmenter les engagements des membres, la règle devient alors l’unanimité.
140. Mais la vérité de Montesquieu[127] rattrape souvent trop vite les sociétaires. En effet, les abus font souvent leur apparition dans un monde où on ne les attendait pas. Que peuvent donc faire les sociétaires, si ce n’est recourir aux juges ?
Ces derniers une fois saisis n’ont pas hésité à appliquer un mécanisme classique du droit des contrats : L’abus de droit (§1) qu’ils assortissent de sanctions (§2)
§ 1) L’abus de droit
141. L’abus de droit est une notion civiliste reçue du droit romain. D’abord élaborée en droit de la propriété, elle s’est progressivement étendue à toutes les branches du droit. Après de longues querelles doctrinales, un auteur[128] a su se distinguer en démontrant l’existence de l’abus dans la conscience juridique. Il va ainsi distinguer quatre critères possibles de l’abus : L’intention de nuire (critère intentionnel), la faute dans l’exécution (critère technique), le défaut d’intérêt légitime (critère économique) et le fait de détourner le droit de sa fonction sociale (critère social ou finaliste)[129].
142. Le droit des sociétés n’a pas échappé à l’abus de droit : les abus de majorité, de minorité et d’égalité, les abus de la personne morale…sont autant de manifestations de l’abus en droit des sociétés. D’ailleurs, Josserand n’écrivait-il pas « La vie des sociétés, donne matière, elle aussi, à l’application de la théorie de l’abus […][130] » ?
143. En droit des associations, dans le silence de la loi de 1901, les juges ont reconnu à un sociétaire la possibilité d’invoquer l’abus de majorité (A). Cela amène à réfléchir pour l’avenir aux autres abus du droit de vote (B).
A – L’abus de majorité
144. Comme en droit des sociétés, l’abus de majorité en droit des associations est le fruit de la jurisprudence[131]. La spécificité de l’association va-t-elle exiger une application particulière de cet abus ?
145. Pour y répondre, il convient de présenter les éléments constitutifs de cet abus en droit associatif (1) puis d’envisager l’éventualité de son établissement en tant que principe commun des groupements (2).
1°) Les éléments constitutifs
146. En droit des sociétés, « l’abus de majorité implique la réunion de deux éléments : La violation de l’intérêt social et la rupture d’égalité entre les associés[132] […] ». Il ne s’agit pas « […] d’un contrôle d’opportunité mais d’un contrôle de légalité car il s’agit de rechercher si la décision inopportune est destinée à rompre l’égalité entre associés, c'est-à-dire la communauté d’intérêts qui doit exister entre eux en application de l’art. 1833 du Code civil [133]».
147. En droit des associations, il n’existe pas d’art. 1833 du C. civ. et pourtant l’abus de majorité y a trouvé son application. En l’espèce, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu que la résolution prise dans l’unique dessein de favoriser des membres majoritaires d’une association porte atteinte à l’intérêt collectif de sorte qu’elle pourrait être annulée pour abus de majorité. Pour retenir une telle solution, la Cour d’appel a pris le soin de souligner que les statuts de l’association lui assignaient le but « de travailler à la défense des intérêts communs à ses membres », ce que les juges suprêmes ne manquent pas de relever.
148. Partant de là, on aurait donc trois éléments constitutifs de l’abus de majorité en droit des associations : La violation de l’intérêt social (entendu comme intérêt commun des associés/sociétaires) ; la rupture d’égalité et la mention expresse dans les statuts de l’intérêt commun.
149. En effet, la Cour aurait-elle statué pareillement si les statuts n’avaient pas rendu comme en l’espèce un « hommage à l’intérêt commun[134]» ? La réponse à cette question amène à envisager l’éventualité d’un principe commun.
