mercredi 30 mai 2018

L’APPLICATION DU DROIT DES SOCIETES AUX ASSOCIATIONS CONCLUSIONS TITRE 1








Conclusion du Titre 1

184. L’association est bien un acte juridique : son fonctionnement, comme sa disparition sont régis par l’acte juridique qui l’a créé. L’examen de la transposition jurisprudentielle, au regard de la théorie de l’acte juridique n’est pas vain. Elle permet de faire apparaître derrière la « mystique théorie institutionnelle [157]», que la société est bien comme l’association, un acte juridique. Dès lors, l’application du droit des sociétés aux associations permet de démontrer que les règles transposées sont en réalité des principes issus pour la plupart de la construction de l’acte juridique : L’intangibilité des engagements, la dissolution pour justes motifs, la révocabilité ad nutum des mandats, l’abus de majorité…
185. Toutefois l’association n’est pas qu’un acte juridique, elle peut devenir, comme la société une personne morale.



Titre II : L’application du droit des sociétés à l’association personne morale

186. L’association est licite dès sa constitution, en vertu du principe de liberté d’association[158]. Dès lors, l’association non déclarée, ou déclarée mais non publiée, dispose d’une capacité « de fait » qui lui est reconnue par la pratique ou la jurisprudence[159]. Toutefois, en dépit de cette reconnaissance, l’association non déclarée ne constitue qu’un groupement de fait, elle n’est pas véritablement une entité en droit[160]. A l’égard des tiers, les actes accomplis par cette association sont en principe nuls[161] ; de même elle ne peut assigner ni être assignée en justice[162].
187. Cette situation de l’association non déclarée, rappelle étrangement celle des sociétés non personnifiées[163]. En effet, nonobstant l’absence de personnalité juridique, elles existent par la force de l’acte juridique qui les crée. Certaines de ces sociétés sont occultes[164] car la société a vocation à acquérir la personnalité morale[165]. Au demeurant, ces sociétés existent dans leurs rapports internes, mais leurs actes sont inopposables aux tiers. Elles se retrouvent donc dans la même situation que l’association non déclarée : existence interne mais inopposabilité du groupement aux tiers.
188. L’attribution de la personnalité morale devient alors dans un cas comme dans l’autre une nécessité aux fins d’opposabilité du groupement aux tiers[166]. Désormais, la personne morale est représentée auprès des tiers par des dirigeants dont la responsabilité personnelle peut être engagée par ces derniers.
189. Il a été justement démontré que la personnification du groupement ne vient pas modifier son régime juridique[167]. « Cela signifie donc que la personnalité morale n’est pas source des règles gouvernant la personne morale. Plus exactement, l’ensemble de son régime juridique trouve sa source dans l’acte constitutif  […] du groupement personnifié »[168].
190. En attribuant la personnalité morale à l’association et à la société le législateur en a fait des personnes morales. Toutefois la personnalité juridique dans un cas comme dans l’autre n’a malheureusement pas la même portée[169].
En effet, à la différence de la société, l’association personnifiée dispose toujours d’une capacité limitée[170]. C’est en ce sens qu’on a pu dire qu’elle ne disposait que d’une « petite personnalité[171] ». Mais est-ce bien la personnalité juridique qui est effectivement réduite et variable d’un groupement à l’autre ?
191. Répondant à cette question, un auteur[172] a justement démontré que la personnalité juridique en soi ne varie pas, seule la capacité de la personne morale peut se trouver réduite par le législateur pour des raisons d’ordre public.
192. Dès lors, la personnalité juridique emporte bien des conséquences identiques quelque soit la personne morale considérée. L’examen de la transposition jurisprudentielle qui va suivre permet de rendre compte des conséquences de la personnification. Il s’agit certes d’appliquer le droit des sociétés dans le silence de la loi de 1901 aux associations, mais il s’agit surtout de relever que ces groupements sont aussi des personnes morales auxquelles les mêmes règles ou principes[173] trouvent ou peuvent trouver à s’appliquer.
193. La jurisprudence reconnaît ainsi des effets liés à la personnification de l’association (Chapitre 1) et l’existence d’un régime de responsabilité civile des dirigeants de l’association personnifiée (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Les effets liés à la personnification de l’association

194. L’attribution de la personnalité morale pour l’association comme pour la société se réalise après accomplissement d’une formalité légale[174].
