C’est
parce que le pouvoir a tardé à mettre sur pied un régime général de retraite
que se sont multipliés, dans le secteur public comme dans le privé, des régimes
spécifiques.
En
1945, le régime général de la Sécurité sociale organise l’assurance vieillesse
de tous les salariés du privé non agricole dans l’objectif de construire à
terme un régime généralisé et unique. Mais il est alors impossible d’aligner
d’emblée le niveau des retraites des salariés du secteur privé sur celui que
garantissent des régimes existant déjà dans divers secteurs.
Les
fonctionnaires en premier
Ces
régimes antérieurs se sont développés sur une base professionnelle, et d’abord
en faveur de serviteurs de l’Etat régalien : dès 1673 pour les marins de la
Royale et 1790 pour les militaires. En 1853, une loi réglemente la retraite par
répartition des fonctionnaires : à 60 ans et après trente années de service et
de cotisations s’élevant à 5 % du traitement, un fonctionnaire peut percevoir
une pension d’un montant pouvant atteindre les trois quarts du traitement moyen
des six dernières années.
D’autres
salariés des administrations et entreprises publiques bénéficient au XIXe
siècle d’un système de retraite : celles et ceux de la Poste, de l’Opéra de
Paris (1856), les personnels civils des établissements militaires, ceux de la
Banque de France ou des Manufactures des tabacs et allumettes (1897). Quelques
municipalités fondent également leur propre caisse pour leurs employés : on en
compte 130 en 1891. Certaines professions, comme les clercs de notaire, mettent
sur pied leur propre régime, tout comme des professions libérales, les
commerçants, etc.
Dans
le privé aussi, certaines entreprises mettent en place des systèmes de pension
dans la métallurgie, le textile, la chimie, la verrerie, pour environ 100 000
salariés en 1895. Pourquoi cette mansuétude ? Pour stabiliser la main-d’œuvre
qualifiée. Parmi les entreprises privées considérées d’intérêt général et dont
les pouvoirs publics se préoccupent particulièrement, la Compagnie parisienne
d’éclairage et de chauffage par le gaz crée en 1859 une caisse de retraite pour
ses employés et une autre en 1893 pour ses ouvriers. C’est le cas aussi des
mines, dont les patrons ont souvent mis en place des caisses de retraite, une
loi de 1894 unifiant tous ces systèmes.
Et
puis, il y a les chemins de fer. Jusqu’en 1937. Ils sont aux mains de
compagnies privées concessionnaires qui ont fondé des caisses de secours et de
retraite pour leurs personnels dès leur création, là encore pour fidéliser une
main-d’œuvre qu’elles forment elles-mêmes. Elles sont d’abord réservées aux
employés et aux cadres, mais la loi du 27 décembre 1890 oblige à inclure les
ouvriers, celle de 1909 unifie tous les régimes et impose notamment aux
compagnies de servir des pensions égales au 1/50e du traitement moyen des six
meilleures années de la carrière par année de cotisation (soit, par exemple, 60
% de ce traitement pour trente ans de cotisation), avec réversibilité de moitié
au profit de la veuve. L’âge à partir duquel la pension peut être attribuée est
fixé à 50 ans pour les agents de conduite des locomotives, 60 ans pour les
administratifs et 55 ans pour les autres catégories de personnel. Différentes
modifications interviennent par la suite, dont la principale est d’introduire
un système de répartition en 1934.
Lors
de la nationalisation des compagnies – en grande difficulté financière – et
leur regroupement le 31 août 1937 dans la Société nationale des chemins de fer
français (SNCF), toutes les caisses de retraite sont réunies en une seule,
subventionnée par l’Etat. La cotisation s’élève à 5 % du salaire, l’âge de
départ est fixé entre 50 et 55 ans, après vingt-cinq ans de service. En 1939,
440 800 salariés de la SNCF cotisent et 255 000 touchent une retraite.
Vers
un système général
Dès
les années 1880, la question de la mise sur pied d’un système général est
posée. Elle aboutit seulement en 1910 avec la loi sur les retraites ouvrières
et paysannes. Celle-ci, censée bénéficier à 18 millions de personnes, n’en
touchera que 2,5 millions. En cause, l’abandon rapide de la cotisation
obligatoire sous la pression, d’un côté, du patronat, qui veut garder la haute
main sur toutes ses « œuvres sociales », de l’autre, de la CGT, qui s’oppose à
l’obligation de cotisation qui réduit les salaires, une « loi pour les morts »…
Le niveau de pension versée sera très modeste.
La
deuxième tentative date de 1930, avec la loi sur les assurances sociales. Le
système mis en place est complexe, par capitalisation de cotisations salariales
et patronales gérées par des caisses départementales aux mains des mutuelles,
des syndicats salariés et patronaux, avec des niveaux de pensions toujours très
modestes. En 1945-1946 enfin, la mise sur pied de la Sécurité sociale pour tous
concerne aussi les retraites. Mais les régimes existants, plus avantageux, en
particulier celui des cheminots, sont maintenus, conçus par les syndicats comme
un horizon à atteindre par le régime général.
Au
début des Trente Glorieuses, en 1953, lorsque, pour combattre l’inflation et
comprimer les dépenses de l’Etat, le gouvernement de Joseph Laniel veut s’en
prendre aux pensions des fonctionnaires et des agents des services publics, il
provoque en plein mois d’août la plus grande vague de grèves que la France ait
connue entre 1936 et 1968. Il renoncera finalement à appliquer ses décrets.
Puis,
pendant les Trente Glorieuses, la question des régimes de retraite dits désormais « spéciaux »
ne fait guère débat, d’autant que la gauche est porteuse d’un progrès pour le
régime général, qui sera acté par l’ordonnance du 26 mars 1982 : celui de la
retraite à 60 ans à taux plein (50 % du salaire annuel moyen des dix meilleures
années) pour qui a cotisé 37,5 ans. C’était au siècle dernier…
●
Pour les non-salariés, la loi de 1948 crée
trois organisations autonomes d’assurance vieillesse : artisans, industriels et
commerçants, professions libérales. Pour les agriculteurs, la caisse de
retraite est gérée par la Mutualité sociale agricole.
●
La démographie deviendra rapidement
défavorable. Dès 1960, il y a 405 700 retraités pour 341 000 cotisants. Et en
2019, 251 344 pensionnés pour 139 603 cotisants : compressions et
vieillissement du personnel sont à l’œuvre.
POUR EN SAVOIR PLUS
●
« Jalons pour une histoire des retraites
et des retraités (1914-1939) », par Antoine Prost, Revue d’histoire moderne et
contemporaine n° 4, tome 11, 1964.
●
« L’hiver de grève des cheminots », par
Georges Ribeill, Vingtième siècle, revue d’histoire n° 16, 1987.
●
« La lente construction des systèmes de
retraite en France de 1750 à 1945 », par Jean-Marie Thiveaud, Revue d’économie
financière n° 40, 1997.
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