2°) L’éventualité d’un principe commun
150. Une lecture furtive de l’arrêt du 4 avril 2006 pourrait signer la mort de la possibilité d’établissement de l’abus de majorité en tant que principe commun des groupements. On pourrait penser, s’agissant des associations qu’il faut une mention expresse des statuts faisant référence à l’intérêt commun. Une mention qui serait en fait le fondement de l’abus semblable à l’art. 1833 du C. civ. pour les sociétés. Ce qui reviendrait au final à dire que faute d’une référence statutaire ou légale à l’intérêt commun, l’abus de majorité ne saurait être appliqué à un groupement.
151. Une telle analyse paraît trop simpliste pour plusieurs raisons.
L’abus de majorité a été appliqué aux sociétés bien avant la rédaction de l’art. 1833 du C. civ. Il ne s’agit ni plus ni moins d’une transposition de la notion civiliste de l’abus de droit avec certains nuances. Dans son ouvrage, Josserand[135] écrivait déjà que la vie des sociétés « doit s’orienter et se poursuivre socialement, en conformité du statut et du jus fraternitatis, de l’affectio societatis, sinon, les manifestations en seront abusives […] ».
Or dans tout groupement de personnes, tel l’association ou la société ne retrouve-t-on pas cette volonté commune, cet affectio? Tout groupement n’est-il pas constitué dans l’intérêt commun de ses membres, peu importe que les statuts le précisent ou non? N’est ce pas la particularité de tout contrat-organisation ?
152. Il semble qu’on ne puisse que répondre par l’affirmative à toutes ces interrogations. Dès lors, la construction de l’abus de majorité pourrait tout à fait trouver à s’appliquer dans tout groupement de personnes, dès lors qu’une décision favorable aux majoritaires est prise dans l’unique dessein de porter atteinte aux minoritaires. Une telle décision rompt l’égalité entre associés et est contraire à leur intérêt commun.
153. L’abus de majorité peut donc être considéré comme un principe commun à tous les groupements de personnes[136]. Cela conduit à examiner le cas des autres abus du droit de vote.
B – Les autres abus du droit de vote
154. Par autres « abus du droit de vote[137] » il convient d’envisager l’abus de minorité et sa variante, l’abus d’égalité[138]. S’ils ont trouvé application en droit des sociétés, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur ces questions en droit des associations. D’ailleurs devrait-elle le faire ? La transposition de l’abus de majorité implique-t-elle pour l’avenir celle des autres abus du droit de vote ?
155. S’il existe des obstacles à leur transposition (1), il reste encore des raisons d’espérer (2)
1°) Les obstacles à la transposition
156. Au plan politique, les nombreuses atteintes à la démocratie dans les associations permettent –elles d’envisager une « tyrannie des faibles[139] » ?
157. En effet, les nombreux obstacles au droit de vote en droit des associations ne permettent peut-être pas d’envisager que des minoritaires puissent constituer un « blocage » suffisant à empêcher la prise d’une décision importante.
158. D’après M. Guyon[140], contrairement à ce qu’on pense, les associations sont en réalité des gouvernements très autocratiques. La loi de 1901 ne reconnaît en réalité aucun droit aux membres de l’association susceptible de garantir le fonctionnement démocratique de la collectivité.
158-1. A l’image de M. Guyon, on pourrait signaler qu’une démocratie suppose que les citoyens soient bien informés, qu’ils puissent choisir leurs représentants, participer aux décisions collectives et qu’enfin les citoyens les plus défavorisés soient protégés.
158-2. Alors qu’en droit des sociétés le droit à l’information est un attribut essentiel de l’associé, il n’est pas prévu par la loi de 1901. En droit des associations, la communication par avance des rapports (financier et moral) aux sociétaires n’est pas exigée. Très souvent ceux-ci découvrent en séance des documents d’interprétation complexes. Par ailleurs, la présence de commissaires aux comptes n’est pas exigée par la loi de 1901.
158-3. S’agissant du droit de vote, les sociétaires n’ont pas toujours le droit de participer aux assemblées et d’y voter. La liberté statutaire permet une hiérarchisation des membres aux statuts et droits de votes différents (droit de proposition, droit de veto, droit de vote plural…).