195. Dans le même temps, leur personnification emporte un certain nombre d’attributs, dont le plus important est certainement l’individualisation de la personne morale. Le groupement devient alors un être à part entière, distinct de ses membres. Il aura dès lors un intérêt distinct de l’intérêt de ses membres.
195-1. L’individualisation de la personne morale suppose qu’elle puisse conclure des actes avec des tiers. Pour ce faire, elle va se doter de représentants, qui vont ainsi l’engager, dans les limites connues[175]. Ceci permet d’affirmer que la personne morale ne saurait être engagée par des actes qui lui sont antérieurs. Toutefois, ne serait-il pas possible qu’elle reprenne à son compte des actes conclus en son nom parce que son arrivée était imminente ?
195-2. L’individualisation de la personne morale suppose aussi que sa disparition puisse être indépendante de celle de l’acte juridique fondateur du groupement. Dès lors, la personnalité morale survit-elle à la dissolution du groupement ?
196. En droit des sociétés, la personne morale peut reprendre des engagements qui lui sont antérieurs à certaines conditions[176]. De plus, la personnalité morale survit pour les besoins de liquidation[177]. Rien de tel n’a été prévu dans la loi de 1901. C’est dans ce contexte que la jurisprudence a transposé ces règles aux associations. En statuant ainsi, elle reconnaît des effets à la personnification de l’association, tant au moment de sa constitution (Section 1) qu’au moment de sa disparition (Section 2).

Section 1 : L’effet sur la constitution de l’association : La reprise des engagements
 197. En droit des sociétés, on admet la reprise des engagements dans des conditions strictes. En droit des associations, le principe n’est pas affirmé dans la loi de 1901, mais pourtant les associations, encore plus que les sociétés, connaissent cette période de non personnification dans la mesure où elles existent de plein droit avant leur déclaration en vertu de la liberté d’association.
198. La jurisprudence, avec beaucoup de pudeur, semble admettre l’existence de principe de la reprise (§1). Mais il existe des obstacles à l’admission définitive du principe de la reprise en droit associatif (§2).
§ 1) L’admission de principe de la reprise en droit associatif
199. La reprise des engagements ne connaît pas en droit associatif une grande importance. Ignorée de la Loi, elle n’est que très peu envisagée par la jurisprudence[178].
En pratique, les fondateurs d’associations recourent alors à certains mécanismes du droit des contrats : Clause résolutoire et condition suspensive[179]. Mais ces mécanismes étant limités[180], les juges ont fini par admettre progressivement la reprise, d’abord de manière indirecte (A) puis de manière directe (B).
A – L’admission indirecte
200. Dans l’arrêt du 3 mai 1990[181], la jurisprudence a admis de façon indirecte, l’existence de la reprise (2) par la motivation retenue (1). Mais il ne s’agit que d’une admission indirecte, les juges ne faisant pas expressément référence à la règle de la reprise.
1°) La motivation retenue
201. Dans cette affaire, la Société des Centres Commerciaux (S.C.C.) avait ouvert un centre à Suresnes. Afin d’assurer la promotion de ce centre, le « délégué de gestion » de la société engagea une campagne de publicité. Par ailleurs, les commerçants prenant à bail un local situé dans le centre avaient souscrit une clause « essentielle » aux termes de laquelle ils adhéraient à l’Association des Commerçants du Centre (A.C.C.) dont l’objet était de favoriser la publicité des commerçants dudit centre. La S.C.C. envoya alors à l’A.C.C. ses factures, et celle-ci régla seulement deux d’entre elles en estimant qu’elle n’était pas encore déclarée au moment de la passation du contrat de publicité.
Mais en réalité, la Cour estima que l’association était redevable des sommes restantes, en se fondant sur la théorie de la croyance légitime[182] et celle du mandat apparent[183].
202. Un auteur[184] commentant cet arrêt émit de fortes réserves à l’égard de cette motivation. Considérant que la théorie du mandat apparent n’a été utilisée que pour engager une association non déclarée, aboutir par ce moyen à traiter une association non déclarée comme si elle avait la personnalité morale lui paraît une fiction exagérée.
203. Au demeurant, les juges semblent admettre en réalité l’existence de la reprise des engagements par une association déclarée.
2°) La reconnaissance implicite de la reprise
204. Un autre argument semble justifier la décision de la Cour de Versailles. La deuxième facture avait été réglée par l’association après accomplissement de la formalité de déclaration. Ne s’agissait-il pas alors d’une ratification des engagements souscrits par le mandataire apparent, ce qui correspond à la reprise des engagements telle qu’on la connaît en droit des sociétés ? Il semble possible de le croire.
205. Dès lors, même si la décision de la Cour ne fait aucune allusion expresse à la reprise, elle l’admet au moins de façon indirecte. Il ne reste plus qu’à envisager l’admission directe.
B – L’admission directe
206. Plus directement, la Cour de cassation admet l’existence de principe de la reprise. Cette fois les juges font directement référence à la possibilité de reprendre des actes antérieurs. Pour ce faire, ils envisagent le sort du cautionnement (1) et le sort des autres actes (2).
1°) Le sort du cautionnement souscrit par l’association non personnifiée
207. Dans un arrêt du 5 mai 1998, la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la validité de l'acte de cautionnement souscrit en garantie des engagements contractés par une association en formation. La solution qu'elle adopte ne manque pas d'intérêt.
Elle a en effet précisé que « la caution qui garantissait le remboursement d'un prêt contracté par une association non déclarée, et dépourvue de ce fait de la capacité juridique n'était pas tenue d'exécuter ses engagements [185][…] ».
208. Par cette décision, la Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 8 mars 1996 et fait une très exacte application des textes de loi. Elle rappelle en effet que le prêt contracté au nom d'une association non déclarée n'engage que celui qui se présente comme son représentant et non l'association elle-même, celle-ci n'ayant pas la capacité de contracter. L'obligation de restituer les fonds prêtés incombe donc au "représentant" de l'association et non à l'association elle-même. C'est la raison pour laquelle, dans ce cas, la caution qui s'était seulement engagée à garantir les dettes de l'association ne pouvait être tenue des dettes contractées par son "représentant", personne distincte de l'association. En effet, aux termes de l'ancien article 2015 du code civil[186], on ne peut étendre le cautionnement au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.
209. En l'espèce, l'acte de cautionnement avait été souscrit dans le but de garantir un prêt octroyé à l'association et non à celui qui se prétendait son dirigeant. La Cour de cassation en a donc déduit à juste titre que celui qui s'était porté caution pour garantir les engagements d'une personne juridique qui n'existait pas (l'association) ne pouvait être tenu de ses obligations de caution.
210. En statuant ainsi, les juges ont envisagé directement la question de la reprise des engagements même si c’est pour exonérer la caution. Plus directement encore elle a envisagé la reprise des autres actes.
2°) La sort des autres actes conclus avant la personnification de l’association
211. La Cour de cassation a décidé qu'après avoir été déclarée à la préfecture, une association peut, avec l'accord des fondateurs, reprendre à son compte les droits et obligations résultant d'une convention conclue par son représentant avant cette déclaration[187]. En l’espèce, une association avait intenté une action tendant à la déclarer possesseur de biens qui lui auraient été cédés alors qu’elle n’était pas encore déclarée. La Cour de cassation rejeta son pourvoi aux motifs que « La Cour d’appel a retenu qu’à la date de la convention du 7 janvier 1985, l’association n’avait pas la capacité juridique pour acheter les matériels litigieux, et qu’après cette date, elle n’a pas repris à son compte les droits et obligations afférents à cette convention […] ».
212. En statuant ainsi, les juges reconnaissent qu’une association déclarée peut reprendre les actes qui lui sont antérieurs. Cet arrêt a été salué par une doctrine majoritaire et a même été considéré comme établissant le principe de la reprise en droit associatif[188]. Il s’agit d’un raisonnement hâtif quand on voit les nombreux obstacles qui viennent contester une telle affirmation.
§ 2) Les obstacles à l’admission définitive de la reprise en droit associatif
213. Le principe de la reprise tel qu’il existe en droit des sociétés a-t-il été reconnu comme tel en droit associatif ? Peut-on espérer que la reprise a été définitivement admise en droit associatif ?
Malgré la ferveur que les arrêts sus évoqués ont entraîné en doctrine[189], il sera démontré qu’on doit relativiser leur portée (B) et ce, à cause de leurs incertitudes (A).