158-4. Enfin, outre le droit de retrait lorsque l’association est constituée sans limitation de durée (art. 4 de la loi de 1901), aucune mesure de protection des sociétaires minoritaires n’est prévue en droit des associations. Comme le précise le Professeur Guyon : « sauf stipulation contraire des statuts, les sociétaires ne peuvent ni provoquer la réunion d’une AG ni demander l’inscription d’une question à l’ordre du jour. Ils ne peuvent pas non plus demander une expertise de gestion […] Enfin en cas de faute des dirigeants, la jurisprudence[141] ne leur reconnaît pas  le droit d’exercer l’action sociale ut singuli [142]»
159. Au plan technique, l’abus de minorité n’est retenu en droit des sociétés que dans des hypothèses strictes. Il s’agit pour la plupart du temps des décisions relatives au capital social[143]. Or l’association, n’a pas de capital social car elle n’a pas vocation à réaliser des bénéfices.
160. Malgré ces obstacles, il subsiste tout de même des raisons d’espérer.
2°) Les raisons d’espérer
161. L’abus de minorité reste une hypothèse difficilement vérifiable en droit des associations. Il n’en est pas de même de l’abus d’égalité.
162. En effet, on pourrait tout à fait imaginer le schéma suivant : Une association composée de deux membres disposant d’un droit de vote s’exerçant à travers la règle de l’unanimité. Un sociétaire pourrait alors utiliser son droit de veto de manière abusive c'est-à-dire dans l’unique dessein d’empêcher une décision nécessaire au fonctionnement de l’association. Il y’aurait alors atteinte à l’intérêt commun.
163. Toutefois, même si l’abus d’égalité pourrait trouver à s’appliquer il ne sera pas d’un grand intérêt. En effet, les sociétaires pourront toujours, dans ce cas, demander en justice la dissolution pour mésintelligence[144].
Reste maintenant à envisager les sanctions de l’abus.
§ 2) Les sanctions de l’abus
164. Selon Josserand, les manifestations abusives du droit des sociétés « détermineront les sanctions habituelles : condamnation à des dommages-intérêts, nullité[145] ».
165. Les fondements de ces actions sont différents[146], et la jurisprudence commerciale n’hésite pas appliquer l’un ou l’autre selon les cas.
166. En droit des associations, le seul arrêt connu à ce jour a fait la part belle à la nullité. C’est pour cette raison qu’elle sera, seule envisagée dans cette étude. Pour ce faire seront successivement étudiés le régime de l’action en nullité (A) puis ses effets (B).
A – Le régime de l’action en nullité
167. Seront successivement étudiées la qualité pour agir (1) et la prescription de l’action (2).
1°) La qualité pour agir
168. En droit des sociétés, la qualité pour agir est sujette à de nombreux obstacles[147] tenant à la question de la détermination des personnes susceptibles d’invoquer la nullité d’une décision sociale.
169. Il n’en est pas de même en droit des associations où tout membre, qui estime qu’une assemblée générale a été irrégulière, a le droit de se pourvoir en justice devant le TGI[148] pour faire annuler les décisions prises[149]. Toutefois, il n’a pas le droit de convoquer une nouvelle assemblée générale avant que la justice n’ait annulé l’assemblée antérieure.
170. N’ont donc pas qualité pour agir[150] le membre exclu, à moins que son exclusion soit irrégulière[151], et a fortiori la personne qui n’est pas membre de l’association[152].
171. Dès lors, doit être examinée la question de la prescription de l’action en nullité.
2°) La prescription de l’action
172. Le délai de prescription est celui des nullités relatives prévu à l’article 1304 du Code civil et fixé à 5 ans à compter du jour où la nullité est encourue (à compter de la date de réunion des assemblées). L’expiration du délai de prescription de cet article rend les délibérations définitives[153].