A – Les incertitudes de la solution
214. La solution développée par la jurisprudence et qui a consisté à admettre le principe de la reprise en droit associatif est incertaine.
 En effet, son contenu ne nous révèle rien sur les modalités (1) et les effets (2) de la reprise.
1°) Les modalités de la reprise
215. La jurisprudence ne dit rien sur les modalités de la reprise. La doctrine semble admettre qu’il faille recourir au droit des sociétés et notamment à  l'article 6  du décret du 3 Juillet 1978.
216. La reprise pourrait alors intervenir après déclaration à la préfecture et insertion de cette déclaration au Journal officiel, à la suite d'une décision spéciale expresse des associés, et ce quelle que soit la date à laquelle les actes auront été accomplis pour le compte de l'association en formation[190].
217. Toutefois, cette analyse ne saurait être convaincante car rien ne permet de croire que les juges vont recourir de lege ferenda au droit des sociétés via l’article 1843 du C. civ. Ils auraient pu recourir à celui-ci pour préciser les modalités de la reprise. Comment considérer alors ce silence : Acceptation ou refus ?
218. Un autre argument plaide en la défaveur d’un recours systématique au droit des sociétés pour fonder les modalités de la reprise. La « décision expresse des associés[191] » sera–t-elle soumise à un vote majoritaire ou unanimitaire ? La doctrine penche pour un vote majoritaire par analogie au droit des sociétés[192]. C’est peut-être vite oublier que les associations sont des groupements dans lesquels il est possible d’imaginer toutes sortes de combinaisons possibles[193].
219. Cette même incertitude subsiste quant aux effets de la reprise.
2°) Les effets de la reprise
220. De même la jurisprudence n’a pas précisé les effets de la reprise. Là encore la doctrine est encline à considérer qu’il faille recourir au droit des sociétés pour considérer que « les actes seront réputés avoir été contractés par l’association dès l’origine[194] ».
221. Ces incertitudes, liées au contenu de la solution, lui confèrent alors une portée relative. Laquelle constitue un obstacle à l’admission définitive de la reprise en droit associatif.
B – La portée relative de la solution
222. La solution adoptée par les juges mérite d’être approuvée en ce qu’elle reconnaît la possibilité pour une association déclarée de reprendre à son compte les actes qui sont antérieurs à sa personnification.
223. Mais la solution pêche par son contenu, et en cela sa portée ne peut qu’être relative. En effet elle fragilise la construction du principe de la reprise en droit associatif (1). De plus, elle refuse de reconnaître l’art. 1843 comme fondement commun du principe de la reprise (2).
1°) Le principe de la reprise en droit associatif : une construction fragile
224. La solution des juges ne permet pas de cerner les contours du principe de la reprise, en cela la construction jurisprudentielle est fragile.
225. En effet, en refusant (oubliant ?) de préciser les modalités et les effets de la reprise, les juges ont affirmé un principe creux. Le principe de la reprise, tel qu’il ressort des arrêts étudiés, est une coquille vide. Certes, l’association déclarée peut reprendre des actes antérieurs mais quelles conditions ?
226. L’association se caractérisant par un vent de liberté, les juges auraient dû préciser au moins les modalités de ce principe important des personnes morales. Le principe de la reprise est donc bien une construction fragile en droit associatif. De plus les juges n’ont pas voulu faire de l’art. 1843 du C. civ. le fondement commun du principe de la reprise.
2°) Le refus de l’article 1843 comme fondement commun du principe de la reprise
227. En ne se fondant sur aucun texte pour justifier l’existence de la reprise en droit associatif, les juges semblent la reconnaître comme principe commun des groupements[195]. Toutefois, rien ne permet d’assurer qu’elle aura les mêmes modalités qu’en droit des sociétés[196]. En effet, même si l’on considère qu’il puisse servir de socle à l’élaboration d’un droit commun des groupements, il faut encore que par analogie, les juges y fassent expressément référence.
228. Partant de là, il est permis de croire que la reprise pourra connaître des modalités particulières en droit des associations. Et quand on connaît la relative protection dont bénéficient les tiers face aux associations[197], on ne peut que déplorer le manque de précision des modalités de la reprise. Une simple référence à l’art. 1843 du C. civ. aurait cependant suffi. Mais les juges s’en sont bien gardés. Dès lors, ils n’affirment pas expressément que le droit des sociétés constitue le socle commun d’édification du principe de la reprise pour les personnes morales.