173. Néanmoins, une fois le délai de prescription expiré, il reste possible d’invoquer l’exception de nullité qui, elle, est perpétuelle.
174. Le régime de l’action en nullité en droit des associations semble plus souple que celui du droit des sociétés, ce qui traduit une certaine opposition entre les deux groupements. Cette opposition se retrouve également au niveau des effets de la nullité.
B – Les effets de la nullité
175. L’opposition se manifeste par l’application du principe de rétroactivité des nullités en droit des associations. En effet, le prononcé de la nullité d’une délibération anéantit rétroactivement l’assemblée générale qui est censée n’avoir jamais eu lieu ; et les sociétaires doivent être remis dans la situation où ils étaient avant l’assemblée.
176. Mais dans un arrêt récent, la Cour de cassation[154] a considéré que l’annulation d’une délibération d’assemblée générale d’association n’avait pas d’effet rétroactif. Les juges suprêmes ont-ils voulu faire de la non-rétroactivité des nullités un principe commun des groupements ? Il convient de répondre par la négative car cette transposition est illogique (1) et isolée (2).
1°) L’illogisme de la transposition
177. Dans l’arrêt du 19 novembre 1991, la Cour de cassation affirme : « à défaut de stipulation législative, réglementaire ou statutaire contraire, l’annulation d’une délibération prise par l’assemblée générale d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ne peut avoir d’effet rétroactif ». En statuant ainsi les juges ont adopté une position de principe qui semble aligner le régime de la nullité en droit associatif sur celui du droit des sociétés, ce qui conduirait inexorablement à considérer l’article 1844-15 C.civ. comme principe du droit commun des groupements.
178. Pourtant, en droit des sociétés il existe bien une exception au principe posé par l’article 1844-15 C.civ. : la nullité d’une délibération sociale, contrairement à celle de la société, est rétroactive. C’est donc en exception à l’exception prévue en droit des sociétés que la Cour de cassation a rendu cette décision en droit des associations. Il serait donc illogique de penser qu’elle se fonde sur le principe du droit des sociétés.
179. D’ailleurs l’arrêt lui-même ne fait aucune référence au droit des sociétés et repose plutôt sur des arguments d’équité : « la vie associative qui existait avant les assemblées générales s’est poursuivie, … et les membres qui avaient adhéré au comité de soutien postérieurement à celles-ci et qui paient leur cotisations ne sauraient se voir écartés de la constitution du bureau au profit de personnes qui étaient membres du comité en 1984, et dont certaines ont pu, depuis lors, se désintéresser de l’association ».
180. Cette jurisprudence ne permet donc pas d’affirmer que la non-rétroactivité est devenu un principe commun du droit des groupements, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une décision isolée.
2°) L’isolement de la transposition
181. La Cour de cassation tient à conserver l’originalité du droit associatif. S’agissant particulièrement de la nullité, elle a décidé, dans un arrêt du 27 juin 2000[155], que : « la nullité de la délibération d’une assemblée générale d’association résulte du seul fait que cette assemblée n’a pas respecté les règles statutaires relatives aux modalités de vote ». En statuant ainsi, la Cour rejette la théorie dite du vote utile qui prévaut en droit des sociétés. La nullité d’une délibération irrégulière est indépendante de l’absence d’incidence de l’irrégularité. Le non-respect des dispositions statutaires suffit à obtenir l’annulation de la délibération prise par l’assemblée générale. La solution s’impose au sein des groupements contractuels[156].
182. Cet arrêt vient confirmer l’isolement de la décision du 19 novembre 1991.




Conclusion du Chapitre 2

183. Au final, l’association est bien un acte d’organisation. Les parties organisent librement la répartition des pouvoirs. Toutefois, en cas de conflits, et de carence des statuts, les juges n’hésitent pas à appliquer les règles du droit des sociétés. En le faisant, ils participent a posteriori à l’organisation du pouvoir et à l’organisation des moyens de contestation du pouvoir.

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