229. Le principe de la reprise en droit associatif est encore une construction fragile. Il n’est pas encore admis définitivement par la jurisprudence. Décider que les juges ont voulu lui attribuer les mêmes modalités qu’en droit des sociétés, trahit en réalité une forte espérance. Le principe de la reprise ne sera définitivement admis en droit associatif que lorsque ses modalités auront été clairement précisées soit par référence au droit des sociétés, soit d’une autre façon.
330. Au demeurant, la personnification de l’association emporte également un effet sur sa disparition.

Section 2 : L’effet sur la disparition de l’association : La survie de la personnalité juridique pour les besoins de liquidation
331. La disparition de l’association ou de la société peut résulter de la nullité du contrat ou de la dissolution. Dans les deux cas, en droit des sociétés, il est clairement admis que la personnalité juridique subsiste pour les besoins de liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci[198]. Rien de tel ne figure dans le droit associatif, à l’exception de l’art. 14 du décret qui vise expressément la liquidation[199].
332. L’examen de cet article permet de relever la liberté d’organisation des conditions de la liquidation qui est reconnue par le législateur aux sociétaires. Et quand on sait les dérives occasionnées par cette liberté, il est permis de douter de l’opportunité de l’application de la règle aux associations (§1). Mais il ne s’agit que d’un doute méthodique puisque les juges appliquent bien la règle de la survie aux associations (§2).
§ 1) L’opportunité de l’application de la règle aux associations
333. La détermination de l’opportunité pose en réalité la question de savoir si « toute dissolution d’association, et plus particulièrement la dissolution décidée par les sociétaires réunis en assemblée générale est-elle obligatoirement et nécessairement suivie d’une phase de liquidation ?[200] »
334. La réponse à cette question permettra d’envisager les obstacles qui se dressent à l’application ne varietur de la règle aux associations (A). Il sera ensuite précisé que ces obstacles n’éliminent pas pour autant la nécessité d’appliquer la règle aux associations (B).
A – Les obstacles à l’application ne varietur de la règle aux associations
335. De nombreux obstacles empêchent une application ne varietur de la règle de la survie telle qu’on la conçoit en droit des sociétés aux associations. Ces obstacles peuvent être juridiques (1) ou factuels (2).
1°) Les obstacles juridiques
336. Ces obstacles tiennent à la spécificité du droit associatif avec le principe de liberté statutaire et l’interdiction de partager les bénéfices.
336-1. En vertu du principe de liberté statutaire les sociétaires organisent librement leur fonctionnement. La liquidation de l’association dissoute n’a pas échappé à ce principe. En effet, au sens de l’article 14 du décret[201], les sociétaires organisent librement les conditions de liquidation et de dévolution des biens. Poussant plus loin le raisonnement, un auteur[202] s’est demandé si dans certains cas les sociétaires pouvaient éviter l’ouverture d’une période de liquidation après la dissolution. Ainsi, lorsque l’article 14 suscité reconnaît aux sociétaires le pouvoir de régler librement les conditions de la liquidation, cette liberté porte-elle sur le principe même de l’existence d’une phase de liquidation ? 
336-2. Le second obstacle tient à la définition de la notion de liquidation et sa portée en droit des associations. En droit des sociétés, il ressort « de la définition généralement retenue, que l’issue normale de la liquidation d’une société dissoute réside dans le partage du produit de la liquidation envisagée comme une opération indispensable pour parvenir à un tel partage[203] ».
Or l’association n’a pas vocation à partager des bénéfices. Par conséquent, « une liquidation qui n’aurait de raison d’être que de préparer les opérations de partage, non seulement ne serait pas nécessaire en matières d’associations, mais bien plus encore y serait interdite[204] ».
337. Il convient alors de définir la liquidation en matière d’association comme étant « l’ensemble des opérations qui sont nécessaires afin de terminer les affaires dans lesquelles l’association est engagée, de réunir les éléments de son actif et d’éteindre son passif, de sorte que le cas échéant soit dégagé l’actif net qui pourra être attribué à un, ou plusieurs nouveau(x) titulaire(s), qui n’étai(en)t pas membres de l’association dissoute [205] ».
338. Outre ces obstacles juridiques, il existe des obstacles factuels.
2°) Les obstacles factuels
339. Il peut exister des associations pour lesquelles la dissolution s’avère inutile. C’est ainsi qu’un auteur[206] a récemment démontré qu’il était possible d’envisager des associations dissoutes sans que la dissolution ne soit suivie d’une liquidation. Il envisage deux situations qu’il convient ici de reproduire.
339-1. Tout d’abord, il est possible que les associations ne possèdent plus, au moment de leur dissolution, aucun contrat en cours avec des tiers et ni aucun créancier[207].
339-2. Il est aussi possible de rencontrer des associations dans lesquelles il existe bien des éléments à liquider mais dont la liquidation peut s’effectuer très rapidement au cours de la seule assemblée qui arrête la décision de dissolution. Cette assemblée générale peut alors, tout en dissolvant l’association, décider de transmettre, par le biais d’une fusion, l’ensemble des éléments actifs et passifs de son patrimoine à un bénéficiaire déterminé.
340. Dans ces hypothèses, l’ouverture d’une liquidation s’avèrerait inutile[208]. Pour autant, la survie de la personnalité morale pour les besoins de liquidation reste bien une nécessité.
B – La nécessité de l’application de la règle aux associations
341. La survie de la personnalité morale pour les besoins de la liquidation reste bien une nécessité pour les associations malgré les obstacles sus envisagés. En effet, en reconnaissant aux sociétaires une liberté d’organisation de la liquidation, le législateur n’a pas entendu supprimer le principe même de l’existence d’une phase de liquidation. La règle s’impose donc toutes les fois qu’il est nécessaire de liquider (1), mais aussi de garantir les intérêts des différents protagonistes à la liquidation (2).
1°) La nécessité de liquider
342. L’association étant une personne morale, sa personnalité juridique ne saurait disparaître dès la décision de liquidation. Il est très peu probable en effet que les sociétaires aient la certitude, au moment de la dissolution, que la liquidation est inutile du fait de l’absence de tout élément à liquider[209]. La liquidation est donc nécessaire pour s’assurer de l’absence de tout contrat en cours et créancier, mais aussi de fraude[210].
343. Mais la liquidation reste également une nécessité pour une raison technique : l’indivision serait en effet d’une rigidité excessive dans la mesure où elle requiert l’unanimité[211].
344. L’application de la règle de la survie est surtout une nécessité pour les différents protagonistes dont les intérêts peuvent être garantis.
2°) La nécessité de garantir les intérêts des différents protagonistes
345. Qu’il s’agisse des sociétaires, des créanciers ou de l’entreprise, la liquidation met en jeu différents intérêts[212].
345-1. D’abord, les sociétaires seraient contraints de se retrouver en indivision. Ce qui pour une raison technique est assez rigide, pour procéder à la dévolution des biens. Quant aux créanciers, ils perdraient avec la disparition de la personnalité morale au jour de la dissolution, leur « droit de gage exclusif sur les biens de la personne morale[213] ». Enfin, l’entreprise associative étant aujourd’hui une réalité, il est nécessaire d’ouvrir une période de liquidation afin d’éviter « un arrêt, ou même un fâcheux ralentissement de la vie économique et sociale de l’entreprise […] [214]».
345-2. Pour toutes ces raisons, il est nécessaire d’appliquer la règle de la survie de la personnalité morale aux associations. Et la jurisprudence l’a justement compris.
§ 2) L’application de la règle aux associations
346. Il est de jurisprudence constante que la personnalité morale de l’association dissoute subsiste pour les besoins de la liquidation[215]. L’association dissoute continue d’être une personne morale distincte des personnes physiques qui la composent[216]. Toutefois, sa personnalité juridique est limitée quant aux actes (A) et dans le temps (B).
A – La limitation de la personnalité juridique quant aux actes
347. La personnalité juridique des associations dissoutes subsiste donc pour les besoins de leur liquidation. Dès lors, l’association n’aura de personnalité juridique, et donc de capacité juridique, qu’autant que les actes qu’elle passera seront nécessaires à la liquidation[217]. Ces actes peuvent être antérieurs (1) ou postérieurs à la liquidation (2).
1°) Les actes antérieurs
348. L’association survit pour l’exécution de tous les contrats qu’elle a passés antérieurement à sa dissolution[218].
Il en va ainsi notamment pour les contrats de travail avec ses salariés, pour les baux conclus avec les propriétaires des immeubles où elle exerce son activité, pour les marchés avec des fournisseurs ou des clients.
349. Elle peut aussi conclure des actes postérieurement à sa dissolution.
2°) Les actes postérieurs
350. L’application de la règle de la survie signifie également que l’association dissoute pourra aussi accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à sa liquidation. Elle peut ainsi vendre ses biens. En revanche, une association dissoute ne peut faire des opérations qui seraient en contradiction avec le but de la liquidation. Elle ne pourra donc plus ni acquérir de nouveaux biens, ni encaisser de nouvelles cotisations[219].
351. L’application de la règle de la survie entraîne une limitation de la personnalité juridique de l’association quant aux actes. Désormais, elle ne pourra qu’effectuer des actes nécessaires à la liquidation. C’est ainsi qu’elle peut ester en justice[220].
352. Mais l’application de la règle va également limiter la personnalité juridique de l’association dans le temps.
B – La limitation de la personnalité juridique dans le temps
353. L’étude qui va suivre pose la question du terme de la survie de la personnalité juridique de l’association dissoute.
354. En droit des sociétés, la clôture des opérations de liquidation marque la fin de la période de liquidation[221].
355. Aucune disposition n’étant prévue dans la loi de 1901, les juges ont décidé « qu’une association perd son existence juridique à partir de sa liquidation et de la dévolution de ses biens[222]». La dévolution des biens marque donc la fin de la personnalité juridique de l’association (1). Mais, celle-ci peut renaître même après la dévolution des biens (2).
1°) La fin de la personnalité juridique avec la dévolution des biens
356. La fin des opérations de liquidation, marque donc la fin de la personnalité juridique. Mais un problème s’est posé de façon récurrente aux juges : A partir de quel moment doit-on considérer que les opérations de liquidation sont terminées ?
357. La jurisprudence semble s’accorder sur le principe du parallélisme des formes qui supposerait que la personnalité juridique disparaisse avec la publication de la dissolution au Journal officiel[223]. Mais en pratique, une telle analyse est limitée quand on voit la grande désaffection de cette formalité par les associations[224].
358. Que décider alors lorsqu’il n’y a pas eu publication ? La jurisprudence a considéré que la dévolution des biens marquait la fin de la personnalité juridique[225].
359. Mais il semble que la personnalité juridique de l’association puisse renaître après la dévolution.
2°) La renaissance de la personnalité juridique après dévolution des biens
360. La jurisprudence[226] a admis qu’un liquidateur dont la mission était terminée, pouvait exercer au nom de l’association, après dévolution de ses biens, une action en révocation de ladite dévolution. La doctrine en examinant cet arrêt considère d’une part que la personnalité juridique ne disparaît pas avec la dévolution et d’autre part qu’ayant disparu, elle peut renaître pour les besoins de l’action en justice.
361. Il convient de s’attacher à la seconde analyse[227]. En effet considérer que la personnalité morale survive à la dévolution c’est affirmer qu’elle n’a pas de fin. Mais c’est également affirmer qu’elle existe par elle-même et pour elle-même. Or la personnalité morale existe par la personne morale, et peut subsister après dissolution de celle-ci pour les besoins de la liquidation uniquement. Dès lors, on ne saurait imaginer qu’elle puisse subsister à la dévolution puisqu’alors il n’y a plus de personne morale, ni d’intérêt à ce qu’elle existe.
362. La personnalité juridique disparaît avec la dévolution mais peut renaître pour les besoins d’une action en justice nécessaire à la liquidation (en l’espèce, la validité de la dévolution était contestée, il était donc normal que l’association ayant récupéré ses biens procède à une nouvelle dévolution).
363. Cette solution permet d’établir le parallèle avec les développements qu’il y a eu en droit des sociétés sur la durée de la personnalité morale[228].
364. Finalement, la personnalité juridique est-elle un phoenix qui renaît toujours de ses cendres ? L’arrêt du 11 décembre 1973 permet de répondre par l’affirmative. La personnalité juridique renaîtra autant de fois que la dévolution fera l’objet d’une contestation.

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